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Interface Acteur

0.4.2. L A THÉORIE DE LA RÉGULATION SOCIALE

La théorie de la régulation sociale traite de problématiques qui concernent de fait l’interface et qui se manifestent dans l’activité de production, de maintien, de changement de règles. Ces problématiques renvoient au contrôle et à l’autonomie, au conflit et à la négociation.

0.4.2.1.

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ÉFUTATIONS FONDATRICES ET OBJECTIFS

La théorie de la régulation sociale a été initiée dans le domaine des relations professionnelles puis étendue aux organisations, notamment pour comprendre le conflit et la négociation (Reynaud, 1979)100 et rendre compte de l’articulation entre contrainte et liberté (Amblard et al., 1996)101. Elle

propose un schéma général de l’action sociale.

Construite par induction, cette théorie privilégie très nettement l’individualisme méthodologique et s’appuie sur la rationalité limitée de l’acteur. Les concepts clés de la théorie sont le conflit, la règle et la négociation.

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95 Ibid. 96 Ibid., 177-178

97 Jamous H., Contribution à une sociologie de la décision : la réforme des études médicales et des structures hospitalières, Paris,

Copédith, 1968.

98 Crozier M. et Friedberg E, L’acteur et le système, op. cit., p 86. 99 Ibid., p. 169-170

100 Reynaud J.-D., « Conflits et régulation sociale. Esquisse d’une théorie de la régulation conjointe », op. cit.

101 Amblard D., Bernoux P., Herreros G., Livian Y.-F., Les nouvelles approches sociologiques des organisations, Éditions du Seuil,

Reynaud se démarque d’un paradigme classique en sociologie (auteurs comme Weber ou Durkheim) selon lequel les règles et normes d’un système détermineraient les comportements des acteurs. Pour la théorie de la régulation sociale, ce sont les acteurs qui produisent le système et non l’inverse. Le poids des contraintes n’équivaut jamais à un déterminisme, bien que le contexte soit toujours structuré. L’individualisme méthodologique, comme pour l’analyse stratégique, constitue donc la matrice de la théorie de la régulation sociale ; l’auteur est à cet égard explicite : « (…)

l’individualisme méthodologique oblige non seulement à ne pas multiplier les êtres collectifs (…), mais à ne pas les poser comme des donnés, à obliger de rendre compte de leur constitution et à expliquer comment ils

peuvent agir » (Reynaud, 1991)102.

Cette option met l’acteur au centre de l’analyse. Celui-ci est caractérisé par sa rationalité limitée. La rationalité de la décision de l’acteur ne renvoie donc pas à une maximisation immédiate, elle fonde une stratégie qui cherche un avantage dans un jeu répété, à terme donc, lui-même fondé sur une réciprocité de l’engagement (Reynaud, 1991)103.

L’action collective repose sur la création d’une contrainte sociale, qu’elle soit physique, morale, de nature stratégique (Reynaud, 1991)104. Ces contraintes constituent des règles du jeu qui fixent les

conditions pour appartenir à un système social et donc les limites à ne pas franchir sans en risquer l’exclusion.

Ces règles sont le produit de la rencontre des acteurs et constituent un principe organisateur. Liées à un projet d’action commune, elles sont plus un « guide d’action », qui sert d’« étalon et de modèle de

référence » (Reynaud et Reynaud, 1994)105, qu’une injonction, qu’une interdiction qui déterminent

strictement un comportement.

Les règles ne sont pas étudiées pour elles-mêmes dans cette théorie mais pour la régulation sociale opérée à travers l’activité qui consiste à les former et à les maintenir. Cette régulation, dont l’auteur cherche à rendre compte, est une activité inhérente à la constitution même des acteurs (Reynaud, 1988)106. Un acteur émerge en fabriquant des règles, pas nécessairement explicites, loin

s’en faut, qui lui permettent de structurer son environnement pour s’insérer dans un jeu social et en tirer partie. L’acteur ainsi caractérisé correspond à l’unité active de Perroux (1975)107.

Il y a plusieurs types de règles dans les organisations, et plusieurs sources de régulation, bien qu’elles n’aient pas la même légitimité, ni le même pouvoir. L’auteur étudie principalement les rapports entre les règles qui émanent de la direction et qui sont censées être respectées par les exécutants, appelées règles de contrôle, et celles qui sont générées par les groupes d’exécutants, les règles autonomes.

Ces deux populations sont très fréquemment associées à cette théorie ; l’auteur lui-même y fait généralement référence. Cependant, et plus fondamentalement, la théorie traite d’une relation spécifique, « celle qui s’établit entre un groupe et ceux qui veulent le régler de l’extérieur » (Reynaud, 1988)108. Elle traite, en somme, de l’hétéronomie. L’auteur ajoute également que le

problème de la confrontation des différentes sources de régulation légitimes ou prétendant l’être se

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102 Reynaud J.-D., « Pour une sociologie de la régulation sociale », in Reynaud J.-D., Le conflit, la négociation et la règle, Octarès

Éditions, 1985, 2ème édition augmentée 1999, p. 231. Publié dans Sociologie et sociétés, XXIII, 2, automne 1991, pp. 13-26. 103 Ibid., p. 234.

