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1.3 Les enhancers, les maîtres de l’expression du génome

1.3.7 La dérégulation des enhancers

De par leur implication centrale au processus de régulation de la transcription, il n’est pas étonnant que la dérégulation des enhancers puisse être impliquée dans diverses patholo- gies. On peut penser, notamment, à des altérations génétiques qui viendraient perturber le fonctionnement, l’activité ou la localisation des enhancers. À titre d’exemple, on peut ci- ter une mutation non-codante dans un motif de liaison d’un FT qui, en venant perturber sa liaison à l’enhancer, empêcherait l’établissement ou la réactivité de l’enhancer, ou en- core à une mutation codante amenant une perte de fonction d’un effecteur des enhancers ("écrivain, effaceur ou lecteur"), ou encore à une translocation faisant apparaître un en- hancer actif à proximité d’un gène qui ne devrait pas être activé ou à une délétion d’un enhanceressentiel (Smith and Shilatifard,2014). Des exemples de ces types d’altérations sont retrouvés dans la littérature. Ainsi, chez certains patients atteints de β-thalassémie, une maladie causant une forte anémie due à une déficience dans la synthèse d’une ou des chaînes formant l’hémoglobine, une suppression de la région régulatrice du locus de la β-globine est observée. Une translocation d’un enhancer actif à proximité du locus MYC, un oncogène, peut également être observée chez des patients atteints du lymphome de Burkitt. MLL3/MLL4 (Mixed-Lineage Leukemia Protein 3/4, KMT2B/C) des HMTs res- ponsable du dépôt de H3K4me1 aux enhancers et UTX (Lysine (K)-Specific Demethylase 6A, KDM6A), une HDM membre du complexe MLL3/MLL4/COMPASS connue pour dé- méthyler H3K27me3 aux enhancers (transition de inactif à neutre ou actif), sont toutes deux fréquemment mutées dans plusieurs types de cancers (Herz et al.,2014). Finalement, l’identification aux enhancers de polymorphismes nucléotidiques (SNPs) et leur associa- tion à diverses pathologies est un domaine de recherche en expansion ces dernières années et on commence à peine à comprendre comment des SNPs dans des régions non-codantes pourraient contribuer au développement de maladies. À titre d’exemple, un lien fonction- nel entre un SNP associé au cancer du sein et la liaison de FoxA1 a récemment été établi

(lari et al.,2012). Dans ce cas, le SNP favoriserait la liaison de FoxA1 à proximité du gène

TOX3, considéré un suppresseur de tumeur, entraînant une diminution de son expression. Ainsi, les altérations génétiques peuvent affecter l’établissement ou l’activité des enhan- cersde multiples façons et, sachant que plus de 80% des SNPs associés à des pathologies identifiées par GWAS (Genome Wide Association Study, permettant d’identifier les variants

génétiques associés à des phénotypes pathologiques) sont retrouvés dans les régions non- codantes du génome (Heinz et al.,2015), l’état actuel des connaissances ne représente fort probablement que la pointe de l’iceberg .

Un autre aspect encore peu exploré de la dérégulation de l’activité des enhancers concerne les altérations épigénétiques. En 2012, en comparant les régions génomiques enrichies en H3K4me1 dans des cellules épithéliales saines du côlon et dans différentes lignées cellu- laires isolées de tumeurs colorectales (TCR) primaires, Akhtar-Zaidi et al. (2012) (Annexe III) ont mis en évidence des milliers de régions génomiques différentiellement enrichies en H3K4me1, les VEL (Variant Enhancer Locus). Ainsi, certains enhancers sont perdus et d’autres acquis au cours de la carcinogénèse. Leur modèle, récapitulatif de la tumorigenèse colorectale, a permis de mettre en évidence que ces changements dans l’épigénome des cel- lules TCR évoquent un mécanisme général et reproductible de la carcinogenèse colorectale et non pas le résultat d’évènements aléatoires. En effet, 197 VEL sont communs à toutes les lignées TCR étudiées, alors que 2604 VEL acquis et 2047 VEL perdus sont détectés de fa- çon significative dans les lignées étudiées. De plus, les gènes sur-exprimés dans des lignées de cellules TCR sont préférentiellement associés aux VEL acquis, alors que les gènes ré- primés sont fortement associés aux VEL perdus. De façon intéressante, les auteurs révèlent que ces VEL acquis ou perdus reflètent une caractéristique universelle des cancers, soit la perte du caractère de différenciation des cellules. En effet, les VEL perdus sont caractéris- tiques des cellules normales du côlon, alors que les VEL acquis sont non spécifiques. Ainsi, les cellules cancéreuses ont acquis un réseau d’enhancers habituellement présents dans d’autres types cellulaires, et ont perdu la signature chromatinienne associée au phénotype caractéristique des cellules normales. Ces changements épigénomiques résument donc la perte de différenciation observée dans les cellules cancéreuses et pourraient donc s’avérer être un phénomène général et conducteur de la carcinogénèse. Toutefois, d’autres études sont nécessaires afin de déterminer les différences dans les mécanismes de régulation entre les cellules normales, pré-cancéreuses et cancéreuses, ce à quoi que les projets ENCODE et Roadmap Epigenomics contribueront certainement dans les prochaines années. Ainsi, plusieurs questions nécessitent un approfondissement. Notamment, est-ce que ces chan- gements dans l’état de la chromatine surviennent également en réponse aux traitements administrés pour contrer les tumeurs et, si oui, sont-ils impliqués dans l’établissement de la résistance observée à ces traitements ? Qu’en est-il des bouleversements épigénomiques

induits par les carcinogènes environnementaux ?

Finalement, une convergence entre les mécanismes de dérégulation épigénétiques et gé- nétiques pourrait être en jeu. En effet, des SNPs, associés au risque de développement du cancer colorectal et enrichis dans des régions enhancers marquées par H3K4me1 spéci- fiques aux cellules normales, ont été détectés dans des régions de VEL acquis ou perdus dans les cellules TCR. À quel point ces SNPs influencent les remaniement épigénomiques du réseau d’enhancers associés à la carcinogénèse demeure pour l’instant inconnu. Une meilleure compréhension des mécanismes sous-jacents est nécessaire et ouvrira certaine- ment la voie à de nouveaux outils de diagnostic, mais également de prévision et de suivi de la réponse aux traitements.