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Chapitre 1. Les enjeux associés à l’utilisation de matières premières dans

2.2. Les spécificités de l’industrie pétrochimique mondiale

2.2.1. La structure de marché de l’industrie pétrochimique mondiale

2.2.1.2. L’influence des États sur le secteur pétrochimique mondial

L’influence des États et des gouvernements sur le secteur peut être appréhendée à deux niveaux. Premièrement au niveau des politiques économiques et industrielles qui favorisent et soutiennent de manière directe ou indirecte le secteur dans un pays donné. Deuxièmement au niveau de l’impact qu’ont les politiques et les choix énergétiques sur l’activité du secteur du fait de la forte dépendance de l’industrie aux matières premières énergétiques.

i. L’impact des politiques économiques publiques de

développement

Le secteur public a contribué à l’essor de l’industrie pétrochimique et plastique dans de nombreux pays du monde par des actions indirectes via la mise en place de politiques économiques de soutien de l’activité (subventions, barrières douanières, quotas) et par des actions directes via des investissements publics et la création d’entreprises publiques (Chapman, 1991). Cet interventionnisme étatique contraste avec la situation en Europe et aux États-Unis où le secteur s’est développé essentiellement grâce aux entreprises privées.

Plusieurs raisons peuvent expliquer l’intérêt des États pour le développement d’une industrie pétrochimique sur leurs territoires :

- L’accès à de nouvelles technologies permet la dissémination de savoir-faire et de compétences dans le reste de l’industrie. Il permet de créer un secteur à forte valeur ajoutée et de faire émerger une main d’œuvre très qualifiée.

- L’industrie pétrochimique permet de valoriser des ressources naturelles existantes et d’utiliser les surplus monétaires disponibles dans certains pays exportateurs de pétrole.

- Il permet de répondre aux besoins en matières premières intermédiaires dans les pays qui sont en phase d’industrialisation de leurs économies.

Nous pouvons donc définir deux logiques dans le développement d’une industrie pétrochimique. Dans le premier cas le développement de l’industrie pétrochimique est orienté sur les marchés locaux comme cela a pu être le cas dans les pays disposant d’un marché intérieur suffisamment grand (États-Unis, Brésil, Chine, Inde...). Dans le

deuxième cas l’industrie est orientée à l’exportation comme ce fut le cas dans les plus petits pays disposant des ressources naturelles en abondance (pays de l’OPEP).

Adochi et Yonago (1966) présentent le développement du secteur pétrochimique japonais à partir de 1955 dans lequel le « MITI » (Ministy of International Trade and Industry) a joué un rôle déterminant. Le gouvernement avait mis en place une série de mesures visant à favoriser les investissements privés et à protéger le secteur de la concurrence des importations. L’exemple a été suivi par d’autres pays asiatiques comme le Corée du Sud et Taiwan.

Chu (1994) étudie le rôle crucial du gouvernement taïwanais dans la création du secteur pétrochimique. L’État a utilisé une politique de substitution des importations en complément d’une politique de développement des exportations. Il a d’abord favorisé l’essor d’un secteur en aval (downstream) orienté à l’exportation qui consomme des matières pétrochimiques puis a construit un secteur en amont (upstream) avec des investissements publics pour substituer les importations des ces matières premières intermédiaires.

Le développement de l’industrie pétrochimique au Brésil confirme la forte influence des gouvernements. En 2002 la fusion de six compagnies pétrochimiques nationales a abouti à la création du groupe Braskem qui est devenu en 2010 après la fusion avec la compagnie Quattor le premier producteur des résines plastiques en Amérique Latine30.

Au Moyen-Orient à partir de la fin des années 70 les gouvernements ont activement contribué à la création du secteur pétrochimique. En 1976, l’Arabie Saoudite crée « la commission Royale pour Jumbail et Yanbu » qui construit des infrastructures et la compagnie d’État SABIC qui construit des usines pétrochimiques. SABIC fait partie aujourd’hui des cinq premières compagnies pétrochimiques mondiales31.

Auty (1988) explique que dans les pays exportateurs de pétrole (Moyen-Orient et Afrique du Nord) les entreprises d’État ont joué un rôle très important dans le cadre de joint-ventures réalisées avec des firmes multinationales pour développer une stratégie d’industrialisation basée sur la valorisation des ressources naturelles (« Ressources based industry »). Chapman (1991) confirme l’influence très forte des

30 Source: Platts: « Horizon: Americas Petrochemicals Outlook », Platts, Spring 2011. 31

États sur le développement dans les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord d’une industrie pétrochimique orientée à l’exportation.

