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L’élaboration théorique des représentations sociales

L’INSERTION SOCIALE ET PROFESSIONNELLE : CONCEPTS, APPROCHES THEORIQUES ET DEMARCHE METHODOLOGIQUE

II / L’INSERTION SOCIALE ET PROFESSIONNELLE : CONCEPTS, APPROCHES THEORIQUES ET DEMARCHE METHODOLOGIQUE

2.2. LES REPRESENTATIONS SOCIALES : DES LIENS AVEC LES POLITIQUES D’INSERTION

2.2.4. L’élaboration théorique des représentations sociales

D’une part, les approches différentes des représentations sociales décrites par JODELET, d’autre part, l’étude de leurs formations, et enfin le changement des représentations sociales présentent la façon dont elles s’élaborent et évoluent.

JODELET (1984/1988, p 365, 366) propose six approches ou optiques correspondant à la formulation à partir de laquelle s’élabore la construction psychologique et sociale d’une représentation.

Une première approche de construction est purement cognitive par le sujet de la représentation. Celle-ci devient sociale par, d’une part, une dimension de contexte dans laquelle le sujet est en interaction face à un stimulus social et d’autre part, par la dimension d’appartenance, le sujet social fait intervenir dans son élaboration des idées, valeurs et modèles qu’il tient de son groupe d’appartenance ou des idéologies véhiculées dans la société.

Cette optique se retrouve dans les études expérimentales de la représentation dans ses rapports à la conduite et au comportement.

C’est l’aspect signifiant de l’activité qui est mis en valeur dans la deuxième approche. Le sujet considéré comme producteur de sens, exprime dans sa représentation le sens qu’il donne à son expérience dans le monde social. L’utilisation de systèmes de codes et d’interprétations fournis par la société ou de la projection de valeurs et d’aspirations sociales produit le caractère social de la représentation qui est ainsi considéré comme l’expression d’une société donnée.

La troisième approche traite la représentation comme une forme de discours dont les caractéristiques découlent de la pratique discursive de sujets socialement situés. Les

propriétés sociales des représentations dérivent de la situation de communication, de l’appartenance sociale des sujets parlants, de la finalité de leurs discours.

La pratique sociale est prise en compte dans la quatrième approche. Le sujet, acteur social est inscrit dans une position ou une place sociale, ce qui lui fait produire une représentation qui reflète les normes institutionnelles découlant de sa position ou des idéologies liées à la place qu’il occupe.

Pour la cinquième approche, c’est le jeu des relations intergroupes qui détermine la dynamique des représentations. Le développement des relations intergroupes permet d’infléchir les représentations.

La sixième approche est plus sociologisante parce qu’elle fait du sujet le porteur de déterminations sociales. L’activité représentative est déterminée par la reproduction des schèmes de pensée socialement établis et de visions structurées par des idéologies dominantes.

MOSCOVICI (1961/1976, p 284) explique comment les représentations sociales se forment. Il avait remarqué plusieurs ressemblances caractéristiques entre la pensée adulte et la pensée enfantine. Ces pensées se forment en utilisant des informations fragmentaires dont elles tirent des conclusions générales et donc font prévaloir les conclusions sur les prémisses, et basent des arguments de causalité sur des associations de matières évaluatives (DOISE, CLEMENCE, LORENZI-COLDI, 1992, p 12).

Deux systèmes cognitifs sont à l’origine des caractéristiques communes : le système opératoire procède à des associations, inductions, discriminations de déduction, et l’autre système contrôle, vérifie, sélectionne à l’aide de règles logiques ou non, qui travaille la matière du premier : un méta-système (MOSCOVOCI, 1961/1976, p 254).

Une représentation se définit par deux composantes, d’une part ses éléments constructifs, et d’autre part, son organisation. C’est à dire, les relations qu’entourent ces éléments (ROUQUETTE & RATTEAU, 1998 p 29). Les éléments constructifs représentent le contenu des représentations, l’organisation, la structure. Ces éléments sont interdépendants et cohérents. Les éléments « invariaux structuraux » sont à repérer pour l’étude des représentations ainsi que les relations qui lient le contenu de la structure.

Pour comprendre le fonctionnement des représentations sociales, il est nécessaire de décrire les deux processus mis en œuvre dans la formation de celles-ci : l’objectivation et l’ancrage,

ensuite l’accent sera mis sur l’importance des instances et des relais de communication dans la construction des représentations sociales.

L’objectivation rend concret ce qui est abstrait, c'est-à-dire qu’elle change le relationnel du savoir scientifique en image d’une chose (DOISE, 1989/2003, p 245). Ce processus agit pour toutes les divulgations scientifiques d’où l’importance de les maîtriser. Pour devenir du sens commun, un savoir scientifique passe par ces deux processus pour se transformer.

