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1.4 Le positionnement des nucléosomes

1.4.3 Les facteurs déterminant le positionnement des nucléosomes

1.4.3.1 L’influence de la séquence d’ADN

La préférence de l’octamère d’histones pour certaines séquences d’ADN est connue depuis longtemps (Drew and Travers,1985;Satchwell et al.,1986). Toutefois, sa réelle contribu- tion à l’organisation des nucléosomes in vivo demeurait, jusqu’à tout récemment, un sujet de controverse (Segal et al.,2006;Kaplan et al.,2009;Valouev et al.,2008;Zhang et al.,

2009). Les approches génomiques utilisées au cours des dernières années ont ainsi permis d’éclaircir certains malentendus en plus d’amener une meilleure compréhension du rôle de

la séquence d’ADN dans l’organisation des nucléosomes. Deux approches génomiques ont, entre autres, été utilisées pour déterminer l’influence intrinsèque de la séquence d’ADN sur le positionnement des nucléosomes in vivo. D’abord, des modèles informatiques permettant de prédire le taux d’occupation et/ou le positionnement des nucléosomes ont été élaborés à partir de cartographies de nucléosomes obtenues in vivo (Segal et al., 2006; Ioshikhes et al.,2006;Lee et al.,2007;Field et al.,2008;Yuan and Liu,2008;Peckham et al.,2007;

Gupta et al.,2008). Leur validation sur une autre partie de l’ensemble de données initiale

ou sur le génome d’une autre espèce permet d’identifier les régions dont l’organisation est guidée par l’ADN. Une autre approche consiste à comparer la cartographie obtenue in vivo et celle obtenue in vitro suite à la reconstitution de chromatine à partir d’ADN génomique nu et d’octamères d’histones purifiées (Kaplan et al.,2009;Zhang et al.,2009;Tillo et al.,

2010;Valouev et al.,2011). Puisque seule la séquence d’ADN influence l’organisation des

nucléosomes lors de la reconstitution in vitro, il est dès lors aisé d’identifier sa contribution in vivo. Dans l’ensemble, ces deux approches indiquent que la séquence d’ADN prédit cer- tains aspects de l’organisation des nucléosomes observée in vivo.

Tout d’abord, la séquence d’ADN est indicatrice du positionnement en rotation (ou angu- laire) des nucléosomes, i.e. l’orientation locale de l’ADN par rapport à la surface protéique de l’octamère d’histones. Les travaux du laboratoire de Travers (Drew and Travers,1985), portant, entre autres, sur le rôle de la flexibilité de l’hélice d’ADN comme contrainte à son enroulement autour de l’octamère d’histones, ont grandement contribué à l’émergence de ce constat. Par la suite, plusieurs études sont venues le confirmer en plus d’étayer la compréhension du phénomène (Ioshikhes et al., 1996; Lowary and Widom, 1998; Segal et al.,2006;Field et al.,2008;Boyle et al.,2008;Shivaswamy et al.,2008;Brogaard et al.,

2012;Gaffney et al.,2012;Winter et al., 2013). Ainsi, une périodicité de ∼10 pb dans la

présence de dinucléotides AA/AT/TA/TT est observée dans l’ADN enroulé autour de l’oc- tamère d’histones. Ces séquences se retrouvent en contact avec les histones, où le sillon mineur de l’ADN fait face à l’octamère, une interaction qui se produit environ toutes les 10 pb. La plus grande flexibilité des ces dinucléotides ainsi que leur capacité à supporter la compression engendrée par la petitesse du rayon interne pourrait expliquer ce positionne- ment préférentiel (Olson and Zhurkin,2011). Une périodicité de ∼10 pb de séquences plus rigides riches en dinucléotides CC/CG/GC/GG est aussi observée lorsque le sillon mineur est exposé vers l’environnement extérieur (Satchwell et al.,1986;Segal et al.,2006;Albert

et al.,2007;Gaffney et al., 2012). Elle vient également s’intercaler de façon déphasée de

