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3.2.

Depuis les origines du concept de HRO, le concept de culture organisationnelle joue un rôle clé dans la compréhension du maintien de la fiabilité. À cette idée de culture en cohérence avec la fiabilité s’adjoint l’idée de confiance pour assurer la fiabilité (Schöbel, 2009). La confiance peut être définie comme la volonté d’une entité de se mettre en position de vulnérabilité vis-à-vis d’une autre partie (Mayer, Davis, & Schoorman, 1995, p. 712) : « willingness of a party to be vulnerable to the actions of another party based on the expectation that the other will perform a particular action important to the trustor, irrespective of the ability to monitor or control that other party » (voir Encadré 16). Cette définition est celle communément admise dans le champ de la fiabilité organisationnelle (.e.g. Schöbel, 2009; Colquitt, LePine, Zapata, & Wild, 2011; Möllering, 2013).

Encadré 16 – L’émergence de la confiance dans un contexte organisationnel

Mayer et al. (1995) proposent un cadre intégrateur de la confiance dans un contexte organisationnel : The definition of trust proposed in this research is the willingness of a party to be vulnerable to the actions of another party based on the expectation that the other will perform a particular action important to the trustor, irrespective of the ability to monitor or control that other party

La confiance émerge de l’estimation de trois caractéristiques comportementales détenues par l’autre partie : la capacité, la bienveillance et l’intégrité. La capacité regroupe les aptitudes de l’autre partie. La bienveillance fait référence à la bonne volonté de l’autre partie, telle que la loyauté ou la disponibilité. L’intégrité fait référence aux valeurs morales détenues par l’autre partie telles que l’honnêteté ou l’impartialité.

C’est sur la base de cette définition que d’autres études se sont développées en incluant les émotions, les trahisons, la reconstruction du lien de confiance, l’asymétrie possible de la relation de confiance, et le phénomène de méfiance (Schoorman, Mayer, & Davis, 2007).

Dans les environnements à risques, la confiance permet de minimiser les incertitudes et d’avoir une meilleure connaissance des risques. En effet la confiance implique de savoir quel degré de confiance accorder et le degré de risque inhérent à cette confiance (Schöbel, 2009). Ce degré de confiance va dépendre de la situation et des rapports hiérarchiques entre les individus qui sont eux-mêmes conditionnés par un ensemble de valeurs et d’attitudes partagées. En établissant des règles et des normes de comportements – formelles et informelles – la culture va influer les individus sur leur propension à faire confiance, tant pour savoir à qui faire confiance que dans quelle situation faire confiance.

La confiance est un élément important dans ces environnements car elle permet de partager ses doutes vis-à-vis des interprétations et des décisions faites, à la fois pour la personne qui émet la critique que pour celle qui va la recevoir (Conchie, Donald, & Taylor, 2006, p. 1103) :

In a safety-critical work environment, it is important to promote moderate levels of trust and an element of skepticism and healthy wariness. These attitudes should be promoted toward all groups, and in particular supervisors and leaders. To achieve this, programs might focus on improving beliefs and feelings about another’s trustworthiness

Il y a donc un lien entre la variété requise nécessaire à la fiabilité organisationnelle et le degré de confiance entre les individus (Weick, 1987, p. 117) : « Collective requisite variety is higher when people both trust others, which enlarges the pool of inputs that are considered before action occurs, and themselves act as trustworthy reporters of their own observations to enlarge that same pool of inputs ». Enfin, la confiance est un facteur qui permet de déclarer les erreurs afin de pouvoir les corriger – de manière situationnelle ou systémique – et non de les dissimuler (Reason, 2013). C’est également une confiance accordée dans le traitement équitable de la déclaration de l’erreur et de la non-punition de l’erreur.

Si la confiance semble influer positivement sur la fiabilité – au travers de la vigilance collective, de la transparence, du partage des connaissances, etc. – la relation qui unit les deux semble plus complexe qu’une fonction linéaire où plus de confiance équivaut à plus de fiabilité (Colquitt et al., 2011, p. 1012) : « Neither trust referenced to typical tasks nor trust referenced to high- reliability tasks predicted performance across contexts ».

Tout d’abord, bâtir la confiance dans des environnements à risque est plus difficile compte tenu des enjeux auxquels font face les individus et l’organisation (Weick, 1987). Si la confiance joue un rôle positif sur la fiabilité encore faut-il est entre mesure de bâtir cette confiance dans ces organisations. À l’inverse, un trop grand niveau de confiance peut également nuire à la sûreté d’une organisation (Roberts & Bea, 2001). Une confiance excessive envers ses connaissances, l’orgueil face une situation vont masquer les problèmes – consciemment ou non – et faire croire que tout est sous contrôle. De plus, lorsque la confiance devient aveugle, elle empêche toute remise en cause et impacte négativement la fiabilité (Schöbel, 2009). La confiance doit donc se développer conjointement avec une forme de sagesse qui évitera de tomber dans ces écueils. Enfin, ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de

confiance qu’il n’y a pas de fiabilité. Schöbel (2009) cite notamment la méfiance créative (Hale, 2000 cité dans Schöbel, 2009) ou la défiance (Burns, Mearns & McGeorge, 2006 cité dans Schöbel, 2009) qui peuvent avoir des effets positifs sur la fiabilité.

