• Aucun résultat trouvé

Interface Acteur

APPRENTISSAGE ORGANISATIONNELS

L’amélioration de l’interaction entre structures et comportements suppose la transformation de l’organisation. Cette confiance en la capacité propre des organisations à développer de manière endogène leur performance s'appuie sur les travaux de l’économiste François Perroux, notamment sur sa théorie des unités actives. Pour Perroux (1975)154, « une unité est dite active si, par son action propre et dans son intérêt propre, elle est capable de modifier son environnement, c’est-à-dire le comportement des unités avec lesquelles elle est en relation. Elle est couplée avec son environnement, plastique sous l’effet de son action ».

La théorie socio-économique contient une transposition au champ des sciences de gestion du concept d’unité active (Savall, 1979)155. Toute organisation est composée d'acteurs dotés d'énergie

de changement, qui peuvent modifier leur environnement ; ces acteurs sont des unités actives élémentaires. Du point de vue sociologique, cela signifie que les acteurs ont des marges de liberté irréductible, lesquelles leur permettent d’élaborer des stratégies propres. Le potentiel d'énergie dépend des zones d'incertitude contrôlées par les acteurs (Crozier et Friedberg, 1977).

À l’image de la théorie des unités actives, dont l’analyse privilégie l’agent économique plutôt que le système macro-économique, la théorie socio-économique accorde une place centrale à l’acteur, ses compétences, son comportement, bien qu’elle considère la relation structure-comportement asymétrique au “profit” des structures. Cela parce que l’action ne peut être qu’humaine. Cela nous donne à penser que la théorie est proche de l’individualisme méthodologique.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

150 Morin E., La méthode. Tome 1, La nature de la nature, Éditions du Seuil, 1977, p. 222. 151 Savall et Zardet, Maîtriser les coûts et les performances cachées, op. cit., p. 123 et suivantes.

152 Savall et Zardet, Le nouveau contrôle de gestion : méthode des coûts-performances cachés, Éditions Comptables Malesherbes-

Eyrolles, p. 39!

153 Savall et Zardet, Maîtriser les coûts et les performances cachées, op. cit., p. 25. 154 Perroux F., Pouvoir et Économie, Dunod, 1975, p. 99.

L'actualisation des ressources latentes de l’organisation nécessite le changement du fonctionnement de l'organisation. Sur cette base, la théorie socio-économique contient une théorie de la conduite du changement organisationnel, dénommée intervention socio-économique. Cette intervention consiste, fondamentalement, à équilibrer, au sens de Piaget (1975)156, l’ambi-

système structures-comportements, c’est-à-dire qu’elle cherche à transformer les régulations en vigueur entre les acteurs. Dans ce cadre, les travaux des auteurs se sont attachés à démontrer la compatibilité entre l’accroissement de performances économiques et l’accroissement de performances sociales.

Les auteurs théorisent le changement par l’articulation de trois facteurs : un processus d’innovation socio-organisationnelle, une instrumentation de gestion et des décisions politiques et stratégiques157.

Le processus d’innovation socio-organisationnelle a pour fonction de développer la prise de décision et sa mise en œuvre en explicitant les ressources potentialisées par les dysfonctionnements. Il articule quatre phases formant un cycle de résolution de problèmes : diagnostic, projet, mise en œuvre et évaluation.

L’instrumentation renvoie au renforcement des capacités générales de pilotage des managers. L’intervention implante aux interfaces de l’organisation six outils synchronisés entre eux, couvrant les domaines de la mise en œuvre stratégique, des indicateurs de gestion, de la gestion des compétences, de la gestion du temps et de la contractualisation des performances.

Enfin, les décisions politiques et stratégiques, relevant de la hiérarchie, finalisent et organisent le changement. Elles portent par exemple sur la stratégie produits-marchés, les règles du jeu ou la politique sociale.

La dynamique générée par ces facteurs enclenche un processus de négociation collective, dans lequel les acteurs définissent de nouvelles modalités de régulation socio-économiquement préférables. Cette négociation est source d'apprentissage et de nouvelles règles du jeu, comme le développe la théorie de la régulation sociale.

La négociation explicite entre acteurs individuels et collectifs est centrale dans cette théorie car elle considère l'organisation comme un espace de conflit-coopération (Perroux, 1975)158, dont l'état

spontané est conflictuel, et la contractualisation comme une technique de stabilisation, toujours provisoire et précaire, des comportements humains.

Les différentes approches retenues forment, croyons-nous, un cadre conceptuel cohérent à même de constituer un outil heuristique pertinent pour l’étude des interfaces. Ces approches sociologiques et gestionnaires sont compatibles et complémentaires pour notre étude. Elles partagent une même base épistémologique ; elles sont ancrées dans l’individualisme méthodologique et reconnaissent la rationalité limitée de l’acteur.

Les deux approches sociologiques éclairent la régulation aux interfaces ; la troisième, gestionnaire, peut englober les premières et introduit le concept d’équilibration comme sous- bassement à l’intervention sur ces régulations, via le pilotage, et l’évaluation de la performance.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

156 Piaget J., L'équilibration des structures cognitives... op. cit.

157 Nous développerons l'architecture de l’intervention socio-économique au chapitre 2, lorsque nous expliciterons la

méthodologie de recherche adoptée, l'intervention socio-économique étant une forme particulière de recherche-intervention, ainsi que l’instrumentation de gestion au chapitre 6, lorsque nous développerons le pilotage des interfaces.

