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La fonction information-documentation, appelée également fonction documentaire, a commencé à émerger véritablement au sein des organisations après la Seconde Guerre Mondiale et de façon plus visible à partir des années 1960. La fonction est alors assurée par des services centralisés, dont les dénominations varient selon le lieu où ils sont implantés : centres de documentation, centres de ressources documentaires – c’est le cas du centre qui a été objet de l’étude –, centre de traitement des données, centres d’information et de documentation etc. Pour mieux comprendre l’histoire et l’évolution de ces services, nous reviendrons brièvement sur les concepts-clés du domaine.

1.1.1 L’information

Le mot « information » dérive étymologiquement du latin informare, qui signifie donner une forme, une structure, une signification. Dans le « Dictionnaire de l’information », l’information est définie comme « une connaissance communiquée par un message transmis par un individu à un autre individu ». Toute information implique donc la communication, soit l’échange de l’information entre personnes ; elle implique aussi un code commun de compréhension du contenu communiqué. Ce code concerne à la fois la forme du message, donc le support de transmission, et son significat, mais les deux aspects peuvent être traités séparément [5, p. 137]. La même notion se retrouve dans le « Vocabulaire de la documentation » édité par l’ADBS1, qui définit l’information comme « un élément de connaissance… caractérisé par un signifié, un signifiant (contenu) et une forme (support) » [3, p. 128]. Nous retrouvons là le sens étymologique du mot information.

Les deux définitions placent au centre l’idée de connaissance : comme le soulignent Josiane Senié-Demeurisse et Viviane Couzinet2, l’information n’a pas de sens en soi ; elle devient connaissance, lorsqu’elle est activée par celui qui la reçoit dans l’interaction, qui l’intègre et l’assimile à son propre stock des connaissances [10, p. 21]. Il ne faut pas confondre cependant information et connaissance. Yves Jeanneret3 distingue clairement les deux concepts : l’information est la relation entre le document et le regard porté sur lui, tandis

1 Voir la liste des sigles.

2 Josiane Senié-Deumerisse et Viviane Couzinet sont respectivement maître de conférences et professeur des universités en Sciences de l’information et de la communication à l’Université de Toulouse.

3 Yves Jeanneret est professeur des universités en Sciences de l’information et de la communication à l’École des hautes études en sciences de l’information et de la communication (CELSA).

que la connaissance est le résultat du travail des individus pour s’approprier cette information [10, p. 23].

Certains chercheurs intègrent la notion de donnée : l’information est une donnée faisant l’objet d’une valorisation de la part d’un informeur, celui qui émet l’information, et d’un informé, celui qui la reçoit [14, p. 105]. Quant aux caractéristiques de l’information, Jean-Philippe Accart4 souligne bien qu’elle présente plusieurs facettes contradictoires, liées à sa nature immatérielle [14, p. 107] : l’information se démultiplie aisément sans s’épuiser, mais elle peut être modifiée et donc détournée de son contenu originaire et elle peut perdre sa valeur.

1.1.2 La documentation

Le mot « documentation » est lié à celui de document, emprunté au latin documentum, ce qui sert à renseigner, et dérivé du verbe docere, enseigner, instruire. Tout comme la notion d’information, la notion de document est difficile à préciser, d’autant plus qu’aujourd’hui elle est bousculée par le numérique. Le vocabulaire de la documentation définit le document comme « un ensemble d’un support d’information (quel qu’il soit), des données enregistrées sur ce support et de leur signification…il tout constitue une unité autonome » [3, p. 87].

Mais, comme souligné dans le « Dictionnaire de l’information », la présence d’informations sur un support ne suffit pas à définir un document [5, p. 77]. Il faut que plusieurs conditions soient réunis pour qu’un ensemble d’informations soit appelé document : ainsi, un document doit contenir des informations structurées de manière lisible ; il doit reposer sur un support transportable, reproductible et relativement stable, et il doit avoir une unité et une finalité.