La définition de Mayer et al. (1995) spécifie une relation entre deux parties : celui qui fait confiance et celui à qui on accorde sa confiance. Pour autant, ces parties ne doivent pas nécessairement être des individus. En effet, la confiance peut être une relation envers un individu mais également envers un système. Pour Schöbel (2009), la confiance envers le système peut prendre deux formes différentes : envers un système en tant qu’institution et envers un système en tant que machine automatisée.

Dans la première forme, la confiance entre un individu est un système comme institution, le système joue le rôle de facilitateur de confiance en diminuant le risque perçu par l’opérateur pour accorder sa confiance aux autres individus. En effet, celui-ci considère que le système est fiable et que les individus qui le compose le sont également, sinon le système les aurait exclus car présentant un danger. La contrepartie qui réside dans cette confiance et que l’opérateur qui constate un problème qu’aucun de ses collègues n’a remarqué sera tenté de ne rien dire, porté par l’idée que si personne n’a remarqué le problème c’est alors lui qui doit être dans l’erreur.

La seconde forme de confiance envers le système renvoie à la confiance dans les systèmes automatisés. Le fait pour l’individu d’accorder sa confiance ou non envers le système automatisé varie selon le degré de fiabilité accordé par l’individu au système automatisé. Le problème majeur de faire confiance à un système automatisé est donc le différentiel qui réside entre la performance réelle du système automatisé et la performance perçue de ce système automatisé. L’opérateur va être confronté à deux difficultés : une première difficulté liée à la surveillance du système – l’opérateur ne sait pas qui se passe – et une seconde difficulté liée au comportement face aux informations transmises par le système – l’opérateur ne sait comment agir face aux informations compilées. Ceci peut conduire à deux effets négatifs. Le premier est la négligence où l’opérateur considère que le système est fiable et ne fait donc plus attention (Reason, 2013, p. 339) :

L’histoire des technologies à haut risque est jonchée d’exemples d’accidents qui ont été causés par la combinaison de la défaillance d’une aide, supposée améliorer la sécurité, et d’une confiance excessive de l’opérateur dans cette aide, de sorte que les sources alternatives de données n’ont pas été consultées’

À l’inverse, le second effet négatif est une méfiance de l’opérateur à l’égard du système automatisé qui pousse l’opérateur à sous-évaluer la fiabilité du système et donc faire reposer la fiabilité uniquement sur ses compétences.

Au niveau homme-machine, les effets néfastes ou positifs de la confiance dépendent donc de la capacité de celui qui fait confiance à jauger avec précision de la fiabilité du système automatisé. Cette évaluation est ardue compte tenu du caractère peu interactif de certains systèmes tend à faire évoluer ces systèmes automatisés vers des formes plus interactives voire plus collaboratives entre les hommes et les machines.

La confiance n’a donc pas que des effets positifs sur la fiabilité même si elle est un élément important de cette celle-ci (voir Tableau 13). L’organisation doit être en mesure de créer une structure adéquate pour limiter les effets négatifs de négligence, de complaisance et de méfiance des acteurs entre eux et envers le système.

Tableau 13 – Les types de confiance et leurs relations avec la fiabilité

Type de

relations Relations positives avec la fiabilité Relations négatives avec la fiabilité Individus-

Individus Réduction de l’incertitude Vigilance collective

Transparence

Aveuglement face aux situations Non-remise en cause

Individus- Système

Réduction de l’incertitude Accès facilité aux informations Redondance

Négligence Méfiance

Si la confiance peut s’étudier comme un objet, un stock – donnant ou recevant une certaine quantité – il est également intéressant d’aborder la confiance non pas comme un élément statique mais se construisant dans le temps (Nooteboom, 2006; Möllering, 2013), un processus (Wright & Ehnert, 2010, p. 116) : « [s]eeing trust as part of the temporal flow of social activity constructs it as an unfolding narrative; we never quite ‘trust’ in any final sense but are always in a process of ‘trusting’ ». Ainsi, tout comme nous étudions la fiabilité sous l’angle de l’organizing, il est possible d’étudier la confiance sous l’angle du trusting, un processus structurant la confiance et s’inscrivant dans un contexte organisationnel (Wright & Ehnert, 2010, p. 119) : « The task for the researcher is not to stop what is happening, remove

trusting from its contextualizing and ignore the narrating of trusting but to find ways of developing insight into how actors practice trusting and how this shapes their organizing ». Cette approche considère la confiance comme un processus qui permet aux acteurs de gérer l’incertitude (Möllering, 2006, cité dans Möllering, 2013). L’objet d’étude n’est donc pas tant le résultat quantifiable – une état d’esprit, un comportement – que la façon dont cette confiance est produite, les pratiques utilisées (Möllering, 2013).

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