• Aucun résultat trouvé

L’insertion et l’exclusion comme un processus à deux dimensions

L’INSERTION SOCIALE ET PROFESSIONNELLE : CONCEPTS, APPROCHES THEORIQUES ET DEMARCHE METHODOLOGIQUE

II / L’INSERTION SOCIALE ET PROFESSIONNELLE : CONCEPTS, APPROCHES THEORIQUES ET DEMARCHE METHODOLOGIQUE

2.1. L’INSERTION SOCIALE ET PROFESSIONNELLE ENTRE ETAT ET PROCESSUS : CONCEPTS, APPROCHES THEORIQUES

2.1.2. Les courants de pensée liés à l’insertion et à l’exclusion

2.1.2.2. L’insertion et l’exclusion comme un processus à deux dimensions

« Parler d’exclusion plutôt que d’exclus ou de pauvres, indique que l’on privilégie le processus d’exclusion à l’état d’exclu, mais aussi que le processus est moins lié à des caractéristiques internes à la personnes qu’à la société toute entière » (MARTIN, 2000 p 172).

La majorité des auteurs et des chercheurs assimile actuellement l’insertion et l’exclusion à un processus dans l’élaboration de leurs concepts. Les dimensions de l’emploi et du lien social sont déterminantes dans tous les concepts d’insertion afin d’analyser les processus qui conduisent aux situations d’exclusion. Les axes plus ou moins de professionnels et plus ou moins de liens sociaux restituent un schéma pertinent pour appréhender les situations.

PAUGAM (1991) dans son ouvrage « La disqualification sociale », à partir de travaux menés sur le Revenu Minimum d’Insertion, part de l’idée que la pauvreté est une construction sociale par une problématique de construction de carrière. C’est à dire, que le processus commence par l’affaiblissement des liens des individus avec l’emploi qui, tout en apportant des revenus confère une stabilité sociale et une appartenance à la société entière.

« La désocialisation progresse, accentuée par une identité négative. Les individus se sentent de moins en moins intégrés » (KARSZ, 2000, p 8). A la pauvreté monétaire s’ajoute la

pauvreté des liens personnels et sociaux. Ces individus ont besoin d’assistance afin de retisser des liens sociaux réduits.

En étudiant les bénéficiaires du R.M.I., PAUGAM (1991), à l’instar de SIMMEL (1998/1907), s’intéresse à ceux qui sont reconnus par les institutions comme pauvres.

La pauvreté et l’exclusion de ces assistés sont étudiées dans deux dimensions : l’une macrosociologique qui renvoie à des représentations collectives et sociétales, et l’autre micro sociologique concerne l’élaboration de catégories qui s’intéressent au sens que donnent les assistés à leur vécu, à leurs expériences, ainsi qu’à leurs comportements face aux travailleurs sociaux.

La définition de concept de disqualification sociale, constituée de trois éléments, est déterminée par le niveau de dépendance de l’individu à l’institution et à la société (PAUGAM, 2001, p 167-169) : aucun sentiment d’appartenance ne peut se construire dans la stigmatisation des assistés. Leurs relations, plus ou moins régulières avec les services sociaux, les positionnent dans une sorte de carrière dans l’assistance, le fait d’être assisté les intègre à la société, et par la même l’assistance remplit la fonction de régulation du système social ; dépendant de la collectivité, les assistés n’en demeurent pas moins en résistance à la relation d’assistance et les modes de résistance aux stigmates d’assistés ne forment pas un ensemble homogène.

Trois éléments se conjuguent pour avoir accès à l’assistance : une forte dégradation du marché de l’emploi, une détérioration des liens personnels et sociétaux et une inadéquation des modes d’intervention des systèmes de protection sociale.

C’est en termes de carrière que PAUGAM (1991) analyse le comportement des assistés dont il distingue trois types d’assistances : l’assistance différée, l’assistance installée et l’assistance revendiquée.

L’assistance différée concerne le premier stade de l’assistance ; la personne, toujours motivée par l’emploi, refuse de s’identifier au statut d’assisté. Elle éprouve un sentiment d’humiliation et d’échec social en culpabilisant le fait de n’avoir pas été à la hauteur mais elle a l’espoir d’une évolution favorable de sa situation rapidement. La personne essaie d’éviter les travailleurs sociaux parce qu’elle ressent cette relation comme une épreuve éprouvante.