104 Ibid., p. 231.

105 Reynaud E. et Reynaud J.-D., « La régulation conjointe et ses dérèglements », in Reynaud J.-D., Le conflit, la négociation et

la règle, Octarès Éditions, 1985, 2ème édition augmentée 1999, p. 247. Publié dans Le travail Humain, 57, 3, 1994, pp. 227-238. 106 Reynaud J.D., « Les régulations dans les organisations : régulation de contrôle et régulation autonome », in Reynaud J.D.,

Le conflit, la négociation et la règle, Octarès Éditions, 1985, 2ème édition augmentée 1999, p. 184. Publié dans la Revue Française

de Sociologie, XXIX, 1988, pp. 5-18.

107 Perroux F., Unités actives et mathématiques nouvelles, Dunod, Paris, 1975, 325 p. 108 Reynaud J.D., « Les régulations dans les organisations... », op. cit., p. 162.

retrouve à tous les niveaux : entre niveaux hiérarchiques, entre hiérarchiques et fonctionnels, entre l’interne et l’externe, etc. (Reynaud et Reynaud, 1994)109, c’est-à-dire dans toute interface.

0.4.2.2.

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ÉGULATION DE CONTRÔLE

,

RÉGULATION AUTONOME ET CONFLIT

Le point de départ de la théorie de la régulation sociale se situe dans les travaux dirigés par Elton Mayo à la Western Electric, notamment ceux de Roethlisberger F.J. et Dikson W. en 1939110. Ces

auteurs distinguent l’organisation formelle de l’organisation informelle. Selon eux, chacun de ces deux types d’organisation repose sur un système idéologique. L’organisation formelle repose sur une logique d’efficacité et d’efficience, l’organisation informelle sur une logique du sentiment et de l’affectivité, inhérente aux relations sociales.

Les deux logiques peuvent exister aussi bien au sein du personnel de base que de la direction, bien que l’efficacité et l’efficience préoccupent généralement davantage l’encadrement, inversement pour la logique des sentiments. Pour les auteurs, la logique des sentiments est endogène à la vie sociale, contrairement à la logique de l’efficacité et de l’efficience, qui répond à des contraintes externes de production et de marché.

Pour Reynaud, les termes « organisation formelle » et « organisation informelle » sont mal adaptés. La régulation des subordonnés n’est pas moins tournée vers l’efficacité que celle de la direction, elle affirme simplement son autonomie ; elle est nommée “régulation autonome”. La régulation de la direction a pour objet de contrôler les zones de liberté que les salariés s’octroient, de peser sur leurs régulations, d’où la “régulation de contrôle”.

Ce ne sont plus les dimensions formelles et discursives qui caractérisent chacune des deux populations — l’organisation formelle étant fondée sur la raison, l’organisation informelle sur l’émotion — mais la dimension politique. L’activité politique, et par conséquent finalisée, que développent les deux groupes, dont l’instrument privilégié est la règle, semble être ce qui est appelée par l’auteur « régulation ».

Cette reformulation du problème s’appuie sur l’analyse stratégique de Crozier et Friedberg en tant que paradigme sociologique (Reynaud, 1988)111. L’analyse classique de la dialectique formel-

informel est ainsi ramenée à celle des relations de pouvoir.

La régulation de contrôle est définie « seulement par son orientation stratégique : peser de

l’extérieur sur la régulation d’un groupe social » (Reynaud, 1988)112. Le pouvoir officiel utilise la

régulation de contrôle autant comme une fin que comme un moyen. Le contrôle est un objectif en soit, quitte à ce que des décisions contre-productives soient prises en termes de bonne gestion (Reynaud et Reynaud, 1994)113.

La régulation autonome, quant à elle, est une réponse aux efforts de contrôle extérieur. Souvent très élaborée, elle vise à conquérir des positions face à ce contrôle. Elle fait par ailleurs l’objet d’apprentissage et est imposée à ceux qui veulent y déroger (Reynaud, 1988)114. L’auteur ajoute que

« le développement de la régulation autonome est subversif parce qu’elle est elle-même une entreprise » (Reynaud, 1997)115.

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109 Reynaud E. et Reynaud J.-D., « La régulation conjointe et ses dérèglements », op. cit., p 248.

110 Roethlisberger F.J. et Dikson W., Management and the Worker, Cambridge, Harvard University Press, 1939. 111 Reynaud J.D., « Les régulations dans les organisations... », op. cit.

112 Ibid.

113 Reynaud E. et Reynaud J.-D., « La régulation conjointe et ses dérèglements », op. cit., p. 252. 114 Reynaud J.D., « Les régulations dans les organisations... », op. cit., p. 161.

