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L'approche par les instruments de politique publique: une analyse plus fine de la fabrique urbaine

Cette approche par les instruments n'est pas nouvelle d'ailleurs, puisqu'il est facile de « retracer l’histoire de ces outils : comptabilité et règles budgétaires, cartographie des

territoires, statistique démographique et économique1 ». Souvent, ces instruments sont d'ailleurs perçus comme techniques et réservés à des spécialistes. Néanmoins, ce sont aussi pour les pouvoirs publics des « supports qui permettent d'agir, de mesurer les résultats, et de

les corriger »2. Et ils présentent en outre l'intérêt de réduire la complexité du monde réel en apportant des « formes renouvelées d'efficacité » par un pilotage fin de l'action publique, tout en légitimant les décisions des élus3.

Toutefois, sous une apparente simplicité, la notion d'instrument de politique publique n'est pas si aisée à cerner puisqu'elle recouvre des phénomènes très variés selon les secteurs ou les territoires étudiés, et peut révéler parfois un manque de cohérence d'ensemble. C'est sans doute la raison pour laquelle chacun y va de sa propre définition. Ainsi, des auteurs comme Bresser et Klock4 voient dans les instruments de politique publique tous les moyens mis à disposition afin d'atteindre un ou plusieurs objectifs (p32). Pour Van der Doelen5, un

1

DESROSIERE Alain, La politique des grands nombres. Histoire de la raison statistique, Paris, La Découverte, 1993.

2

LASCOUMES Pierre, LE GALES Patrick (dir.), Gouverner par les instruments, Paris, Presses de Sciences Po, 2004.

3

LORRAIN Dominique, La dérive des instruments. Les indicateurs de la politique de la ville et l'action publique, Revue française de science politique, 2006/3 (Vol. 56), p. 429-455.

4

BRESSERS Hans, KLOK Pieter-Jan, Fundamentals for a Theory of Policy Instruments,

International Journal of Social Economics, 1988, Vol. 15 Issue: 3/4, p.22-41.

5

DOELEN Van der Frans C.J., The "give-and-take" packaging of policy instruments: optimizing legitimacy and effectiveness, in: Bemelmans-Videc, Marie-Louise, Carrots, sticks & sermons : policy

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instrument représente tout ce qu'un acteur public emploie pour parvenir à certains buts recherchés (p131). Salamon1, quant à lui, souligne la complexité à définir ces instruments, mais note qu'ils se rattachent à quatre éléments majeurs: un système organisationnel, un ensemble de règles formelles et informelles, un support d'attribution, et enfin une catégorie de biens ou d'activités spécifiques, comme détaillé ci-dessous:

Figure 28 : Les instruments de politique publique selon Salamon, in SALAMON Lester M, 2002, op. cit.

instruments and their evaluation, 1998, New Brunswick, New Jersey, Transaction Publishers,

(p129-146). 1

SALAMON Lester M., The Tools of Government: A Guide to the New Governance, Oxford, Oxford University Press, 2002.

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En outre, une revue minutieuse des multiples définitions sur la notion d'instruments publics, réalisée par Perret1 en partant de Dahl & Lindblom2 jusqu'à Varone3, a permis de dégager dans la notion d'instrument l'idée de « moyens, techniques, dispositifs, processus,

méthodes dont dispose l'Etat (mais aussi les collectivités territoriales, pourrait-on rajouter) pour influencer, voire modifier, les comportements des acteurs sociaux-économiques (le groupe cible) en réponse à un problème qui a été identifié » (p29).

Le politiste suisse souligne, du reste, à quel point les typologies d'instruments politiques foisonnent, et combien les cadres méthodologiques sont éclatés: aucun corpus méthodologique unifié et systématique auquel les politistes pourraient se référer unanimement ne serait, en effet, disponible à ce jour. Ainsi Hood4, pour qui l'Etat serait « une boite à outils » (a tool kit en anglais) baserait sa typologie sur la théorie cybernétique5, quand Klock6 fonderait la sienne sur la théorie de l'action humaine7. Pour le politiste Hood8 d'ailleurs, les quatre leviers principaux à activer seraient « l'information, les outils juridiques, l'argent, et les ressources organisationnelles ».