Les individus s’approprient et intègrent des phénomènes complexes grâce à ce processus d’objectivation en trois phases : la sélection, la contextualisation des éléments de la théorie et la naturalisation. Les éléments du savoir scientifique font l’objet d’une sélection en fonction des critères culturels, c'est-à-dire que chacun avec son niveau d’information, et surtout avec ses critères normatifs qui correspondent aux valeurs du système ambiant ou dominant, fait cette sélection ; la formation d’un noyau figuratif ; les éléments d’information s’organisent en un noyau simple, concret, imagé et cohérent avec la culture et les normes sociales qui permet de les saisir individuellement et dans leurs relations (JODELET 1984/1988, p 368) ; la naturalisation correspond à la troisième phase de l’objectivation qui permet de concrétiser en coordonnant chacun des éléments qui décrivent des êtres de nature. Le modèle figuratif se concrétise par les figures d’éléments de pensée qui deviennent les éléments de réalité de la science qui sont devenus du sens commun.

L’ancrage, pour DOISE (1989/2003, p 244), est un processus plus important que l’objectivation parce qu’il consiste en l’incorporation de l’étrange dans son réseau de catégories familières, c'est-à-dire qu’il concerne l’enracinement social de la représentation dans son objet.

L’interaction du social se traduit par la signification et l’utilité : la signification ou le sens attribué à l’objet de la représentation par le groupe concerné correspond à son identité sociale et culturelle qui s’expriment à travers ce sens. Par le sens qu’il donne à la représentation, le groupe délimite ses contours et son identité ; au delà de l’expression du sens, les éléments de la représentation contribuent à la construire. Elle transforme la complexité en un savoir utile en lui attribuant une valeur fonctionnelle dans la compréhension et l’interprétation d’eux-mêmes et de ceux qui les entourent.

Ce processus est en continuité avec l’objectivation. Le système d’interprétation a une fonction de médiation entre l’individu et son milieu, et entre les membres du même groupe.

L’évaluation et le positionnement des individus et des autres groupes passent par ce système.

Pour intégrer de nouvelles données, les individus et les membres d’un groupe les classent et les rangent dans des cadres à penser socialement établis qui induisent des comportements prescrits.

L’articulation entre l’ancrage et l’objectivation permet l’expression de trois fonctions : la fonction cognitive d’interprétation de la nouveauté, la fonction de l’interprétation de la réalité et la fonction d’orientation des conduites et des rapports sociaux (JODELET, 1984/1988, p 76). L’objectivation et l’ancrage peuvent paraître opposés, le première vise à créer des vérités évidentes pour tous et indépendantes de tout déterminisme social, alors que le deuxième s’inscrit, au contraire, dans l’intervention de tels déterminismes dans leur organisation et leur transformation (DOISE et al. 1992, p 15).

La matière première des études des représentations sociales est constituée par des recueils d’opinion, des attitudes et des préjugés individuels. L’importance de l’information, et surtout du niveau d’information, est essentiel. Chaque individu, chaque membre d’un groupe a un accès inégal à l’information qui influencera ses représentations sociales.

Les instances et les relais de communication participent à la construction des représentations sociales. Serge MOSCOVICI a généré un nouvel intérêt pour l’étude des représentations sociales en les positionnant dans l’innovation et dans la vie sociale en devenir, alors que DURKHEIM situait les représentations collectives dans le passé des traditions. La notion a changé, les représentations collectives ont cédé la place aux représentations sociales.

Ce changement a été nécessaire « Pour tenir compte d’une certaine diversité d’origine tant dans l’individu que dans les groupes » (MOSCOVOCI, 1989/2003, p 99). La communication permet aux sentiments et aux individus de converger, de sorte que l’individu peut devenir social ou vice et versa.

En reconnaissant que les représentations sociales sont à la fois générées et acquises, le côté préétabli, statique, disparaît et l’accent est ainsi essentiellement mis sur les interactions.

MOSCOVICI a apporté une attention particulière sur les liens existants entre communication sociale et représentations sociales. Il explique les phénomènes cognitifs en insistant sur le rôle de la communication sociale parce qu’elle a un rôle fondamental dans l’échange et les interactions qui concourent à l’institution d’un univers consensuel (JODELET1989/2003, p 63).

