• Aucun résultat trouvé

L’évolution des pratiques de l’évaluation des politiques d’insertion

L’INSERTION SOCIALE ET PROFESSIONNELLE : CONCEPTS, APPROCHES THEORIQUES ET DEMARCHE METHODOLOGIQUE

II / L’INSERTION SOCIALE ET PROFESSIONNELLE : CONCEPTS, APPROCHES THEORIQUES ET DEMARCHE METHODOLOGIQUE

2.3. L’EVALUATION DES POLITIQUES D’INSERTION : DES LIENS AVEC LES REPRESENTATIONS SOCIALES

2.3.2. L’évolution des pratiques de l’évaluation des politiques d’insertion

En ce qui concerne les politiques d’insertion, l’évaluation se structure autour de quelques rapports éminents, évaluations innovantes, textes législatifs fondamentaux, commissions déterminantes.

Pour VIVERET (1989), l’évaluation est un acte de jugement qui doit se réaliser dans une pratique démocratique et pluraliste avec la nécessité d’une séparation entre les instances chargées de l’évaluation d’une politique et le dispositif qui conduit cette politique. C’est suite à ce rapport qu’un dispositif institutionnel et scientifique a été instauré (LE CLAINCHE, 1992).

La création, par le décret n° 89-646 du 6 septembre 1989, de la commission indépendante chargée de l’évaluation du RMI a constitué une démarche fondamentale sur le plan institutionnel. Les pouvoirs publics en votant l’article 52 de la loi du 18 décembre 1988 relative à la création du R.M.I. pour une durée déterminée et en conditionnant son renouvellement à son évaluation, ont introduit des pratiques innovantes de gestion dans les politiques sociales, en particulier d’insertion. Pour Michel ROCARD, cette commission s’inscrit dans un programme plus vaste de « Renouveau du service public » et dans un contexte favorable à l’évaluation des politiques publiques qui deviennent plus complexes à cause de la multiplicité des acteurs et la nécessité de coordination des actions.

Le rapport VANLERENBERGHE en 1992 a animé le débat parlementaire préalable à la loi de 1992 modifiant le RMI., mais a eu très peu d’influence sur la loi elle-même. La conception de cette évaluation du RMI peut être qualifiée de pluraliste par son approche multidimensionnelle des problèmes de pauvreté impliquant une grande diversité de critères d’appréciation. Le RMI vient combler les failles de la protection sociale laissées par le système assurantiel. La transformation du marché de l’emploi et les insuffisances de la protection sociale classique ont contribué à accroître la situation de pauvreté (BOUCHOUX, HOUZEL & OUTIN, 2004). Le rapport décrit une population différente de celle attendue et

classique de la protection sociale : des bénéficiaires plutôt jeunes, sans charge de famille et demandeurs d’emploi (VANLERENBEGHE, 1992, p 19).

La commission a défini les quatre axes d’évaluation du RMI pour lutter contre la pauvreté, améliorer la protection sociale, inscription dans une nouvelle logique institutionnelle et facteurs de solidarités nouvelles afin de préparer les discussions parlementaires de 1992 et d’informer les décideurs de l’ensemble des effets de la loi. Les questions traitées sont de deux ordres, d’une part concernant les bénéficiaires en s’intéressant au repérage quantitatif (le nombre et leur profil), leurs difficultés (la modification de leur trajectoire et de leur condition de vie), et d’autre part, concernant le dispositif, en mettant en avant les questions de fonctionnement, d’application, de pratiques, de collaboration, de procédure.

BOUCHOUX et al. (2004, p 4) rappelle les thèmes généraux de l’investigation : le RMI par rapport au système de protection sociale, la diversité des pratiques due à la diversité des territoires et des institutions (Etat, conseil généraux, CCAS) et les conditions de partenariat institutionnel ainsi que la représentation de la pauvreté. La commission a permis, d’une part, de récolter une masse importante d’informations qui n’a réellement pu être exploitée qu’à la création de l’Observatoire National de la Pauvreté et de l’Exclusion Sociale (ONPES), et d’autre part, de mettre en évidence la complexité des effets du dispositif due à la diversité des caractéristiques des populations bénéficiaires. Autant la commission VANLERENBERGHE s’investit très peu sur le volet financier du RMI, autant le rapport de la Cour des Comptes de 1995 au Président de la République se positionne fortement sur les préoccupations gestionnaires engendrées par le dispositif. Effectivement, le nombre de bénéficiaires du RMI passe de 582 000 fin 1991, à 946 000 fin 1995, soit une augmentation de plus de 60%.

Le rapport de la Cour des Comptes se focalise sur les limites et les insuffisances du dispositif RMI parce que les préoccupations deviennent la crainte de dérives financières.

ALDEGHI (1996) dans un rapport du CREDOC montre que les changements des règles d’indemnisation du chômage avaient eu comme conséquence, que 2/3 des bénéficiaires du RMI au chômage n’étaient pas indemnisés. Les critiques de la Cour de Comptes de 1995 se concentrent, d’une part, sur le faible retour à l’emploi du dispositif RMI ; ce qui laisse craindre une dérive du RMI vers une simple prestation d’assistance et oriente les perspectives du rapport vers une accentuation des procédures de suspension et de radiation qui suppose l’augmentation du nombre de contrôles, et d’autre part, sur le faible taux de contractualisation.

Le faible degré d’appropriation des résultats par les pouvoirs publics et l’augmentation du nombre de bénéficiaires du RMI de 1989 à 1995 ont entraîné le déclin de l’approche

pluraliste. Les nouveaux critères d’évaluation du RMI deviennent le taux de sorties vers l’emploi et le taux de contractualisation dans un contexte où l’insertion professionnelle commence à devenir prioritaire sur l’insertion sociale (BOUCHOUX et al. 2004, p 8).