L’assistance installée caractérise les personnes qui vont s’identifier progressivement à l’assistance tout en refusant d’y être soumise. Avec une faible motivation à l’emploi dans un contexte d’assistance contractualisée la personne développe une stratégie de justification. Elle participe à des actions plus ou moins obligatoires mais n’y trouve aucune satisfaction et se

décourage assez facilement. Elle élabore progressivement des représentations qui lui permettent de réinterpréter l’image négative du statut d’assisté. Les bénéficiaires de l’assistance sociale font preuve d’imagination manipulatrice avec leurs relations aux institutions. Ces relations sont inégales et difficiles : tensions, résistances, incompréhension mais aussi stratégie de contournement. L’assisté installé s’approprie son travailleur social et ayant créé des liens propres ne souhaite pas en changer.

L’assistance revendiquée se caractérise par aucune motivation à l’emploi et une dépendance forte à l’action sociale. Les travailleurs sociaux acceptent difficilement la revendication d’un droit ce qui occasionne des conflits lorsque les réponses aux demandes sont négatives. Les personnes assistées peuvent devenir agressives et peuvent ne plus avoir aucun scrupule à demander des aides. Les travailleurs sociaux sont perçus comme des agents à leur service sous forme de relations Assistant/Assisté.

« La disqualification sociale » est un processus par lequel, le cumul de précarité concernant la santé, le logement, la formation, l’emploi, le manque de relations familiales et sociales entraîne une vulnérabilité de l’individu. Avec la durée et l’aggravation des cumuls, ce processus peut conduire à l’exclusion et se poursuivre jusqu’à la grande exclusion. « Cette population de plus en plus nombreuse est refoulée hors de la sphère productrice et devient dépendante de l’action sociale par rupture des solidarités familiales en particulier » (PAUGAM, 2000 p 399).

La désaffiliation sociale décrit un mode particulier de dissociation du lien social. C’est bien un manque de ressources qui rend l’individu dépendant des services sociaux en l’entraînant au-delà du manque matériel et monétaire jusqu’à des ruptures d’appartenances et d’échecs à construire des liens. L’individu est en rupture de lien social et au bout de ce processus, la précarité économique devient dénuement, la fragilité relationnelle isolement, la désaffiliation est en cours.

CASTEL (1991, p 139), initiateur de ce concept de « Désaffiliation sociale », choisit les mots de « surnuméraire » ou d’ « inutile » plutôt que celui d’exclu parce que personne ne se situe pas hors de la société, mais tout individu ne se voit pas nécessairement attribuer une place légitime.

La désaffiliation caractérise un processus de rupture du lien social. C’est donc l’appartenance à la société qui devient problématique.

CASTEL a une approche globale de ce processus de désaffiliation qu’il situe dans l’histoire de l’évolution de notre société et dans le temps des trajectoires individuelles. Mais c’est dans le traitement social de ces « inutiles » entre la renaissance et l’ancien régime, et l’époque actuelle qu’il fait la différence. Nos sociétés riches ont les moyens de maintenir en vie des individus qui n’arriveraient pas suffisamment à produire pour leurs propres besoins. Entre les vagabonds de l’ancien régime, les sous-prolétaires des débuts de la révolution industrielle et les surnuméraires de l’époque actuelle, c’est le traitement de la pauvreté qui a évolué.

CASTEL (1991) adosse la désaffiliation à la montée des vulnérabilités sur un axe du travail et sur un axe des liens sociaux. En effet, les nouvelles formes d’emploi et la faiblesse de l’offre soumettent la population active à une instabilité, une insécurité sociale (CASTEL, 2003) qui la rendent de plus en plus vulnérable et remettent en cause les conditions sociales stables qui jouaient un rôle d’intégrateur dans la société et assuraient la protection des individus contre les risques sociaux majeurs. C’est ce qui est mesuré sur l’axe « travail ». « L’axe « socio-relationnel » est composé d’une variable culturelle et d’une variable familiale » (GUYENNOT, 2000, p 26). Le décrochage des réseaux traditionnels d’appartenance et de régulations de la socialité primaire, caractérise la désaffiliation.

Ainsi reconstitué le processus permet d’analyser par zone les différentes situations matérialisées sur ces deux axes : la zone d’intégration décrit des individus d’une part, disposant de la garantie du travail permanent et d’autre part, ayant la faculté de mobiliser un réseau important mais surtout efficace en cas de besoin ; la zone de vulnérabilité caractérise l’emploi plus ou moins favorable et un réseau relationnel faible ; la zone d’assistance décrit une situation dans laquelle le score de l’axe « isolement/insertion » est bon et l’axe « travail » est mauvais ; la zone de désaffiliation cumule l’absence de travail et l’isolement social.

Cette classification permet trois remarques : les frontières entre les zones sont poreuses, selon la conjoncture les zones se modifient ; des scores extrêmes sur un axe peuvent compenser des scores mauvais sur l’autre axe ; la dimension économique n’est pas déterminante si les réseaux sociaux sont importants. Ainsi pour CASTEL (1991), l’intensité du réseau de relations, surtout primaires, est essentiel dans le cadre du processus de désaffiliation.

