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PROCESSUS D’INTÉGRATION DIFFÉRENCIATION

IMPLICATIONS À L ’ INTERFACE DES ENTITÉS

1.2. L’INTÉGRATION ET LA DIFFÉRENCIATION AU SEIN DE L’ORGANISATION : IMPLICATIONS À L’INTERFACE DES ENTITÉS

1.2.3. L ES APPROCHES SOCIOLOGIQUES

Les approches sociologiques mettent l’accent, plus que toutes autres, sur la fragmentation sociale de l’organisation résultant de la différenciation de ses parties et, partant, sur leur difficile coexistence et ses mécanismes de régulation.

Cela concerne particulièrement les sociologies interactionnistes comme l’analyse stratégique et la théorie de la régulation sociale. Celles-ci insistent davantage sur le développement endogène de la différenciation et sur les contraintes organisationnelles qui obligent à l’intégration. Les économies de la grandeur, quant à elles, mettent l’emphase sur les modalités de la construction des accords, les modalités de la construction de l’intégration. Sur ces bases, l’interface apparaît, dans ces trois approches, comme un construit politique et/ou cognitif.

1.2.3.1.

L'

ANALYSE STRATÉGIQUE

L’analyse stratégique considère l’interface comme un espace socio-organisationnel relativement autonome qui réalise la régulation de la différenciation et de l’intégration des entités. La différenciation provient de la différence des objectifs et des stratégies portés par les acteurs et leur étant propres alors que l’intégration est un processus assez contraint d’alignement stratégique et politique. La régulation s’opère essentiellement par le conflit et la négociation.

1.2.3.1.1. L

A DIFFÉRENCIATION COMME CONSTRUIT POLITIQUE

L’analyse met l’accent sur la forte différenciation au sein de l’organisation. Cette différenciation produit des discontinuités, des fractionnements, voire des ruptures, à tel point que l’organisation apparaît comme une juxtaposition de régulations sociales locales et partielles (Friedberg, 1993)324.

Cette différenciation est fondamentalement politique et stratégique ; elle est sous-tendue par les objectifs et stratégies contradictoires poursuivis par les acteurs, qu’ils reconstruisent dans leurs interactions selon les opportunités qu’ils découvrent et qu’ils se créent.

Les acteurs individuels ou collectifs sont ainsi différenciés parce qu’ils cherchent à accroître ou à préserver leur pouvoir, c’est-à-dire leur autonomie, leur marge de manœuvre, leur capacité à se soustraire aux contraintes et à structurer leur environnement pertinent à leur avantage.

Pour ce faire, les acteurs, d’une part, construisent et contrôlent des zones d’incertitude et, d’autre part, réduisent leur dépendance par rapport aux autres en découplant autant que possible leur fonction ou leur tâche de celles des autres (Friedberg, 1993)325. Ce découplage est la conséquence de

l’apparition d’objectifs et de stratégies propres, autant qu’il en est la source. Le phénomène d’autonomisation des entités, autrement dit le phénomène politique de leur (trans)formation, est indissociable de leur différenciation.

Cette différenciation n’est cependant pas radicale. Les entités cherchent en effet à se découpler le plus possible mais sont contraintes à un certain niveau de couplage par l’organisation, à travers l’atteinte de ses objectifs et le respect de ses règles du jeu. Les entités se soumettent au moins partiellement à ces contraintes, sous peine d’être exclues du jeu. Ces contraintes sous-tendent l’intégration, même limitée, des entités.

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324 Friedberg E., Le pouvoir et la règle… op. cit., p. 189. 325 Ibid.

1.2.3.1.2. L’

INTÉGRATION COMME CONTRAINTE

L'intégration des comportements est analysée comme un « processus indirect par lequel les

acteurs se trouvent contraints, s'ils veulent gagner ou au moins minimiser leurs pertes, d'adopter une stratégie “gagnante”, c'est-à-dire rationnelle dans le jeu, donc une stratégie donnant prise aux contraintes du jeu » (Crozier et Friedberg, 1977)326.