5 pb à celle des séquences riches en A/T, reflétant autant la structure de la double hélice d’ADN que les contraintes imposées par l’enroulement de l’ADN autour de l’octamère d’histones. L’octamère d’histones n’a donc pas de domaine de liaison à l’ADN spécifique, mais des différences dans la flexibilité de l’ADN affectent son affinité pour certaines sé- quences et donc contraint le positionnement angulaire des nucléosomes. Néanmoins, les modèles n’utilisant que le patron périodique ne réussissent pas à prédire le positionnement en translation, i.e. indiquant où l’octamère d’histones est localisé le long de l’ADN (Hu-

ghes and Rando,2014). De fait, si ce patron périodique se répète plusieurs fois à une région

génomique donnée et en l’absence d’autres contraintes, des positions situées à 10 pb l’une de l’autre auront une probabilité semblable d’être occupées par un nucléosome produisant ainsi un décalage en phase de +/- 10 pb dans la précision du positionnement en translation à travers la population de cellules (i.e. positionnement aléatoire) (Gaffney et al., 2012). De plus, jusqu’à tout récemment la présence du patron périodique avait surtout été étudiée sous forme de signal moyen à travers l’ensemble des nucléosomes bien positionnés, empê- chant de conclure sur sur sa réelle présence dans les nucléosomes individuels (Jiang and Pugh,2009). Toutefois, une étude récente utilisant des données génomiques de digestion à la DNase I, a permis de révéler que la périodicité peut être détectée à des loci individuels et que ces régions de stabilité angulaire couvriraient environ 30% du génome (Winter et al.,

2013).

Une meilleure prédiction du positionnement en translation des nucléosomes est obtenue lorsque la contribution des séquences favorisant et défavorisant la formation du nucléo- some, i.e. pro- et anti-nucléosomales, est considérée (Peckham et al., 2007; Lee et al.,

2007;Field et al.,2008;Yuan and Liu,2008;Tillo and Hughes,2009;Kaplan et al.,2009).

En effet, les séquences de poly(A/T) sont intrinsèquement rigides, résistent à l’enroulement (Drew and Travers,1985;Satchwell et al.,1986;Nelson et al.,1987;Suter et al.,2000;Iyer

and Struhl,1995;Field et al.,2008) et sont associées in vivo aux RLN retrouvées aux pro-

moteurs des gènes et régions régulatrices chez la levure (Iyer and Struhl,1995;Suter et al.,

2000; Lee et al., 2007; Field et al., 2008). Elles permettent donc de prédire une faible

occupation contrairement aux régions riches en G/C qui prédisent une forte occupation. Toutefois, la plupart de ces études ont été effectuées chez la levures, dont le génome diffère de celui de l’humain entre autres pas son contenu en G/C. Néanmoins, des études récentes

ont pu confirmer l’existence du patron de périodicité (Gaffney et al.,2012) et l’importance des séquences pro- et anti-nucléosomales (Tillo et al.,2010;Valouev et al.,2011;Kundaje

et al.,2012) dans le positionnement des nucléosomes en rotation et en translation dans les

cellules humaines. En outre, certaines particularités, propres aux cellules humaines, ont été identifiées, révélant une plus grande complexité dans l’influence de la séquence d’ADN sur le positionnement des nucléosomes.

Tout d’abord, Tillo et al. (2010) ont observé que, contrairement à la levure, les régions régulatrices des cellules humaines ne contiennent pas le signal d’exclusion nucléosomale poly(A/T). Elles sont plutôt riches en G/C, prédisant une forte occupation par les nucléo- somes in vitro, et sont généralement occupées in vivo par des nucléosomes. De plus, Va- louev et al.(2011) ont observé, autant in vitro que in vivo, que la séquence occupée par le centre des nucléosomes bien positionnés est riche en G/C, alors que les séquences situées de part et d’autres sont riches en A/T. Ces résultats ont mené au modèle suivant : la région centrale riche en G/C attirerait la formation du nucléosome, mais ne serait pas suffisante pour permettre son positionnement précis. Ce seraient les régions situées de part et d’autre et riches en A/T qui permettraient de restreindre la position du nucléosome. Cette combinai- son de séquences, permettant un fort positionnement des nucléosomes, est qualifiée de "site conteneur" (Fig. 1.18). Leur contribution à l’organisation du génome n’a pas été quantifiée dans cette étude, mais nous pouvons déduire qu’elle serait limitée puisque la proportion de nucléosomes bien positionnés in vivo (positionnement en translation) est estimée à seule- ment 9-20% des nucléosomes totaux (Valouev et al.,2011;Gaffney et al.,2012). Des "sites conteneurs" ont également été mis en évidence dans des nucléosomes adjacents aux sites de liaison de certains FTs (Kundaje et al.,2012), suggérant leur importance dans l’organi- sation des nucléosomes aux régions régulatrices dans les cellules humaines.