« La déliaison » décrite par AUTES (2000) présente l’exclusion comme une catégorie des politiques publiques, dans le champ social en particulier. Ces politiques sociales sont productrices, d’une part, des problématiques du social et donc de représentations, et d’autre part, productrices de projets et de stratégies d’action.

Dans nos sociétés, le compromis social du salariat et de la protection sociale sert à la régulation des tensions entre l’individu libre sur le marché du travail, mais contraint à l’intérieur des rapports du travail et le citoyen dont la souveraineté est politique.

Pour AUTES, nous avons donc, d’un côté, une économie de marché, de l’autre une démocratie politique et l’individu qui est subordonné, aliéné, exploité dans les rapports du travail et qui est libre en politique, ce qui est le fondement de nos sociétés.

L’exclusion est devenu un lieu commun qui regroupe tout les malheurs du temps avec une intrusion dans les différentes sphères de la vie sociale. L’exclusion fait penser à la rupture de liens sociaux et pose la question de la cohésion sociale mais aussi de l’appartenance des individus et de leur identité. Les problématiques autour de l’exclusion demandent à s’interroger sur la transformation et le déplacement de la question sociale.

Les premiers indices de la transformation de la société salariale tiennent dans la précarité du contrat de travail dont le contrat à durée indéterminé n’est plus la référence et la protection sociale qui ne procure plus un ensemble de garanties pour tous puisque la masse des exclus progresse. Le travail se confond avec l’emploi, le statut se confond avec l’identité d’où la grande difficulté à y renoncer. Pour les personnes qui travaillent et qui n’étaient pas propriétaires terriens, le salariat a été un producteur de séc urité. « Le déplacement de sécurité de la propriété au travail est la grande invention et la grande production de sécurité de cette société » (AUTES, 2000, p 4).

La production de l’exclusion est innée au fonctionnement du système libéral. Le discours économique a pris l’ascendant sur le discours politique. La question qui est en jeu dans la problématique de l’exclusion est celle de la liaison entre la sphère économique et la sphère politique.

AUTES propose dans son analyse trois approches de l’exclusion : une approche du fatalisme libéral qui, dans un paradigme utilitariste, indique que les lois du marché et de l’économie sont réalistes et naturelles. Les pauvres doivent se débrouiller par eux-mêmes, même si cette réalité est triste et dure ; mais elle est là et il faut faire avec puisqu’on ne peut pas faire sans ; une approche par le travailleur social, pour qui l’exclusion est consécutive à des petits malheurs qui s’abattent sur des individus qui n’ont pas de chance. Ce public hétéroclite est constitué d’histoires personnelles, de situations uniques et différentes. L’action sociale doit s’y intéresser même s’il n’y a pas grand chose à faire ; il faut le faire même si cela n’arrange rien ; l’approche anthropologique explique qu’il est inévitable que dans la société il y ait des exclus. Toute société comprend un résidu d’inéquité en quelque sorte indépassable (LEVI-STRAUSS, 1955).

Pour concevoir son concept de « Déliaison », AUTES (2000) analyse les concepts d’exclusion de trois auteurs : PAUGAM (1991) qui dans son concept de « Disqualification sociale » prend l’angle des institutions : sont exclues les personnes qui dépendent de l’action sociale pour leur survie ; CASTEL (1995) qui replace l’exclusion dans le contexte de l’évolution historique des sociétés, et pour l’exclusion actuelle le délitement du salariat et ses conséquences sur la réduction des liens sociaux, pose le problème de la politique et de l’Etat ; DE GAULEJAC et TAOBADA-LEONETTI (1997) pour leur part, prennent la vision des individus en exclusion et leur ressenti : une dimension symbolique.

La déliaison ou la désintégration ne se situe pas au niveau des individus, ni des catégories mais au niveau des grands réglages et d’un certain manque de liens qui se défont. C’est la déliaison de la sphère économique et de la sphère politique dont il résulte une incapacité à produire du sens et des acteurs. Ce qui est fondamental, c’est la prise en charge de la réalité sociale en particulier dans les politiques publiques. « Le décalage entre la réalité telle qu’elle peut s’analyser et les réponses qui sont toujours construites sur le système de représentations qui ne correspond plus à la réalité» (AUTES, 2000, p 17).

Les politiques ont des difficultés à convaincre. Elles devraient s’orienter vers une plus grande place du citoyen dans la démocratie en renforçant la capacité à refaire du lien, à rectifier notre société à la marge, mais aussi réfléchir à la centralité du travail dans la société. « Quel nouveau social inventer ? » s’interroge l’auteur.