Il est donc rationnel pour eux de se plier aux règles du jeu ; quelque soit leurs motivations propres, ils concourent ainsi aux buts communs (Crozier et Friedberg, 1977)327. Finalement, la

différenciation est, dans cette approche, un phénomène assez spontané, alors que l’intégration est un phénomène assez contraint.

L’intégration et la différenciation font système et participent de la stabilité relative de l’organisation à travers l’interdépendance que ces processus impliquent. L'intégration, qui renvoie à un alignement des objectifs, stratégies et comportements locaux des acteurs, est contrainte par les règles du jeu, dont le respect détermine à un moment donné la participation au jeu. Elle contrebalance la différenciation tendancielle des entités et s’opère par la négociation, le plus souvent informelle. La négociation porte sur un échange de comportements coopératifs mais aussi sur les règles qui structurent le jeu.

Dans ce contexte politique, les acteurs aux interfaces sont privilégiés par leur position : « la distance

est un moyen de gouvernement. Elle avantage ceux qui sont aux nœuds du système et jouent alors un rôle

particulier dans son gouvernement » (Friedberg, 1993)328. Dans le même temps, ces acteurs, dits

« intégrateurs », ont une contribution majeure dans la régulation des relations conflictuelles entre participants parce qu’ils jouent le rôle d’arbitre. Forts de leur position, ils assurent une partie de la régulation en réalisant des équilibrages. Sans eux, le système s'étiolerait (Friedberg, 1993)329.

1.2.3.1.3. L’

AUTONOMISATION ET L

INDÉTERMINATION A PRIORI DE LA FRONTIÈRE

Nous avons développé dans le chapitre introductif les mécanismes d’autonomisation des relations frontières. Nous les rappelons ici brièvement avant de souligner que, d’après les auteurs, la frontière ne peut être donnée a priori et que son identification, du fait de sa contingence, est en soit un problème de recherche.

La frontière organisationnelle est une zone interactionnelle qui s’autonomise du fait des enjeux locaux autour desquels elle se structure. Cette autonomisation est fondée sur la logique du monopole, qui anime les acteurs frontaliers.

En effet, chaque acteur frontalier, dans la poursuite de ses objectifs propres, cherche à devenir le seul interlocuteur pour son alter ego, tout en se ménageant des partenaires de rechange. Les acteurs se contraignent ainsi mutuellement, ce qui assure la stabilité des relations.

Les auteurs observent, dès lors que les acteurs frontaliers jouent ce jeu, un « processus cumulatif et

réciproque de renforcement du pouvoir respectif » (Crozier et Friedberg, 1977)330, si bien qu’entre

les entités se forme un « système d’action doué de ses caractéristiques propres, obéissant à ses

propres mécanismes de régulation et secrétant donc ses propres règles du jeu » (Crozier et

Friedberg, 1977)331.

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326 Crozier M. et Friedberg E., L’acteur et le système… op. cit., p. 231. 327 Ibid.

328 Friedberg E., Le pouvoir et la règle… op. cit., p. 249. 329 Ibid., p. 179.

330 Crozier M. et Friedberg E., L’acteur et le système… op. cit., p. 175. 331 Ibid., p 176

C’est ainsi que les acteurs frontaliers et leurs relations s’autonomisent par rapport à leur entité d’appartenance respective. Ils construisent un « système d’action relativement autonome dont la

logique propre sera irréductible à la finalité première et à la rationalité instrumentale qui ont présidé à sa

naissance » (Crozier et Friedberg, 1977)332.

Les auteurs ajoutent que, lorsque les entités disposent toutes deux d’un monopole sur l’autre, alors par obligation elles coopèrent. Le système de relation devient très intégré et autonome, avec symbiose et solidarité (Crozier et Friedberg, 1977)333.

Ces mécanismes sont génériques puisqu’ils caractérisent toutes relations aux frontières. En d’autres termes, l’autonomisation de la frontière concerne autant les frontières externes qu’internes, bien que, s’agissant des frontières externes, les acteurs peuvent quitter plus librement le jeu (Crozier et Friedberg, 1977)334. L’identification de la frontière et les ressorts concrets des relations qu’elle

structure ne peuvent, en revanche, être posés a priori tant le système frontalier effectif ne coïncide pas avec les frontières formelles (Friedberg, 1993)335.