Après avoir explicité le cadre théorique de la recherche, nous en présentons le fil conducteur.

0.5.

FIL CONDUCTEUR DE LA THÈSE

Nous avons opté pour une présentation en trois parties et sept chapitres. La première partie présente, en deux chapitres, les fondements de la recherche. Le premier chapitre est consacré à la définition de l’objet de recherche. L’interface apparaît comme une zone relativement autonome de communication et de coordination, de pouvoir, d’interdépendance et de contradiction. Ce chapitre, à travers l’étude de 10 corpus théoriques, montre que l’interface est par nature critique et instable en raison de la régulation des processus d’intégration-différenciation qui s’y opère. Le chapitre 2 présente le cadre expérimental de la recherche. Il explicite la collecte, la structuration et le traitement des informations soumises au processus de recherche. La méthodologie est fondée sur la recherche-intervention et relève deux démarches différentes et complémentaires. La première démarche, statique et en extension, correspond à l’exploitation d’une base de données élaborée par nos soins, qui structure plus de 9 300 phrases issues d’entretiens semi-directifs conduits dans 70 organisations de tailles et d’activités variées. La seconde démarche, dynamique et en compréhension, correspond à un processus de recherche-intervention conduit au sein d’un organisme gestionnaire d’assurance maladie et de mutuelle, se déroulant sur trois années, auquel nous avons participé et participons encore à l’heure actuelle.

La deuxième partie propose, à partir de l’étude de la base de données, un modèle de l’interface organisationnelle et une typologie des interfaces. Elle met également en évidence les déterminants de leur régulation. Cette deuxième partie comporte également deux chapitres.

Le chapitre 3 est consacré à la modélisation générique de l’objet de recherche. Dans un premier temps, l’infrastructure et la superstructure de l’interface sont explicitées : la première restitue les propriétés de l’interface et ses diverses formes d’apparition, la seconde restitue les activités développées à l’interface. Le croisement de ces deux aspects de l’interface permet d’en dégager les dimensions génériques, lesquelles structurent le modèle proposé. L’interface est alors, fondamentalement, une zone de finalisation, de structuration, de coordination et de socialisation. Le chapitre 4 est quant à lui consacré à la typologie des interfaces et à la mise en évidence des déterminants de leur régulation. Une première typologie, incorporée à la base de données au moyen d’un codage des phrases, est élaborée en fonction du positionnement relatif des entités en relation et de la nature de leur relation. 14 interfaces élémentaires sont ainsi regroupées en des types, tels qu’interfaces externes, hiérarchiques ou transversales. Chacun d’eux est étudié à la lumière des quatre dimensions identifiées au chapitre 3, avant de procéder à une analyse croisée. Trois déterminants de l’interface émergent de cette dernière. Les interfaces sont en effet fortement spécialisées en fonction de leur incertitude, de la fréquence des interactions et de la répartition du pouvoir des entités interfacées. Sur cette base, une seconde typologie est proposée ; quatre types d’interface sont identifiés : politiques, stratégiques, de coordination et sociales.

La troisième et dernière partie, composée de trois chapitres, étaye notre hypothèse centrale, selon laquelle le pilotage des interfaces contribue à l’équilibration des processus d’intégration- différenciation des entités et, ce faisant, à l’amélioration des performances des interfaces. Elle s’appuie sur les résultats précédents et les met en mouvement dans un processus de recherche- intervention abouti.

Le chapitre 5 évalue, au sein d’une administration gestionnaire d’assurance maladie et de mutuelle d’un effectif de 250 personnes, les coûts d’interface, représentant près de 1 900 k€, soit plus de 10 k€ par personne et par an, et les met en relation avec les déséquilibres en termes d’intégration-

différenciation. Trois résultats principaux sont produits à travers cette étude. Ils portent premièrement sur la relation entre le déficit de finalisation organisationnelle des interfaces et le développement d’une différenciation excessive et informelle des entités. Ils portent ensuite sur les défauts de qualité des processus d’intégration et de différenciation. Le troisième résultat concerne l’interdépendance et l’articulation des différents types d’interface ; il porte en particulier sur le rôle fondamental des interfaces verticales dans la construction de l’intégration transversale et au sein des groupes.

Sur ces bases, le chapitre 6 développe les fondements et l’activation d’un système de pilotage des interfaces à même de mieux équilibrer l’intégration-différenciation. Les rapports entre régulation et équilibration, d’une part, et entre équilibration et pilotage, d’autre part, sont discutés, avant d’expliciter les modalités d’implantation, d’activation et de fonctionnement de ce système.

Enfin, le chapitre 7 présente les résultats très encourageants de la mise en œuvre de notre hypothèse centrale, dont les modalités de déploiement ont été explicitées au chapitre 6. L’équilibration des processus d’intégration-différenciation s’est traduite par un développement de la communication et de la coordination, une adaptation des structures organisationnelles et une amélioration du climat social, sur la base d’une mise en œuvre d’une stratégie organisationnelle. La réduction des coûts d’interface a atteint près de 55%. À partir de ce processus de changement et des analyses précédentes, le chapitre développe les implications managériales du pilotage des interfaces organisationnelles.