MOSCOVICI a examiné l’incidence de la communication sur les représentations sociales à trois niveaux, précise JODELET :

Dans l’émergence de la représentation sociale, la dispersion et le décalage d’informations concernant le sujet représenté, sont plus ou moins accessibles selon les groupes, la focalisation sur certains aspects de l’objet en fonction des intérêts et de l’implication des sujets, la pression exagérée par la nécessité d’agir, de prendre des décisions, d’obtenir la reconnaissance et l’adhésion des autres, sont autant d’éléments qui participent à différencier la pensée naturelle dans ses opérations, sa logique et son style lors de la phase d’émergence de la représentation sociale.

La communication sociale a des incidences sur l’objectivation et l’ancrage qui rendent compte de l’interdépendance entre l’activité cognitive et ses conditions sociales d’exercice, aux plans des contenus, des significations et de l’utilité conférés aux représentations sociales lors du processus de formation.

La communication médiatique influence la définition de la conduite : opinions, attitudes et stéréotypes.

Selon l’effet recherché, la diffusion est mise en rapport avec la formation de l’opinion, la propagation avec celles des attitudes et la propagande avec celles des stéréotypes.

« Sous ses aspects interindividuels, institutionnels et médiatiques, la communication sociale apparaît comme condition de possibilités et de détermination des représentations sociales et de la pensée sociale » (JODELET, 1989/2003, p 64).

« Les instances et les relais institutionnels, les réseaux de communications médiatiques ou informels interviennent dans l’élaboration des représentations sociales et ouvrent la voie à des processus d’influence, voire à la manipulation sociale » (JODELET, 1989/2003, p 52).

« L’attitude est un état d’esprit ou une prédisposition générale psychologique envers quelque chose. Cette prédisposition oriente dans certain cas toutes les interactions avec l’objet en question » (MUCCHIELLI, 2001/2003 p 15). « L’opinion est un jugement donné sur un élément du monde. Ce jugement n’est pas objectif car il renvoie à l’ensemble des attitudes de l’individu qui sont concerneés par la définition et la représentation de l’objet » (Ibid. p 18).

MOSCOVICI (1996/2003, p 22) insiste sur la communication et les médias en précisant que les représentations sociales naissent et se transmettent à travers des formes de communication.

« Les médias orchestrent ses formes ».

MOSCOVICI (1989/2003, p 101) précise qu’il existe une catégorie de personnes qui ont pour métier de fabriquer, dans le cadre de la division du travail, les représentations sociales. Il cite les médecins, les thérapeutes, les travailleurs sociaux, les animateurs culturels, les spécialistes des médias et du marketing politique. Nous verrons dans le chapitre suivant à travers les

textes des décideurs politiques, essentiellement concernant les politiques d’insertion, la place réservée aux sans emploi assistés et les représentations sociales qui en découlent.

DOISE (1989/2003, p 245), se référant aux travaux de MOSCOVICI (1961), précise les trois sortes de publications qui peuvent intervenir dans la construction des représentations sociales :

Concernant la diffusion, les auteurs d’articles, dans le but de créer un savoir commun et de s’adapter aux intérêts de leurs lecteurs, reçoivent une information de spécialistes qu’ils diffusent en masse. Ils n’ont que très peu d’implication dans la diffusion du savoir. Sans chercher à un changement de comportement, un nouveau thème à la mode est abordé pouvant être traité d’une manière contradictoire.

La propagation défend un certain point de vue dans une organisation plus complexe. Les membres du groupe établissent un rapport de propagation parce qu’ils ont une croyance à propager dans le cadre d’une vision du monde qu’ils ont produite. Ils s’accommodent des autres savoirs établis. MOSCOVOCI montre comment la communication de l’Eglise s’accommode du savoir psychologique.

La propagande s’inscrit dans des rapports sociaux conflictuels dont l’enjeu de la communication est l’opposition entre le vrai et le faux savoir, la transmission d’une vision antagoniste incompatible avec la vision des autres. La propagande vise à un refus d’une conception différente qui devient rivale et dont elle présente avec constance et rigidité un stéréotype.

Ces communications sociales participent à la transformation de l’idée en image comme l’a écrit HALBWACHS (1975/1925, p 281 cité par JODELET 1989/2003, p 74) à propos de la mémoire sociale. « Il n’y a pas d’idée sans image : plus précisément, idée et image ne désignent pas deux éléments : l’un social, l’autre individuel, de nos états de conscience, mais deux points de vue d’où la société peut envisager en même temps les mêmes objets qu’elle marque leur place dans l’ensemble de ses notions ou dans sa vie et son histoire ».

La formation des représentations sociales a été mise en évidence par l’étude des processus d’objectivation et d’ancrage en insistant sur la place des instances et des relais de communication dans celle-ci.

