• Aucun résultat trouvé

1.4 Le positionnement des nucléosomes

1.4.3 Les facteurs déterminant le positionnement des nucléosomes

1.4.3.2 L’importance des facteurs agissant en trans

Une évidence flagrante de l’importance des facteurs agissant en trans sur le positionne- ment des nucléosomes in vivo provient des études de reconstitution de la chromatine in vitro effectuées chez la levure. En effet, pour obtenir in vitro un assemblage similaire à celui observé aux promoteurs des gènes in vivo, l’apport d’ATP et d’extraits cellulaires est nécessaire (Korber and Horz, 2004;Zhang et al., 2011). Ainsi, des facteurs dépendant de l’ATP permettraient de contourner la préférence liée à la séquence d’ADN et joueraient un rôle crucial dans le positionnement, l’espacement et le taux d’occupation adéquats des nucléosomes à une région donnée. On peut penser, entre autres, aux CRC-ATP qui utilisent l’énergie de l’ATP afin de modifier les interactions physiques entre l’ADN et les histones, notamment, par le déroulement de l’ADN ainsi que le déplacement latéral des histones, par l’éviction complète ou partielle des histones ou encore par la déstabilisation ou l’altération de la composition de l’octamère d’histones, tel le remplacement des histones canoniques par des variants (Clapier and Cairns, 2009). Ces effets des CRC-ATP ont été bien carac- térisés chez la levure. Ainsi, la suppression de certains CRC-ATP, tels que CHD1, INO80 and ISW1, mène au déplacement des nucléosomes vers des régions où la séquence est in- trinsèquement plus favorable à celles occupées dans les cellules normales (van Bakel et al.,

2013), indiquant qu’ils favorisent la préférence de séquence. À l’inverse, certains CRC- ATP, tel que SWI/SNF, évincent les nucléosomes des régions défavorables, agissant ainsi en trans afin d’augmenter la préférence de séquence (Tolkunov et al., 2011). Par ailleurs, chaque famille de CRC-ATP aurait une préférence pour certains groupes de gènes et pour des positions spécifiques par rapport à la topologie des promoteurs et des gènes, et éton- namment, une certaine directivité régirait leurs actions (Yen et al.,2012). À titre d’exemple, les nucléosomes adjacents à la RLN située au promoteur sont dirigés vers ou à l’opposé de la RLN dépendamment du CRC-ATP impliqué. Ainsi, ISW2, considéré comme un CRC- ATP répressif, déplace les nucléosomes vers le RLN, alors que INO80, CHD1, ISWIb et SWI/SNF en éloignent les nucléosomes. À quel point ce phénomène serait relié à leur ef-

fet favorable/défavorable envers la préférence de séquence reste pour l’instant inconnu. De plus, l’existence et l’importance de ces divers mécanismes restent à être confirmées chez l’humain.

Chez l’humain, plusieurs observations, notamment sur les effets de la transcription sur le positionnement des nucléosomes, suggèrent également que des mécanismes agissent en trans afin de modifier le positionnement des nucléosomes. Ainsi, le taux d’occupation et l’espacement entre les nucléosomes sont moindres chez les gènes transcrits que non trans- crits (Valouev et al.,2011), suggérant que les cycles d’éviction/incorporation des nucléo- somes durant la transcription perturbent l’architecture de la chromatine. De plus, l’organi- sation des nucléosomes aux promoteurs des gènes est typique de leur état transcriptionnel. Ainsi, les promoteurs des gènes actifs possèdent une RLN d’environ 150 pb située devant le TSS et une série de nucléosomes bien positionnés qui émanent de cette région (envi- ron deux avant la RLN, position -2 et -1 du TSS, et environ cinq après, position +1 à +5), appelée "organisation canonique" (Fig. 1.19 (Schones et al., 2008;Valouev et al., 2011). Cette architecture simplifiée est déduite du profil moyen des nucléosomes à travers l’en- semble des promoteurs actifs. Les promoteurs des gènes inactifs ont, quant à eux, une RLN beaucoup moins prononcée voir absente et peu de positionnement des nucléosomes à l’exception du nucléosome à la position +1 du TSS (Schones et al., 2008;Valouev et al.,

2011). Ces résultats suggèrent que pour passer de l’état inactif à actif, une réorganisation des nucléosomes doit être effectuée aux promoteurs des gènes, incluant l’éviction et le re- positionnement des nucléosomes.

