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L'UE, d'entrepreneur de politique publique à médiateur d'idées

Quand le projet ViaSilva 2040 est validé par l'Etat français en novembre 2009 au titre de la démarche Ecocité, l’engagement - voire le leadership - de l’UE en matière environnementale semble évident au niveau international, tant par les discours que par son action publique1. L’Union a ainsi progressivement supplanté les États-Unis qui étaient à l'avant-garde des mesures de protection de l’environnement dans les années 1970. Elle a, en effet, régulièrement promulgué des mesures plus sévères, aux plans interne ou international, sur des sujets aussi variés que la gestion des déchets, la pollution aérienne ou encore l’exportation de produits chimiques2

.

1

BERNY, Nathalie. Intégration européenne et environnement: vers une Union verte ?, Politique

européenne, vol. 33, no. 1, 2011, p. 7-36.

2

KRÄMER Ludwig, The Roots of Divergence : A European Perspective, in : Vig Norman J. et Faure Michael G. (dir.), Green Giants ? Environmental Policies of the United States and the European

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L'influence du paquet énergie-climat 2008 sur le Grenelle Environnement

Quand le Grenelle Environnement a été lancé plus de deux ans auparavant, au printemps 2007, le Conseil européen venait juste de se réunir en mars à Bruxelles sur les thèmes de la protection du climat et de la politique énergétique notamment, préfigurant alors un compromis entre les Etats membres sur le plan climat. La porosité des agendas entre le niveau national et supranational ne semble pas un hasard.

C'est ensuite plusieurs mois après le Conseil européen du printemps 2007, qu'un accord politique sur le « paquet énergie-climat » est conclu en décembre 2008 entre les 27 chefs d'État et de gouvernement. Il est immédiatement adopté par le Parlement européen et le Conseil des ministres pour permettre la réalisation de l'objectif des « 3x20 ». Il s'agit, en effet, de faire passer la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique européen à 20%; d'accroître l'efficacité énergétique de 20%; et de réduire les émissions de CO2 des pays de l'Union de 20% d'ici à 2020. On remarquera que ses objectifs sont en lien direct avec les objectifs de tout projet urbain, à fortiori s'il est à vocation durable.

Ce paquet 2008 sera suivi six ans après du « paquet énergie-climat » 2014 fixant de nouveaux objectifs pour 2030 avec les taux respectifs suivants: 27% d'énergies renouvelables dans le mix énergétique ; 27% d'efficacité énergétique; et 40% de réduction des émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990 (ce dernier étant le seul objectif contraignant). Peut-on dire pour autant supposer qu'on soit dans une configuration de type top-down? Sans doute pas, à en juger par les travaux de nombreux chercheurs1, qui montrent que si l'environnement se décide au niveau de l'UE, les mesures communautaires émanent néanmoins souvent de dispositifs nationaux déjà en place. On peut ainsi avancer l'hypothèse d'influences réciproques entre les différentes échelles de gouvernement.

Union, Cambridge (Mass.), MIT Press, coll. « American and comparative environmental policy »,

2004, p. 53-72. 1

HALPERN Charlotte, Governing Despite its Instruments ? Instrumentation in EU Environmental Policy, Western European Politics, vol. 33, n°1, 2010, p39-57.

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Les apports du traité de Lisbonne

On constate aussi qu'au moment où le projet ViaSilva 2040 est labellisé Ecocité, le traité de Lisbonne1 doit alors entrer en vigueur le mois suivant, en décembre 2009, et ainsi renforcer le rôle de l’Union européenne (UE) sur la scène internationale. Pour le dire autrement, les objectifs de la politique environnementale de l’Union permettent désormais la promotion, sur le plan international, de mesures destinées à gérer les problèmes régionaux ou planétaires d’environnement, notamment la lutte contre le changement climatique2

. En effet, le nouveau traité reconnaît explicitement la personnalité juridique de l’UE (art. 47 TUE), ce qui lui permet par conséquent de conclure des traités ou d’adhérer à des conventions, comme il le fera pour la COP21 en 2015.

On peut à ce propos s'interroger sur cette propension de l'UE à vouloir développer cette visibilité internationale du « bon élève » en matière d'environnement. Peut-on parler de « greening » (qu'on pourrait traduire par verdissement en français) ou encore de « greenwashing » (autre terme équivalent, souvent utilisé par les entreprises), si l'on en juge par la profusion des textes communautaires sur le sujet depuis les années 1970? Les actes législatifs3 sur l'environnement s'élèvent ainsi à 765 en 20184 (sans inclure ceux sur l'énergie) et ils sont au nombre d'environ 430 actes à la fin 2009 quand le traité de Lisbonne entre en vigueur et le projet ViaSilva est labellisé, ce qui est significatif. Sur ces 765 actes relatifs à l'environnement émis par l'UE, près de 59% ont pour auteur la Commission (451 exactement), ce qui laisse à penser qu'elle est un acteur majeur en la matière. Certains auteurs5 s'interrogent sur ce type de démarche: s'agit-il d'une véritable priorité depuis un moment pour l'UE dans une perspective de construction européenne, ou peut-on émettre l'hypothèse d'un « activisme » à portée surtout symbolique?