1

PERRET Sylvain, Vers une nouvelle approche instrumentale des politiques publiques de protection

de l'environnement, 2010, Genève, Université de Genève - Faculté des Sciences Economiques et

Sociales. (477 p) 2

DAHL Robert A., LINDBLOM Charles E., Politics, Economics and Welfare, (1ère publication en 1953, The University of Chicago Press), 1992, New Brunswick, New Jersey, Transaction Publishers. 3

VARONE Frédéric, Le choix des instruments des politiques publiques : une analyse comparée des

politiques d'efficience énergétique du Canada, du Danemark, des Etats-Unis, de la Suède et de la Suisse, Bern : Haupt, 1998.

4

HOOD Christopher, The Tools of Government, Londres, Macmillan Press, 1983, p. 72-89 (chap. 5). 5

Un système cybernétique est défini comme un ensemble d'éléments en interaction, sous la forme d'échanges de matière, d'énergie, ou d'information. Peuvent être considérés comme des "systèmes": une société, une économie, un réseau d'ordinateurs, une machine, une entreprise, une cellule, un organisme, un cerveau, un individu, ou encore un écosystème. La cybernétique est donc une science axée sur le contrôle des systèmes vivants ou non-vivants. Elle a été fondée en 1948 par le mathématicien américain Norbert Wiener.

6

KLOK PJ, A Classification of Instruments for Environmental Policy. In: Dente B. (dir.)

Environmental Policy in Search of New Instruments, Environment, Science and Society, 1995, vol 3.

Springer, Dordrecht. 7

L'action humaine repose sur les activités des individus ou des organisations. Pour Klock, tous les comportements dépendent des ressources à disposition et des motivations.

8

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Qui plus est, l'approche entre les auteurs fluctue beaucoup selon les critères retenus. La classification change ainsi selon que les auteurs classent les instruments à partir des ressources engagées1 par les pouvoirs publics, ou selon le niveau de contrainte2 imposé à un groupe cible, ou selon les effets escomptés3, ou encore suivant les comportements attendus des groupes sociaux4 comme le montre la synthèse ci-dessous:

Figure 29 : Classification des instruments de politique publique, Source: Varone (1998) et Perret (2010)

Et puis, rappelons qu'avec le développement des théories néolibérales et la remise en cause de l'efficacité de l'Etat, ce sont non seulement le champs d'action et l'ampleur de son intervention qui ont été réévalués depuis les trente dernières années, mais ce sont aussi de

1

HOOD Christopher, Ibid, 1983. 2

DOERN G. Bruce, Richard Phidd, Canadian Public Policy. Ideas, Structures, Process, Toronto: Methuen, 198, 624 p.

3

MCDONNELL Lorraine M. and ELMORE Richard F., Getting the job done. Alternative policy instruments, Educational Evaluation and Policy Analysis, Vol. 9, No. 2 (Summer, 1987), p.133-152. 4

SCHNEIDER Anne & INGRAM, Helen, Policy Design For Democracy, Lawrence: Kansas, University Press of Kansas, 1997, 241 p.

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nouveaux instruments d'action publique qui se sont développés sous la forme de prêts, subventions, prises de participation, contrats ou conventions, de crédits d'impôts et autres mesures fiscales1.

Figure 30 : Les paradigmes de la « nouvelle gouvernance »,in : Salamon, 2001.

Ainsi, comme l'analyse Salamon dans le tableau ci-dessus, les Etats sont passés dans l'ère de la « nouvelle gouvernance » où les plans ont été remplacés par une pléthore d'instruments d'action publique nouveaux, où l'organisation hiérarchisée (notamment vis-à-vis des territoires) s'est muée en une approche réticulaire, où les partenariats publics-privés se sont multipliés, et où l'art de la négociation a remplacé celui du commandement. De là, découle une palette d'instruments que Salamon détaille par exemple dans le tableau ci-dessous en fonction de leur visibilité auprès des citoyens, et de leur légitimité politique:

1

SALAMON Lester M., The New Governance and the Tools of Public Action: An Introduction, Vol 28 Fordham Urban Law Journal, 2001, 1611.

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Figure 31 : Les instruments d’action en fonction de leur visibilité auprès des citoyens, in Salamon,2001, p 1668

Howlett & Ramesh1 offrent, pour leur part, une autre grille d'analyse des instruments, en les classant selon leur niveau de contrôle par les autorités publiques. Ils les listent ainsi selon la progression suivante avec: a/ une première catégorie qui comprend l'administration directe, ou l'étatisation des moyens de production (comme les nationalisations) ainsi que les règles juridiques (obligations, interdictions, standards); b/ la seconde catégorie inclut les instruments mixtes tels que les outils fiscaux, les autorisations, les subventions publiques, ou la diffusion d'information; c/ et enfin la troisième catégorie regroupe tous les instruments volontaires dont disposent le marché, les associations de la société civile, ou la famille. Il existe donc une multitude d'instruments d'action utilisables pour les acteurs publics, qu'il s'agisse de l'Etat ou des collectivités territoriales, que l'on peut classer selon différents axes.

