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4.1.1 Définition

Outil privilégié de l’enquête de terrain, l’observation ethnographique peut être définie comme « pratique d’observation reposant sur l’immersion de longue durée au sein d’un milieu d’interconnaissance » [50]. Elle vise à comprendre le comportement d’une personne ou d’une communauté face à un objet ou à une situation, et à représenter sa dynamique intérieure et sa logique singulière. L’objectif n’est pas de démontrer quelque chose, mais de faire émerger du sens à partir d’une situation donnée [24, p. 158]. C’est une méthode de

31 Ces méthodes sont employés depuis plusieurs années dans les approches marketing et analyse de la valeur appliquées aux centres de documentation et bibliothèques. Voir la bibliographie pour une liste des principaux ouvrages sur le sujet.

travail particulièrement adaptée à l’étude des rapports entre les individus et leur environnement technique et matériel. L’observation peut être participante – l’observateur regarde quelqu’un effectuer une tâche, écoute ses remarques ou lui demande d’expliquer ce qu’il est en train de faire – ou non participante.

4.1.2 Mise en œuvre

La mise en œuvre de cette méthode comporte deux volets : la construction d’un dispositif d’observation et d’un outil pour exploiter l’information recueillie.

4.1.2.1 Dispositifs d’observation

Un dispositif d’observation se construit en définissant plusieurs éléments : l’objet à regarder ; la place de l’observateur, car selon l’endroit où il se place (de près, de loin), la façon de voir les choses sera différente ; le temps d’observation (tous les jours, à certaines heures…) ; et l’outil de recueil des données. Avant la phase d’observation, une phase préalable d’immersion dans l’activité à observer est à prévoir, afin identifier les composantes et avoir une idée de ce qui se passe en situation normale.

Dans le cadre de notre étude, nous avons mis en place plusieurs dispositifs d’observation, concernant :

 Les rythmes de travail dans le service, les habitudes de travail des agents, leurs interactions.

 Les activités des agents, la répartition des tâches, etc.

 Les utilisateurs en situation de recherche autonome d’information : leurs parcours, leurs orientations, leurs déplacements dans l’espace, leurs comportements vis-à-vis des documentalistes, leurs hésitations, leur intérêt face aux collections [59].

 Les utilisateurs en situation de demande d’information : la démarche suivie, l’utilisation des outils, etc. Cette observation a été combinée avec l’observation de l’activité d’accueil des usagers, à la fois sur place et à distance.

 L’interaction des agents du centre avec l’environnement institutionnel, l’environnement documentaire et professionnel.

4.1.2.2 Outils de recueil des données

Les outils de recueil et d’exploitation de l’information recueillie peuvent être structurés ou non-structurés. Les premiers correspondent aux grilles d’observation. Elles peuvent être élaborées sous forme de check-list d’items, où sont notés les principaux points à observer dans un ordre alphabétique, et où l’observateur note ce qui se passe en réalité. Elles peuvent aussi être des grilles séquentielles, dressant les principales phases de l’activité en y associant les gestes possibles ; l’observateur coche alors ceux qu’il observe en indiquant leur succession. Les deuxièmes correspondent aux journaux de terrain, où l’on note à fur et à

mesure ce qui se passe ; le risque est toutefois de manquer quelque chose ou de ne pas noter de manière semblable une même action quand on observe plusieurs personnes. À partir des informations recueillies, on procède à l’analyse afin de dégager les comportements communs, les problèmes, etc.

Nous avons combiné des outils de recueil de données structurés et non structurés : par exemple, les interactions entre les agents du service ont été notées au fur et à mesure dans un cahier ; l’accueil sur place des usagers pour une demande de renseignement a été observé à l’aide d’une grille séquentielle (voir le tableau ci-dessous).

Étapes Observations

Identification de la personne Formulation de la question Annotation de la question

Questions pour comprendre et reformuler la question

Établissement des modalités de réponse (délai, volume, forme…)

Informations complémentaires Lieu et heure de l’accueil

Durée de la séquence

Tableau 4. Grille d'observation d'une séquence de demande de renseignement sur place

L’observation a permis également d’alimenter des tableaux de bord utiles à l’évaluation : utilisation de la base de données documentaire, nombre de demandes de recherche, nombre de prêts, etc.

4.1.3 Difficultés et limites

Les difficultés principales de l’observation ethnographique résident dans la place que l’observateur va occuper, difficilement définissable à l’avance. Tout d’abord en raison de la diversité des formes ou des caractéristiques que peuvent présenter les objets observés ; ensuite, la position de l’observateur varie non seulement selon ses propriétés et dispositions personnelles, mais aussi en particulier selon trois éléments : le degré de familiarité avec le terrain investi, le degré de publicisation de son statut d’enquêteur (et d’acceptation de ce statut), le degré d’engagement par rapport à la situation observée [50].

Dans le cas de notre étude, le milieu étant peu connu, nous avons dû le découvrir, tout en familiarisant les personnes à notre présence. L’exercice a été difficile, en raison de la résistance, notamment de la part du personnel du CRD, à accueillir une « énième personne extérieure à l’institution », arrivée pour « juger leur travail et supprimer le CRD ». Les

problématiques que nous avons rencontrées s’apparent à celles qui existent dans des contextes d’organisations militantes. Celles-ci entretiennent souvent un rapport particulier aux différentes formes de surveillance qu’elles peuvent subir ou simplement redouter. Du coup, l’observateur se trouve souvent lui-même surveillé, ce qui renforce son inconfort, et parfois son désir d’offrir une contrepartie à sa présence, qui peut prendre la forme d’un engagement accru [50]. De la même manière, nous avons adopté une « posture d’engagement », tout en essayant de garder une neutralité pour mener à bien l’enquête.