1

Le traité de Lisbonne est signé en décembre 2007 dans la capitale portugaise. 2

GUY-QUINT, Catherine,. Document no 1. Les aspects financiers du traité de Lisbonne, Revue

française d'administration publique, vol. 133, no. 1, 2010, p. 123-129.

3

Il est fait référence ici aux actes juridiques contraignants (règlements, directives et décisions); ou les accords de l'UE, i.e. émanant de la Commission, du Conseil de l'UE, du parlement européen, de la CE ou la DG Environnement.

4

Cf. les fiches techniques du parlement européen sur : eur-lex.europa.eu. 5

LACASSE François, Mythes, savoirs et décisions politiques, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Sociologie », 1995, 294 p.

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Le traité de Lisbonne encourage, par ailleurs, la démocratie participative et le dialogue des institutions avec les citoyens. Il introduit, entre autres, un droit d’initiative populaire devant permettre à un million de citoyens européens d’inviter la Commission à présenter une proposition législative (article 11, paragraphe 4, TUE)1. L'idée de « faire participer les citoyens à la décision » semblerait alors opportune après les rejets français et néerlandais du traité établissant une Constitution pour l’Europe signé à Rome le 29 octobre 2004, car l’Union européenne est dans une impasse. La controverse sur le véritable apport du traité de Lisbonne va d'ailleurs enfler car il reprendrait, dit-on souvent, plus de 90 % du traité constitutionnel: la question de sa nouveauté est donc posée et des déclarations symboliques auraient pour vocation de calmer les esprits. Pour autant, la notion de « démocratie participative » est lancée, et elle sera en réalité au cœur de la démarche théorique de l'écocité, comme on y reviendra par la suite, même elle n'est pas exempte de paradoxes. Le traité de Lisbonne associe, en tout cas, la priorité d’un « développement durable » des territoires à celle d'un haut niveau de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement (art. 3 TUE).

Spécificités et influence du 6e programme d’action pour l’environnement

La labellisation Ecocité se produit ainsi au milieu du 6e PAE2 de l'UE, qui se distingue par ses « stratégies thématiques » vis-à-vis des programmes précédents.

Celles-ci consistent en partie à simplifier le droit existant et à fusionner les dispositifs3 par type d'enjeu environnemental: changement climatique, nature et biodiversité, environnement et santé, ressources naturelles et déchets. Cette simplification n'est d'ailleurs pas contradictoire avec la logique à l'œuvre dans le programme précédent, à savoir le 5e PAE, qui consistait à privilégier une approche « plus stratégique et transversale » développée par la Commission depuis le rapport Mieux légiférer de 2002.

1

GILLIAUX Pascal, Le traité de Lisbonne, Courrier hebdomadaire du CRISP, vol. 1976-1977, no. 31, 2007, p. 5-83.

2

Le 6ème programme d’action pour l’environnement (PAE) est élaboré par la Commission européenne pour la période 2002-2012.

3

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Dans le suivant, le 7e PAE, intitulé « Bien vivre, dans les limites de notre planète » et couvrant la période 2013-2020 (sur laquelle le projet rennais évolue encore), l'UE montre sa volonté d'encourager la mise en place d’une société innovante, durable et résiliente d’ici à 2050. Ce sont finalement ces critères qui seront mis en avant par l'équipe présentant le projet ViaSilva. Celui-ci consisterait à promouvoir « l'innovation et la performance technologique » (notamment via la ZAC des Champs Blancs), « l'équité sociale et la prégnance de la nature » sur le site. Du reste, l'UE avoue aussi en creux dans le 7e PAE un manque d'effectivité de sa législation environnementale, et dévoile ainsi une certaine quête de légitimité1.

L'évolution pour la Commission d'une approche légaliste classique vers une approche plus axée sur les « grandes orientations » à donner, avec une collaboration de type « gouvernance » vis-à-vis des acteurs publics locaux ou privés, serait une évolution de taille. La Commission troquerait ainsi son rôle traditionnel d’entrepreneur de politique publique pour celui de médiateur d’idées: au lieu d'imposer des règles à appliquer, elle apporterait une méthodologie et de nouvelles lignes directrices pour une meilleure acceptation par les Etats membres2. Depuis déjà le Conseil de Göteborg, il s'agit pour la Commission de passer à une « approche intersectorielle globale3 ». Il faut par conséquent davantage décloisonner, ne plus aborder les problèmes uniquement par secteur, et intégrer en amont tous les possibles effets induits par toute action publique.

Ces stratégies thématiques du 6e PAE sont finalement en adéquation avec la problématique du développement durable (DD) qui sous-tend une conception nouvelle de l'action publique. Le changement doit être appréhendé de façon désormais systémique et

1

CHEVALIER Émilie. Le 7e programme d’action pour l’environnement de l’Union européenne

« Bien vivre, dans les limites de notre planète » : un modèle européen en quête de légitimité, Revue juridique de l’environnement, vol. 40, no. 2, 2015, p. 298-309.

2

CINI Michelle, Reforming the European Commission : Discourse, Culture and Planned Change, in: Madeleine O. Hosli, Adrian M.A. van Deemen et Mika Widgrén (dir.), Institutional Challenges in the

European Union, Londres, Routledge, 2002, p. 1-20.

3

Commission des Communautés européennes (2001b), Développement durable en Europe pour un

monde meilleur : stratégie de l’Union européenne en faveur du développement durable (Proposition

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