Tout objet supportant de l’information, de nature durable et à usage défini, peut donc être considéré comme un document. Cette idée avait été déjà développée par Suzanne Briet5 en 1951 dans sont ouvrage « Qu’est-ce-que la documentation » [4], puis reprise et élargie par Jean Meyriat6 à la fin des années soixante-dix [5, p. 41-3]. Tout objet est un document ou peut le devenir, si et seulement s’il transmet une information, c’est-à-dire un message qui a un sens pour celui qui l’émet comme pour celui qui le reçoit. Meyriat pousse son analyse encore plus loin en affirmant que c’est l’usage qui va désormais créer le document, car c’est l’utilisateur, le récepteur du message, qui pour répondre à son besoin « fait le document ».

4 Jean Philippe-Accart est actuellement membre de la Direction des études du programme Master ALIS (Archive, Library and Information Science) de l’Université de Berne et de Lausanne.

5 Connue sous le nom de « Madame Documentation », Suzanne Briet (1894-1989) est une pionnière de la documentation. Voir le chapitre sur la genèse et le développement des centres de documentation.

6 Jean Meyriat (1921-2010) est l’une des figures de pointe dans les sciences de l’information et documentation dans les décennies 1960-1990. Il a notamment dirigé le Service de documentation (puis Bibliothèque) de Sciences Po Paris.

Á partir de la notion de document, on définit la documentation comme un ensemble de documents recueillis sur un sujet ou un thème, ou encore l’ensemble des documents associés à un produit ou à un équipement [5, p. 79] et, par extension, l’activité de se documenter. Mais la documentation désigne aussi l’activité de gestion de documents et le service qui exerce cette fonction au sein d’une organisation [14, p. 112]. Dans cette deuxième acception, la documentation est un ensemble des techniques mises en œuvre pour collecter, traiter et diffuser les documents. Ce sont là les trois opérations ou fonctions nécessaires pour rendre la documentation (ensemble de documents) accessible par l’utilisateur : la collecte réunit toutes les opérations d’acquisition des documents ; le traitement est le classement et l’exploitation de ces documents ; la diffusion est l’ensemble des services et produits mis à disposition de l’utilisateur.

La documentation, grâce à ces trois opérations, rapproche l’information de l’utilisateur [14, p. 112], en assurant donc un rôle de médiation. L’objectif final est de mettre de l’ordre, un ordre « documentaire », afin que l’utilisateur dispose de la bonne information au bon moment [1, p. 9]. On retrouve là les principes de la documentation énoncés déjà en 1934 par Paul Otlet7, dans son « Traité de documentation, le livre sur le livre » : « Les buts de la documentation organisée consistent à pouvoir fournir sur toute ordre de fait et de connaissance des informations 1) universelles quant à leur objet, 2) sûres et vraies, 3) complètes, 4) rapides, 5) à jour, 6) faciles à obtenir, 7) réunies d’avance et prêtes à être communiquées, 8) mises à la disposition du plus grand nombre » [5, p. 195].

En somme, l’information et la documentation sont des concepts strictement liés et complémentaires. En reprenant le cercle classique de l’information et de la documentation élaboré par Paul Otlet (voir la figure 1), l’information et la documentation sont au centre d’un processus de médiation qui voit l’intervention de trois entités : les producteurs d’information, les utilisateurs et les médiateurs [14, p. 105-6]. Par « médiateurs » nous entendons l’ensemble des dispositifs sociaux, humains et techniques qui assurent la médiation info-documentaire, soit le processus facilitant l’accès au document et à l’information qu’il contient dans un contexte donnée.

7 Paul Otlet (1868-1944) est considéré le père de la documentation. Voir le chapitre sur la genèse et le développement des centres de documentation.

