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O BSERVATION PARTICIPANTE ET POSITIONNEMENT SUR LE TERRAIN

2.2.3. Entre immersion participative et recul réflexif : accepter de plonger pour mieux remonter

Au niveau de la participation, bien que n’effectuant pas – heureusement pour les patients – le métier de soignant, les différentes tâches réalisées nous sortent de notre zone de confort et nous obligent à une rigueur poussée afin de ne pas commettre d’erreurs. Il s’agit de s’engager sur le terrain, de suivre le flot des acteurs et les mêler au flux de l’activité, de marcher dans les pas mais pas sur les pieds. Même si au premier abord cela n’a rien à voir avec le sujet de recherche, il faut accepter de se perdre (Rémy, 2014). Afin d’assurer au mieux nos tâches, il

est nécessaire d’acquérir un socle minimum de connaissances sur la médecine, les métiers, l’activité afin de comprendre ce qui s’y passe. Les ressources en ligne des facultés de

médecine et des revues médicales42 permettent ainsi d’assimiler certaines bases et le

vocabulaire médical. C’est également savoir à quoi s’attendre : un SAUV prend potentiellement en charge des patients gravement blessés – et dont l’état visuel peut choquer celui qui n’y est pas préparé – mais également des situations auxquelles il faudra faire face psychologiquement.

Comme nous l’avons précisé précédemment, la période sur le terrain s’est étendue sur une période de 14 mois. Durant cette période, notre présence sur le terrain s’est faite à hauteur de 50% d’un temps de travail à temps plein et représentant 2 à 3 jours par semaine. Durant les deux premiers mois nous avons tenu à être plus présents, à hauteur de 80% d’un temps de travail à temps plein et représentant 4 jours par semaine. En termes de rythme de travail, nous avons tenté d’observer de manière exhaustive les différentes séquences de travail. Ainsi, si la majorité de nos observations se sont déroulées durant la plage de journée – de 08h à 17h en assistant aux transmissions du matin et du soir – nous avons également observé d’autres séquences de travail : week-ends et jours fériés ; présence décalée afin d’avoir les transmissions des infirmiers et des aides-soignants de 13h30 et 20h30. Enfin, nous avons effectué une dizaine de gardes de 24h (soit en moyenne 1 garde toutes les 6 à 8 semaines) qui ont permis également d’observer l’activité de nuit côté infirmiers et les transmissions de 6h30. Néanmoins, nous n’avons pas assuré le rythme de gardes des médecins – d’une garde par semaine en moyenne – compte tenu de l’épreuve physique et mentale que cela constitue. Ceci s’explique à la fois par le manque d’habitude et d’endurance face à l’exercice et la difficulté de concilier les gardes avec les activités de recherche et d’enseignement en dehors du terrain.

À l’aune de la formalisation de notre positionnement sur le terrain, entre l’émerveillement de la découverte et le recul réflexif nécessaire à la compréhension, il est souvent difficile de trouver sa place de chercheur, sa place d’observateur et sa place d’acteur sur un terrain (Adler & Adler, 1987b), entre nécessité de prendre racine et accepter de parfois perdre pied et réflexion sur sa position de chercheur vis-à-vis du terrain. La relation entre le chercheur et le terrain n’est pas unidirectionnelle, où le chercheur vient récolter des données sur un terrain (Peneff, 1995). Celui-ci va également nouer des relations, interagir et « donner au terrain ».

42 Pour les cours en ligne, nous nous sommes appuyé sur les ressources de la Faculté de médecine Pierre et Marie Curie et la Faculté de Médecine et de Maïeutique Lyon Sud - Charles Mérieux. Quant aux revues médicales, nous avons notamment consulté les Annales Françaises de Médecine d’Urgence de la SFMU, Anesthésie & Réanimation et Anaesthesia Critical Care & Pain Medicine (ACCPM) de la SFAR.

Le chercheur observateur doit donc réfléchir aux deux versants de son expérience sur le terrain, entre prendre et donner au terrain. L’impératif d’objectivité de la recherche scientifique impose en effet d’expliquer et d’analyser la subjectivité inhérente à l’immersion et au chercheur. Il ne faut donc passer sous silence cette subjectivité et ignorer la perturbation d’un observateur sur le terrain et du terrain sur l’observateur. Dans le même ordre d’idée, les résultats issus de la recherche ne peuvent se comprendre sans expliquer comment le chercheur a observé le terrain, comment il a analysé les données collectées et comment il a tenté de comprendre son rôle en tant qu’acteur, enquêteur et analyste (Weber, 2009). Comme le précise Laplantine (2010, p. 23) :

C’est lorsque ce dernier [le chercheur] prétend à la neutralité absolue, lorsqu’il croit avoir recueilli des faits ‘objectifs’, lorsqu’il élimine des résultats de sa recherche tout ce qui a contribué à y accéder et qu’il gomme soigneusement les traces de son implication personnelle dans l’objet de son étude, qu’il risque le plus de s’écarter du type d’objectivité.

Ainsi, si pendant longtemps les ressentis ont été mis à part dans les récits et négliger dans la prise de notes, ils ont peu à peu intégré les récits et les analyses (Emerson, Fretz, & Shaw, 2001). En effet, les émotions et les ressentis peuvent représenter un intérêt pour le chercheur : le ressenti peut être un miroir de ce que les acteurs ont ressenti, les réactions émotionnelles peuvent fournir de précieuses pistes analytiques ou servir à identifier des biais possibles (Emerson et al., 2001). Par exemple, durant notre recherche, nous nous sommes interrogé sur notre ressenti face au décès d’un enfant et sur l’impact de ce décès sur notre observation. Nous nous sommes également retrouvé en conflit avec un chirurgien, conflit qui peut biaiser notre lecture d’une situation lorsque cet acteur est présent.

Le chercheur doit trouver un équilibre entre participation et distanciation, entre une immersion suffisante pour capter les données et un recul nécessaire à l’analyse et au regard critique et ne pas tomber ni dans l’excès de l’un ni dans l’excès de l’autre (Garsten, 2011, p. 6) :

Le premier risque est de devenir « native ». Le chercheur s’identifie avec le terrain, s’assimile, et perd toute distance critique. Si l’on est un bon chercheur, on doit être à la limite, mais ne pas la franchir. L’autre risque, encore pire, est le cynisme. Pas l’ironie, le cynisme.

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