Région libre de nucléosome TSS

FIGURE 1.19 –Modèle de l’organisation canonique des nucléosomes aux TSSs. Figure modi-

Des analyses corrélatives suggèrent un rôle de l’ARNPII et/ou de la transcription dans le positionnement en translation des nucléosomes aux promoteurs. En effet, une corrélation est observée entre l’organisation des nucléosomes autour du TSS et la présence de l’ARN- PII. Les gènes exprimés qui ont le plus haut taux d’ARNPII ont davantage des nucléosomes bien positionnés (Schones et al., 2008). De plus, le positionnement en translation du nu- cléosome +1 par rapport au TSS diffère entre les gènes actifs (+40 pb) et inactifs (+10 pb) et ce décalage correspond à l’espace occupé par l’ARNPII aux gènes actifs (+10 pb). Toutefois, le positionnement en translation du nucléosome +1 aux gènes en pause serait similaire à celui des gène inactifs, bien que l’ARNPII soit liée aux promoteurs (Schones

et al.,2008), suggérant davantage l’implication du processus de transcription ou de d’autres

facteurs (peut-être dépendant de la forme active de l’ARNPII) que celle de l’ARNPII seule. De plus, des analyses fonctionnelles pointent vers un rôle mitigé de l’ARNPII et/ou de la transcription.

Ces études, effectuées chez la levure, la souris, l’humain et la drosophile (Drosophila me- lanogaster), aident à comprendre l’effet de l’ARNPII et/ou de la transcription sur le po- sitionnement adéquat des nucléosomes aux promoteurs des gènes. De plus, chez la levure un positionnement des nucléosomes fidèle à la préférence de séquence observée in vitro est observé in vivo aux promoteurs des gènes suivant l’inactivation de l’ARNPII (Weiner

et al., 2010). Ainsi, le taux d’occupation augmente dans la RLN et le positionnement en

translation des nucléosomes aux positions +1, +2, +3 se déplace vers la région codante, soutenant l’implication de l’ARNPII, ou du moins de la transcription (Weiner et al.,2010). Au contraire, une étude effectuée chez la souris et l’humain démontre peu d’effet de l’in- hibition de l’ARNPII, par l’utilisation d’α-amanitine, sur le taux d’occupation de la RLN

(Fenouil et al.,2012). L’organisation adéquate des nucléosomes aux promoteurs des gènes

serait plutôt dirigée par le contenu en G/C-ICG, et celui-ci pourrait même dicter, en contrô- lant la taille de la RLN, le positionnement de l’ARNPII par rapport au TSS (devant, dessus ou après) (Fenouil et al.,2012). En effet, les promoteurs ICG, autant ceux occupés que non- occupés par l’ARNPII, ont une RLN constitutive dont la taille corrèle avec celle de la région ICG (Fenouil et al.,2012). Ces résultats soutiennent un établissement de l’organisation des nucléosomes, particulièrement de la RLN, indépendant de la présence de l’ARNPII ou de la transcription aux promoteurs ICG. Néanmoins, l’ARNPII pourrait jouer un rôle dans la précision du positionnement en translation des nucléosomes bordant la RLN, particulière-

ment le nucléosome à la position +1 (Fenouil et al.,2012) et pourrait influencer la présence de la RLN aux promoteurs non-ICG (Vavouri and Lehner,2012).