1.1.3 Les dispositifs de médiation

La notion de dispositif se définit couramment comme la manière dont sont disposés les organes d’un appareil, ou comme un agencement d’éléments en fonction d’une fin. Ces éléments, soit l’ensemble des moyens et des mécanismes assurant le fonctionnement du dispositif, dépendent du contexte dans lequel ils se « disposent » et se « rendent disponibles » [10, p. 117-8]. Plusieurs chercheurs ont tenté de situer la notion de dispositif au sein de la discipline. Ainsi, pour Jean Meyriat un dispositif informationnel serait un dispositif cognitif porteur d’informations dormantes, transformables en connaissances. Le rôle de médiateur entre le concepteur et l’utilisateur est souligné, ainsi que sa dimension humaine et sociale. Les deux formes « dispositif informationnel » et « dispositif communicationnel » ont d’ailleurs été rapprochés sous l’expression « dispositif info-communicationnel » pour mettre en évidence l’interdépendance entre information et communication. Le dispositif info-communicationnel est ainsi un lieu où humains, objets matériels et liens s’organisent pour mettre en œuvre les interactions [10, p. 120].

La notion de dispositif est liée aussi à celle de système d’information – on observe d’ailleurs la présence et l’utilisation conjointe des deux termes dans les travaux des chercheurs en SIC et le glissement d’une notion à l’autre dans la littérature [12, p. 31]. Pour Brigitte Guyot8, un système d’information est un ensemble d’informations/représentations organisées selon certaines fins, à l’aide d’un ou plusieurs dispositifs avec, éventuellement, des outils. C’est un système d’acteurs (produit et tenu par des pratiques, des stratégies), un système de règles, une organisation et des outils « disposés » selon une finalité et renvoyant à un univers

Figure 1. Cercle de l'information et de la documentation

symbolique [24, p. 53]. Un système d’information est composé de plusieurs outils (résultats pragmatiques) et des plusieurs dispositifs, c’est-à-dire la façon dont sont organisées concrètement les ressources matérielles, informationnelles et humaines, et la manière de les agréger et de les stabiliser, en général par des procédures.

En appliquant cette définition au contexte documentaire, Viviane Couzinet voit le dispositif comme un ensemble de liens unissant celui qui produit l’information, celui qui permet sa circulation, celui qui intervient pour faciliter la diffusion et enfin celui qui est capable de se l’approprier comme contenu lui permettant l’action [10, p. 118-9]. Dans cette optique, elle propose de séparer deux types de dispositifs spécifiques à l’activité documentaire. Le dispositif documentaire primaire est centré sur la production de documents, le dispositif documentaire secondaire sur l’information sur les documents. Le dispositif documentaire primaire correspond alors au document (tel qu’il a été défini en 1.1.2.) ; le dispositif documentaire secondaire concerne le traitement de l’information contenue dans le dispositif primaire. Comme le souligne Viviane Couzinet, les dispositifs secondaires ont été crées pour répondre à l’inflation de la production documentaire et la nécessité d’en organiser la diffusion. Leur mission est essentiellement la diffusion des informations et par conséquence la production des connaissances. [7, p. 25].

De façon similaire à Couzinet, Guyot identifie l’origine des dispositifs dans les besoins que les entreprises ont de classer et d’organiser l’information qu’elles produisent, ou dont elles ont besoin pour développer leur activité [24, p. 65]. Elle distingue alors deux modèles de dispositifs, selon le lieu et la démarche qui les fondent : les dispositifs qui organisent prioritairement la gestion d’une activité (et donc l’information qui lui est associée et nécessaire) et ceux qui structurent des ressources d’information [24, p. 66-7]. Dans le premier groupe nous trouvons les dispositifs de gestion des processus de travail (systèmes de workflow), d’aide au travail collaboratif (groupwares), relatifs à l’identité et à l’image de l’entreprise. Le deuxième groupe renferme les dispositifs proprement documentaires : dispositifs de gestion de documents et d’informations, de vigilance stratégique à des fins décisionnelles (veille), d’archivage des documents produits en interne (records management), de gestion des connaissances internes (knowledge management). Le premier dispositif à l’intérieur de ce deuxième groupe correspond au service classique d’information et de documentation, appelé généralement « centre de documentation », qui constitue l’objet de notre étude.