La différenciation stratégique des acteurs conduit nécessairement au conflit, ce dernier pouvant prendre des formes très diverses. Selon Reynaud, le conflit n’est pas une anomie. C’est une modalité de fonctionnement normal puisque chaque acteur tente de faire admettre sa rationalité aux autres afin de faire infléchir leurs comportements. La rencontre des acteurs au travers du conflit permet de construire une action collective, de réguler leurs interactions sociales. À travers lui se définissent des règles du jeu : « le conflit oblige à rechercher et à formuler une définition commune

et mutuellement acceptable de son enjeu ». Il est souvent un détour nécessaire pour définir une base

d’accord, « le fondement d’une régulation conjointe » (Reynaud et Reynaud, 1994)116.

0.4.2.3.

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A RÉGULATION CONJOINTE

La régulation conjointe correspond au dépassement, pour un temps, du conflit. Elle advient d’un compromis trouvé par les acteurs préalablement engagés dans un processus de négociation. La négociation est définie comme : « tout échange où les partenaires cherchent à modifier les

termes de l’échange, toute relation où les acteurs remettent en cause les règles et leurs relations »

(Reynaud, 1995)117. Elle peut être formelle, implicite, se développer entre des individus ou des

groupes. La négociation n’est pas une étape dans les relations des acteurs, mais un processus permanent qui accompagne les relations des individus. Ainsi, entre les différentes sources de régulation, l’échange, les conflits, la négociation sont permanents.

La négociation est un élément central de la théorie de la régulation sociale dans la mesure où elle comprend les efforts et concessions que les acteurs font pour élaborer ensemble des règles. Ce faisant, ils découvrent ou inventent des points de convergence de leurs attentes mutuelles (Reynaud, 1991)118.

La régulation conjointe est une opération à travers laquelle les acteurs trouvent un compromis qui organise, à partir des règles du jeu et à travers elles, un contrôle croisé relativement acceptable et accepté. Cela conduit Reynaud à considérer la régulation conjointe comme une opération de contrôle social (Reynaud, 1995) 119.

Elle ne constitue cependant pas un équilibre au sens strict. Le point de convergence auquel elle aboutit est relatif, tant le compromis n’est pas la moyenne des positions des acteurs, mais une solution provisoire, acceptable par tous, raisonnablement cohérente (Reynaud, 1979)120. La

régulation conjointe, qui régule le degré de contrôle et d’autonomie, est fondamentalement instable. Elle n’éradique pas le conflit, d’autant plus que l’accord est très rarement complet et total (Reynaud et Reynaud, 1994)121.

À la reproduction inlassable de compromis provisoires et précaires, s’ajoute une difficulté pour les gestionnaires, si ce n’est la difficulté principale : le fait que la régulation conjointe est un cas particulier dans la rencontre des régulations de contrôle et autonome parce qu’elle est le produit d’une négociation explicite (Reynaud et Reynaud, 1994)122. La négociation explicite est un mode

de négociation exceptionnel, si bien qu’il se développe souvent une cohabitation, une juxtaposition de deux régulations parallèles plutôt qu’une pleine régulation conjointe : « entre le

conflit ouvert et l’évitement complet, s’étend un large espace où cohabitent toutes les variantes de la

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116 Reynaud E. et Reynaud J.-D., « La régulation conjointe et ses dérèglements », op. cit., p. 255. 117 Reynaud J.-D., Le conflit, la négociation et la règle, op. cit.

118 Reynaud J.-D., « Pour une sociologie de la régulation sociale », op. cit. 119 Reynaud J.-D., Le conflit, la négociation et la règle, op. cit.

120 Reynaud J.-D., « Conflits et régulation sociale... », op. cit.

121 Reynaud E. et Reynaud J.-D., « La régulation conjointe et ses dérèglements », op. cit., p 250. 122 Ibid., p 249.

coopération conflictuelle et de l’esquive partielle. » Et l’auteur de préciser que ces variantes aboutissent

à une productivité sous-optimale (Reynaud et Reynaud, 1994)123.

Le conflit latent est donc la situation la plus couramment observée. Il coïncide avec un partage de territoire entre les acteurs (Reynaud, 1997)124 et des frontières organisationnelles difficilement

franchissables. L’absence de négociation explicite ne signifie toutefois pas absence de négociation. Cette dernière est le plus souvent à l’œuvre tacitement, implicitement, informellement, clandestinement (Reynaud, 1991)125.

Les approches sociologiques explicitent le fonctionnement à l’interface organisationnelle essentiellement en termes de relation de pouvoir, de conflit-coopération, de négociation, de compromis et de règles du jeu. Ces approches sont extrêmement riches et détaillées mais ne considèrent pas la performance dans leurs analyses. C’est pourquoi nous faisons appel à la théorie socio-économique des organisations pour compléter notre cadre théorique. En ce sens, Péron (2002)126 souligne le rôle d’intégration des sciences de gestion. Les sciences de gestion réalisent

des « incursions dans les domaines de la sociologie, des sciences économiques, du droit, pour ne dresser

qu’une liste incomplète. […] La gestion va au-delà d’elle-même pour devenir une métascience dont la raison d’être est d’assurer la synchronisation de ces divers domaines dans un cadre souvent conflictuel ».