Il est important de noter que ces études ne font pas la distinction fonctionnelle entre les deux mécanismes de régulation de la transcription, à savoir la régulation du recrutement de l’ARNPII et le contrôle de l’ARNPII en pause. Or, ce dernier semble impliqué dans l’archi- tecture des nucléosomes aux promoteurs. En effet, des résultats obtenus chez la drosophile suggèrent un rôle préventif de l’ARNPII en pause sur l’occupation des nucléosomes autour du TSS (Gilchrist et al.,2010). Ainsi, les gènes recourant le plus au mécanisme de pause ont une RLN plus prononcée que les autres gènes, alors que leur séquence d’ADN favorise- rait une occlusion par les nucléosomes. La diminution de l’expression de NELF (negative elongation factor), un complexe protéique responsable du maintien de l’ARNPII en pause

(Kwak and Lis,2013), diminue la présence d’ARNPII aux promoteurs des gènes en pause,

augmentant l’occupation par les nucléosomes dans la RLN et modifiant le positionnement en translation des nucléosomes qui bordent la RLN favorisant l’occupation de la RLN. La perte du mécanisme de pause entraîne donc une ré-organisation répressive des nucléosomes dirigée par la séquence d’ADN. Cependant, la présence ou non d’ICG dans les promoteurs n’a pas été analysée dans ces études, nous empêchant de conclure complètement sur la contribution de chacun des mécanismes. Néanmoins, deux mécanismes semblent co-exister pour la formation de la RLN, l’un indépendant de la présence de l’ARNPII, majoritaire- ment retrouvé chez les gènes house keeping, contenant probablement des promoteurs ICG, et l’autre dépendant de l’ARNPII en pause, majoritairement retrouvé chez les gènes haute- ment régulés, contenant probablement des promoteurs non-ICG, mais riches en G/C.

Une autre façon de comprendre le rôle de la transcription dans l’organisation des nucléo- somes est de l’étudier dans les modèles inductibles ou de différenciation cellulaire, qui im- pliquent des changements profonds dans l’expression du génome. Ainsi, durant l’embryo- genèse chez le poisson zèbre (Zebrafish) très peu de changements dans le taux d’occupation ou le positionnement en rotation des nucléosomes sont observés à l’échelle du génome, mais des changements majeurs dans le positionnement en translation (Zhang et al.,2014). En effet, plusieurs nucléosomes bien positionnés apparaissent à des milliers de régions gé- nomiques durant l’activation du génome, particulièrement aux promoteurs où l’organisa- tion canonique se forme, et ce indépendamment de la séquence d’ADN, de la transcription

ou de la liaison de l’ARNPII. Ce serait plutôt la composition de la chromatine qui pourrait être en cause dans ce cas-ci. En effet, la majorité des promoteurs qui ont acquis l’orga- nisation canonique au cours de la différentiation ont également acquis H3K4me3. Il est cependant impossible de conclure si l’établissement de H3K4me3 survient avant ou après l’acquisition de l’organisation canonique. Toutefois, la corrélation quantitative entre le si- gnal de H3K4me3 et la qualité de l’organisation, et le fait que des promoteurs non occupés par l’ARNPII mais enrichis en H3K4me3 possèdent l’organisation canonique, sont des ar- guments en faveur d’un rôle possible de la composition et/ou des "écrivains, effaceurs, et lecteurs" dans l’organisation de la structure de la chromatine. Cette relation pourrait ne pas être spécifique au modèle de différentiation puisque dans des cellules différenciée hu- maines, l’espacement moyen entre les nucléosomes diffère selon la composition locale de la chromatine, i.e l’espacement observé dans l’euchromatine associée aux régions régulatrices (H3K4me1, H3K27ac) est moindre que dans l’hétérochromatine (H3K27me3, H3K9me3)

(Valouev et al., 2011). Cette influence possible de la composition de la chromatine sur

le positionnement des nucléosomes, quoique non surprenante, reste largement méconnue. Sachant qu’un nombre incroyable de MPTs des histones et de variants d’histones a été identifié, que d’autres restent certainement à être découverts, que ces modification peuvent être dynamiques et que le nombre théorique de combinaisons possibles est vaste puisque chaque nucléosome contient deux copies de chacune des histones, son étude n’est toutefois pas simple.