DEMAILLY, BOUCHOUX & OUTIN (2002), à partir de l’enquête INSEE 1998, montrent que la contractualisation est plus importante pour les bénéficiaires proches de l’emploi que pour les « inemployables ». Les contrat sociaux sont moins importants en nombre, mais sont plus appréciés par les bénéficiaires du RMI. L’accompagnement social leur paraît plus adapté à leur situation.

Le paradoxe commence à se faire sentir entre les orientations des pouvoirs publics vers l’emploi prioritairement alors que les besoins ressentis par les bénéficiaires sont plus d’ordre social.

Le rapport de la Cour des Comptes 2001 poursuit ses critiques concernant la contractualisation qui est décrite d’un intérêt limité parce que la diversité des pratiques départementales et le taux de contractualisation structurellement faible, n’engagent pas de démarche volontariste afin de garantir le lien entre l’aide et l’effort personnel du bénéficiaire.

Ce rapport préconise une harmonisation des pratiques institutionnelles fondées sur des nomenclatures communes, sur une meilleure connaissance statistique, le renforcement du suivi et du contrôle des bénéficiaires quant au respect du contrat d’insertion.

Les rapports de la Cour des Comptes 1998 et 2001 ont réorienté le débat sur le dispositif RMI, vers le montant des aides versées aux pauvres et sur la contrepartie que la société doit exiger à cette aide avec l’idée sous-jacente qu’une politique trop généreuse risquait d’encourager l’oisiveté (BOUCHOUX et al. 2004, p 11). Ainsi de la question de la pauvreté à réduire, les évaluations du RMI se sont orientées vers des considérations plus intrinsèques aux bénéficiaires du RMI sur les effets incitatifs de l’allocation en rapport à son coût.

L’incitation à la reprise d’emploi fait l’objet de nombreux rapports (CSERC, 1997), (CAE, 1998), (CGP, 2000) qui vont raisonner dans le cadre de la micro-économie en présupposant que la rationalité des l’allocataires compare les gains monétaires de la reprise d’emploi par rapport aux gains de redistribution des aides comme l’allocation RMI. Les dispositifs d’intéressement font leur apparition dans le but de réduire cette incitation à l’inactivité.

Les modélisations des évaluations fondées sur des cas-types supposent que les bénéficiaires se projettent dans une rationalité économique de court terme alors que les études montrent que la majorité ne maîtrise que très peu le dispositif. « Attribuer trop exclusivement le niveau élevé des allocataires du RMI aux caractéristiques du dispositif et à l’absence d’incitations, a partiellement masqué les autres causes structurelles, notamment celles liées à

l’affaiblissement des normes d’emploi et aux modifications du système d’indemnisation du chômage faisant jouer au diapositif le rôle de réceptacle des chômeurs non ou peu indemnisés, c’est finalement un résultat paradoxal des évaluations portant sur les incitations » (BOUCHOUX et al. 2004, p 14).

A partir de 1995, l’évaluation des politiques d’insertion et de l’emploi utilise des outils de l’économie et de l’économétrie, telles que les enquêtes de la DREES et de l’INSEE qui ont la volonté d’exploiter des données longitudinales sur les trajectoires afin d’estimer la durée dans le dispositif, le taux de sortie pour le RMI. La simplification économique est en décalage avec la volonté explicative des évaluations et des analyses. Ce sont bien les effets des dispositifs ou des mesures qui sont estimés dans un cadre normé par le discours économique, par rapport à une connaissance de la réalité du dispositif.

Les évaluations à initiatives locales montrent un souci d’une connaissance opérationnelle afin de mieux cerner les besoins spécifiques des allocataires pour construire l’offre d’insertion des départements, mais elles se heurtent aux manques de procédures harmonisées de recueil d’informations, de nomenclatures, d’objectifs qui permettraient des évaluations globales des résultats et de leurs interprétations.

Dans un premier temps, les évaluations des politiques d’insertion liées au RMI étaient axées sur une approche pluraliste dans ses objectifs et ses méthodes afin de bien appréhender la multidimensionnalité des difficultés des personnes entrant dans le dispositif. Elles n’ont eu que très peu d’impacts sur l’évolution du dispositif.

Dans un deuxième temps, les évaluations se sont concentrées plus étroitement sur les finalités opérationnelles telles que la prestation notamment concernant la réforme du barème, des allocations logement, de l’intéressement, ainsi que de son organisation territoriale avec la décentralisation, enfin, les évaluation en matière d’insertion se sont centrées sur les comportements intrinsèques à la personne du bénéficiaire du RMI ou de l’assisté sans emploi et aux effets de l’incitation à la recherche de l’emploi.

Les rapports de la Cour des Comptes ont été les instigateurs de la réforme du dispositif RMI en 2003, dans le cadre de la décentralisation puisqu’ils mettaient l’accent sur l’inégale implication des acteurs locaux pour expliquer les faibles performances du dispositif.

Le modèle ainsi construit de la bonne intervention sociale se concrétise par un suivi et un contrôle accrus et sanctionnés dans lequel le référent RMI porte la responsabilité de l’éventuel échec de la politique d’insertion et, accrédite l’idée qu’une partie des bénéficiaires abusent du

système parce qu’ils ne font pas assez de démarches pour s’en sortir (BOUCHOUX et al.

2004).

Ces rapports vont dans le sens de la responsabilité des acteurs de l’insertion et des exigences de contreparties pour les bénéficiaires dans une logique de chômeurs ou de bénéficiaires

« volontaires » responsables de leur situation, inspirée par des études consacrées aux effets désincitatifs pour lesquelles la persistance du nombre élevé des bénéficiaires du RMI se comprendrait par un dispositif insuffisamment orienté vers l’emploi, complexe et produisant des effets pervers.