Par ailleurs, une exception à la corrélation entre le contenu en G/C d’une région et son oc- cupation in vivo par les nucléosomes est observée aux promoteurs situés dans des régions riches en G/C et en di-nucléotides CpG, appelées îlots CpG (ICG) (ce type de promoteur est absent de la levure). En effet, ces régions, bien que prédites pour être occupées par des nucléosomes, sont paradoxalement libres de nucléosome in vivo (Tillo et al., 2010; Va-

louev et al.,2011), comme si quelque chose permettait de contourner ce signal intrinsèque.

Séquence favorable

Posi!onnement imprécis

Séquences défavorables

Positionnement précis

FIGURE 1.18 –Schéma décrivant le phénomène des sites conteneurs. La région centrale riche

en G/C favoriserait la présence d’un nucléosome, mais ne permettrait pas son positionnement en translation précis (gauche). Les régions adjacentes riches en A/T défavoriseraient la présence d’un nucléosome, contraignant le nucléosome à une position précise. Figure adaptée de (Valouev et al.,

2011).

sitionnement des nucléosomes à ces régions. Toutefois, certaines nuances ont été amenées récemment par une étude qui a revisité ces données. En effet, en classant les promoteurs des gènes selon leur contenu en G/C, Fenouil et al. (2012) ont observé une corrélation in vitro/in vivo entre le contenu en G/C et l’occupation par les nucléosomes pour les promo- teurs les plus riches en G/C, contenant majoritairement des ICG. Ces promoteurs ne sont pas occupés par des nucléosomes autant in vitro que in vivo, suggérant que la séquence elle-même dicterait l’exclusion des nucléosomes. Cette relation aurait été masquée dans les études précédentes par l’analyse du signal moyen à travers une population de promo- teurs hétérogènes. Ainsi, deux mécanismes co-existeraient. L’un, où la forte densité de G/C (ICG) servirait de signal intrinsèque d’exclusion à l’incorporation de nucléosomes. Ce mé- canisme pourrait être important pour la régulation de l’expression du génome puisque les gènes house keeping exprimés de façon ubiquitaire sont généralement associés avec des promoteurs ICG (Saxonov et al.,2006) et plus de 50% des promoteurs humains sont situés dans des ICG (Illingworth and Bird, 2009). L’autre, où l’implication de facteurs externes serait nécessaire afin de contourner la présence de nucléosomes aux promoteurs de gènes non-ICG et contenant des séquences pro-nucléosomales riches en G/C. Celui-ci pourrait être davantage important pour la régulation de l’expression des gènes spécifiques au tissu ou au contexte cellulaire (Saxonov et al., 2006). D’autres observations suggèrent l’im- plication de facteurs externes dans l’organisation des nucléosomes. À titre d’exemple, la longueur moyenne de l’ADN de liaison varie entre différents types cellulaires provenant d’un même individu et donc partageant un même génome ou entre différents états trans- criptionnels d’un même gène (Valouev et al., 2011). De plus, un espacement régulier des nucléosomes est observé à partir de nucléosomes isolés in vivo, mais pas à partir de nucléo- somes provenant de chromatine reconstituée in vitro (Valouev et al.,2011). Donc bien que

la séquence d’ADN régisse certains aspects du positionnement des nucléosomes, d’autres facteurs externes sont nécessaires.