Un autre facteur agissant en trans sur le positionnement des nucléosomes est la liaison des FTs à l’ADN. En effet, la corrélation entre l’occupation nucléosomale prédite in vitro et la réelle occupation in vivo diminue lorsque le taux d’occupation par un FT augmente (Gaff-

ney et al., 2012). Les FTs pourraient, entre autres, compétitionner avec l’octamère d’his-

tones pour la liaison à l’ADN ou lier l’ADN enroulé ou momentanément déroulé autour de l’octamère, empêchant ou décalant ainsi le positionnement du nucléosome à cet endroit du génome. Dans ce cas, on peut penser aux facteurs pionniers. Ainsi, le modèle classique de la relation entre les FTs et la chromatine stipule que la liaison des FTs à l’ADN est res- treinte par la présence d’un nucléosome et, une fois lié, deux nucléosomes bien positionnés seraient situés de part et d’autre du FT. Un mécanisme externe serait donc nécessaire, par exemple l’action de CRC-ATP ou de facteurs pionniers, pour permettre la liaison du FT. Il est toutefois difficile de discerner pour l’instant si le repositionnement des nucléosomes

aux sites de liaison des FTs est la cause ou la conséquence de la liaison du FT et si le FT en lui-même est suffisant ou si des co-facteurs sont nécessaires. Il demeure néanmoins qu’un mécanisme en trans agit au niveau des régions occupées par les FTs et qu’il existe une re- lation complexe entre la liaison des FTs à l’ADN et la structure de la chromatine. Celle-ci sera discutée en détail à la section suivante.

La contribution des facteurs agissant en cis et en trans sur le positionnement des nucléo- somes n’est donc que partiellement comprise et leur étude individuelle ne permet pas d’avoir une vision globale de ce processus dynamique. Par exemple, le positionnement des nucléosomes à une séquence donnée peut être influencé par la séquence d’ADN, mais cette préférence peut être favorisée ou défavorisée par la liaison de certaines protéines, qui à leur tour vont permettre le recrutement d’autres protéines ayant une activité de re- modelage et/ou de modification de la composition de la chromatine et ainsi influencer le positionnement. De plus, l’influence du positionnement d’un nucléosome par rapport aux nucléosomes adjacents reste à être définie parmi deux possibilités, à savoir, l’indépendance ou la dépendance. Le modèle de dépendance appelé positionnement statistique (Kornberg

and Stryer, 1988) est celui ayant le plus d’évidence dans la littérature et concorde avec

l’existence des nucléosomes en phase qui émanent de la RLN et l’augmentation graduelle de l’imprécision de leur positionnement à travers la population de cellules plus la distance par rapport aux RLN augmente. Il stipule que le fort positionnement d’un nucléosome, par la séquence d’ADN (ex : les sites conteneurs (Valouev et al., 2011;Kundaje et al.,2012)) et/ou par des facteurs en trans (ex : un FT (Fu et al., 2008) ou un CRC-ATP (Yen et al.,

2012)), est suffisant pour forcer le positionnement des nucléosomes adjacents en empê- chant les mouvements latéraux, i.e. dans une cellule donnée, deux nucléosomes ne peuvent se chevaucher. Ainsi, ce nucléosome agirait comme une barrière contraignant le position- nement des nucléosomes adjacents sans recourir à un mécanisme en cis ou en trans pour ces derniers. Toutefois, bien que ce modèle puisse concorder avec les observations aux éléments régulateurs où les nucléosomes bien positionnés sont majoritairement observés, d’autres régions du génome pourraient recourir au modèle d’indépendance, où les nucléo- somes sont positionnés de façon aléatoire.

1.4.4. La structure de la chromatine aux sites de liaison des facteurs de transcription