S’intéresser à tous les instruments utilisés sur un projet urbain revient par conséquent à introduire un lien entre l’activité de décision politique et sa traduction en effets : « l’action

publique est un espace sociopolitique construit autant par des techniques et des instruments que par des finalités, des contenus et des projets d’acteurs2

» (p12), nous disent Lascoumes et Le Galès. Cette approche par les instruments permet par conséquent de décomposer une idée

1 HOWLETT & RAMESH, 1995, Studying public policy, Oxford University Press. 2 LASCOUMES Pierre, LE GALES Patrick, 2004, op. cit., p. 363.

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abstraite et globale de l’État pour saisir les formes effectives de l’action publique, laquelle n’est jamais, hélas, que le résultat partiel de l’intention initiale des décideurs.

La notion d’instrument ou « instrumentation de l’action publique » (qui se veut plus large), et qui apparait sous l'acronyme d'IAP, a aussi été analysée dans un ouvrage collectif1 et elle se définit comme un « dispositif à la fois technique et social qui organise des rapports

sociaux spécifiques entre la puissance publique et ses destinataires en fonction des représentations et des significations dont il est porteur » (p. 17). Le cadre de l’IAP permet

finalement de questionner les hypothèses sur les transformations néolibérales des politiques publiques dans de nouveaux termes, tout comme leur politisation et dépolitisation, ou encore de scruter les stratégies de gouvernance à l'œuvre. Il convient donc, comme le souligne Michael Howlett dans le même ouvrage, de veiller à « comprendre qui sont ces acteurs et

comment ils agissent [; c'] est un aspect fondamental de toute conception d’instrument de politique publique » (p. 304).

Pour ce qui concerne les politistes français Lascoumes et Le Galès, on note l'empreinte de Hood qui serait, selon eux, le premier à avoir « développé une perspective analytique

rigoureuse et systématique2 ». Cela explique probablement qu'ils proposent une typologie inspirée de celui-ci, et classent les instruments en lien avec le type d'Etat qui agit, et la légitimité qui est requise, comme résumé dans le tableau ci-dessous:

1

HALPERN Charlotte, LASCOUMES Pierre, LE GALES Patrick (dir.), L'instrumentation de l'action

publique. Controverses, résistance, effets, Paris, Presses de Sciences Po, coll. « Gouvernances », 2014,

520 p. 2

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Figure 32 : Les types d’instruments politiques, in LASCOUMES Pierre, LE GALES Patrick, op. cit., 2004

Nous reprendrons par la suite en sous-partie 3/ de ce chapitre cette typologie tout à fait éclairante à savoir les instruments relevant du:

1. Juridique 2. Economique 3. Conventionnel 4. Informatif 5. Normatif

... pour l'adapter à notre objet d'étude qu'est le projet urbain durable, en y ajoutant aussi la variable organisationnelle ainsi que les outils de contrôle, qui semblent souvent manquer chez les pouvoirs publics français:

6. Organisationnel

7. Contrôle (de préférence ex-post).

...et en les couplant également avec une approche séquentielle sur les différentes phases d'un projet urbain.

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Enfin, soulignons aussi que l’approche par les instruments permet de saisir la transformation du rapport gouvernant/gouverné à partir d’un marqueur concret de l’action publique. Ainsi, les transformations de l’État et les recompositions des pratiques apparaissent à travers les outils choisis, mais la tension permanente entre contrainte et incitation demeure. En outre, dans une perspective internationaliste, la question du transfert des instruments offre un chantier renouvelé pour « appréhender les phénomènes de circulation des idées et des

modèles, mais aussi les dynamiques d’appropriation et de réinterprétation1

». On met ainsi à jour, via ces instruments d'action publique, non seulement la créativité politique des acteurs, ou les rapports entretenus entre les décideurs et leurs administrés, mais aussi le soft power, c'est à dire l'influence de certaines valeurs et pratiques sur certaines zones géographiques - avec un rapport de plus en plus exigeant à l'environnement notamment - et sur un espace politique qui peut désormais être étendu à celui de l'Union européenne pour ce qui concerne la France et le Danemark.

2) Les projets d'écocité/écoquartier: des outils 2.0

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