L’importance de la communication permet de mettre en évidence les changements survenus concernant la place du sans emploi assisté dans les politiques d’insertion par rapport à l’exclu à l’origine de ces politiques.

Dans le cadre de la théorie du noyau central, le changement de représentations sociales s’effectue par le rejet de la représentation d’un groupe idéal si un élément du noyau structurant est mis en cause. Au contraire, il n’y aura pas de rejet de la grille de décryptage si l’élément remis en cause est hors du noyau central.

Le noyau central ou structurant de la représentation selon Jean-Claude ABRIC (1976, 1984, 1988) est le lieu de cohérence d’une représentation autonome qui organise les éléments de la représentation et leur donne un sens (FLAMENT, 1989/2003, p 226-239).

Les éléments périphériques peuvent être plus ou moins proches du noyau. Ces schèmes assurent le fonctionnement quasi instantané de la représentation comme grille de décryptage de la situation.

MOLINER (1987) présente ces schèmes comme étant les caractéristiques de l’objet de la représentation. Les schèmes périphériques servent de tampon entre la réalité qui les met en cause et le noyau central qui doit rester stable. Ce mécanisme en s’amplifiant permet d’expliquer la transformation d’un représentation (FLAMENT, 1989/2003, p 230).

Dans certaines circonstances, indépendantes de la représentation, les personnes peuvent avoir des pratiques en désaccord plus ou moins important avec la représentation. D’abord inscrits dans les schèmes périphériques en protégeant le noyau structurant, ces désaccords s’amplifient jusqu’à atteindre le noyau en transformant la représentation.

L’auteur constate deux cas extrêmes de désaccord entre la pratique et la représentation. : les schèmes étranges naissent d’une contradiction explicite entre les pratiques et la représentation entrainant un changement de représentation brutal avec le passé ; les circonstances qui rendent plus fréquentes les désaccords entre la pratique et la représentation peuvent transformer progressivement celle-ci sans rupture avec le passé.

Les schèmes normaux sont des éléments périphériques qui indiquent ce qui est normal ou ce qui ne l’est pas dans une situation donnée. Les schèmes normaux peuvent se transformer en schèmes étranges, et sont alors définis par quatre composantes : le rappel du normal, la désignation de l’élément étranger, l’affirmation d’une contradiction entre ces deux termes et la proposition d’une rationalisation permettant de supporter la contradiction.

La représentation peut se transformer radicalement, en rupture avec le passé, ou bien la modification s’effectue progressivement dans la structure du noyau central.

Même si les schèmes font partie intégrante de la représentation, dans son aspect cognitif, il semble que certains schèmes étranges sont allusifs, voire implicites, ce qui oblige à se référer au contexte social et pas seulement au discursif. Dans le cas où beaucoup d’éléments contradictoires viennent transformer les schèmes normaux en schèmes étranges, FLAMENT

(1989/2003, p 234) constate qu’un grand nombre de types de rationalisation sont en contradiction entre eux. En s’accumulant, ils finissent par créer une incohérence intra et interindividuelle insupportable qui impose soit un retour aux pratiques anciennes, soit une restructuration du champ de la représentation.

Quand le retour aux pratiques anciennes est possible, le problème disparaît en laissant plus ou pas de trace. Dans le cas contraire, la restructuration qui se fait au détriment du noyau central structurant en le fissurant, disperse ces éléments parce que chacun d’eux évolue selon une logique propre en retrouvant un sens modifié, intégré plus ou moins dans le noyau central de la nouvelle représentation.

La représentation est la construction cognitive du réel ; elle permet de se positionner individuellement par rapport à un groupe et d’agir ; elle influence le comportement.

L’étude des représentations sociales permet de repérer dans les textes et leurs applications, dans la communication politique, à travers les rapports parlementaires et la presse, comment sont appréhendés les sans emploi assistés dans les politiques d’insertion. Mais cette place détériorée des sans emploi assistés est à étudier aussi à travers les changements de ces politiques. Leurs résultats escomptés sont à lire par rapport aux objectifs généraux et initiaux de l’insertion.

Y a-t-il corrélation entre le changement des représentations sociales et l’évolution des politiques de l’emploi et d’insertion par rapport à leurs objectifs initiaux ?

Afin d’évaluer les résultats escomptés des politiques d’insertion par rapport à la place des sans emploi assistés et des objectifs initiaux de l’insertion, il est nécessaire d’étudier l’évaluation théorique des politiques publiques, en particulier des politiques d’insertion.

2.3. L’EVALUATION DES POLITIQUES D’INSERTION : DES LIENS AVEC LES