La frontière fluctue, ainsi que son degré d’ouverture, en fonction des circonstances, des problèmes à résoudre, des enjeux tout autant de la capacité des acteurs à la manipuler (Friedberg, 1993)336.

Cela brouille la séparation claire entre les entités, relativise et problématise la notion de frontière. En conséquence, la délimitation effective des entités devient objet de recherche et ne pourra être établie qu’à son issue (Friedberg, 1993)337.

1.2.3.1.4. U

N ACTEUR STRATÈGE

L’acteur est, dans l’analyse stratégique, un stratège opportuniste. Il est en interdépendance avec les autres acteurs au sein d’une organisation vue comme un système, elle-même en interdépendance avec d’autres organisations.

L’acteur est caractérisé par une autonomie irréductible, en dépit des contraintes qu’implique l’organisation. Il ne se conforme donc pas aux rôles qui lui sont assignés par la structure formelle ; il les interprète.

Il mobilise cette autonomie, ou marge de liberté, pour réaliser ses propres objectifs et stratégies. Cette autonomie représente une incertitude pour les autres avec qui il est en interrelation. D’elle il tire un pouvoir, c’est-à-dire une capacité à obtenir de la part des partenaires des comportements qui servent ses objectifs. Puisque ses partenaires contrôlent également des zones d’incertitude pour la réalisation de leurs propres objectifs, les acteurs négocient des comportements coopératifs. En outre, la conduite de l’acteur est rationnelle, mais sa rationalité est limitée. En conséquence, les objectifs et les stratégies de l’acteur se (re)construisent dans ses interactions avec ses partenaires, en fonction des opportunités qui émergent de ces interactions. Dans ce cadre, l’acteur ne choisit pas la solution optimale mais une solution satisfaisante.

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332 Ibid. 333 Ibid., 177-178 334 Ibid., pp. 169-170.

335 Friedberg E., Le pouvoir et la règle… op. cit., p. 103. 336 Ibid., p. 104.

1.2.3.1.5. U

NE INTERFACE POLITIQUE

L’interface est représentée, dans l’analyse stratégique, comme un espace politique où des acteurs finalisés négocient des comportements coopératifs et des règles. Cette activité de négociation permet de réguler dynamiquement la différenciation et l'intégration des entités, analysées à travers leurs comportements.

La différenciation est essentiellement une différenciation stratégique, les acteurs développant des objectifs non spontanément convergents, d’où le conflit. L’intégration, quant à elle, résultant des contraintes d’interdépendance des acteurs, est un processus d’alignement stratégique et politique. Cette dialectique, politique, entre différenciation et intégration, stabilise l’interface et l’autonomise dans la mesure où les jeux et les enjeux locaux polarisent le comportement des acteurs plus que les objectifs généraux de l’organisation, toujours en arrière plan. L’interface sécrète alors ses propres règles et ses propres mécanismes de régulation. Elle peut dès lors être analysée comme un système d’action concret qui réalise la régulation des dynamiques d’intégration-différenciation. Au final, l’interface constitue un « ordre local » (Friedberg 1993)338, une construction relativement

autonome en perpétuel changement où s’organise, par les mécanismes exposés ci-dessus, un marché de comportements qui se structure dynamiquement autour de règles (Friedberg 1993)339.

La frontière constitue l’espace socio-organisationnel de cet ordre local, où les dynamiques d'intégration et de différenciation sont régulées à travers par le conflit et la négociation, notions que développe plus particulièrement la théorie de la régulation sociale.

1.2.3.2.

L

A THÉORIE DE LA RÉGULATION SOCIALE

L’interface apparaît dans la théorie de la régulation sociale comme un espace politique médiatisé par règles dont la problématique fondamentale réside dans la dialectique du contrôle et de l‘autonomie, le contrôle correspondant à une prescription d’intégration, l’autonomie à la construction d’une différenciation. L’intégration et la différenciation des entités, dont les finalisations respectives sont encadrées par une régulation commune, sont régulées à travers le conflit et la négociation.

1.2.3.2.1. L

A DIALECTIQUE DU CONTRÔLE ET DE L

AUTONOMIE OU LA PRESCRIPTION