Askari et Jaber (1999) mettent cependant en garde contre la viabilité à long terme des politiques de développement et d’industrialisation basées uniquement sur l’exploitation de ressources non renouvelables. Dans le cadre des ces stratégies l’avantage compétitif des pays n’est pas viable à long terme quand les ressources sont non renouvelables. L’avantage compétitif est très dépendant de facteurs externes comme le cours des matières premières, les coûts relatifs de transport des produits, les coûts du capital et du travail et la croissance économique extérieure (Askari, 1990). Les pays exportateurs de pétrole et de gaz naturel du Moyen-Orient doivent donc mettre en œuvre des politiques qui favorisent la diversification de leurs économies et l’essor de secteurs d’activités moins dépendants des ressources naturelles.

ii. L’impact des politiques énergétiques

Il existe une forte dépendance des matières pétrochimiques aux énergies primaires. Le pétrole brut et le gaz naturel interviennent en tant que biens de production intermédiaires (inputs) dans la fabrication et comme source d’énergie tout au long du processus de production32. C’est donc une véritable chaîne de dépendance énergétique qui lie les thermoplastiques aux sources d’énergies primaires. Par conséquent les choix en matière de politique énergétique ont des effets directs et indirects sur l’activité du secteur pétrochimique. Les interventions de nombreux gouvernements sur les marchés de l’énergie en réponse aux chocs énergétiques ont influencé le plus souvent involontairement les marchés pétrochimiques mondiaux.

Champan (1991) s’intéresse par exemple aux politiques énergétiques en Amérique du Nord entre 1970 et 1980. La politique de régulation des prix locaux du pétrole et du gaz naturel mise en place aux États-Unis après le choc pétrolier de 1973 a donné un avantage comparatif au secteur pétrochimique américain. La politique énergétique américaine a été critiquée par les pays européens et le Japon comme une distorsion de la concurrence. Campbell (1983) a confirmé que l’avantage naturel des États-Unis en matière de prix des inputs avait été renforcé par les politiques énergétiques mises en place par le gouvernement. Inversement Chapman (1991) montre que dans la région

32 Environ 81 Mégajoules sont nécessaires pour produire 1 Kg de Polypropylène vierge, 69% de cette énergie étant issue du pétrole et 27% du gaz naturel. Source : http://lca.plasticseurope.org/index.htm.

d’Alberta au Canada, l’intervention du gouvernement entre 1975 et 1985 à travers le contrôle des prix interne du pétrole et du gaz naturel a posé des problèmes aux intervenants de l’industrie pétrochimique. La politique de prix décidée par les autorités était alors mal adaptée à la situation sur les marchés mondiaux des matières premières ce qui a abouti à son abandon en 1985.

Plus récemment, les découvertes des gisements de gaz non conventionnels aux États- Unis ont bouleversé les marchés mondiaux du gaz. Cette situation a permis à l’industrie pétrochimique américaine de retrouver un avantage comparatif en matière de coût des inputs par rapport à l’Europe et au Japon qui restent très dépendants des prix du pétrole (Graphique 8).

Graphique 8: Comparaison des coûts de production de l'éthylène

MDE = Moyen- Orient, NAM = Amérique du Nord, SEA = Asie du Sud Est, NEA= Asie du Nord Est, WEP= Europe de l’ouest. Source : CMAI 2011, APIC Marketing Seminar, Tony Potter

De plus, nous pouvons considérer que les choix politiques effectués en matière de mix énergétique en Europe auront une influence sur les marchés pétrochimiques. Par exemple, le refus d’exploitation des gaz de schiste en France et la sortie du nucléaire en Allemagne et dans d’autres pays européens pourrait impacter la compétitivité du secteur pétrochimique européen.

Les politiques contraignantes de protection de l’environnement et de réduction des émissions de CO2 s’inscrivent dans cette logique. C’est en majorité dans les pays industrialisés que les gouvernements ont décidé de renforcer les règlementations qui s’imposent à l’industrie pétrochimique.

En 2007 l’Union Européenne a par exemple mis en vigueur la réglementation REACH33. Le programme fait porter à l’industrie la responsabilité d’évaluer et de gérer les risques posés par les produits chimiques et de fournir des informations de sécurité adéquates à leurs utilisations. Le rapport « EU 2004 REACH » synthétise les très nombreuses études effectuées sur l’impact de la nouvelle réglementation. Les auteurs comparent les coûts et les bénéfices. En synthèse, il parait difficile d’évaluer certainement l’impact global de la nouvelle réglementation. Mais le coût direct d’implémentation calculé pour les 25 pays de l’Union Européenne est évalué à 4 milliards d’euros. Il faut cependant le comparer aux effets positifs sur la santé des travailleurs et des citoyens qui sont eux très difficiles à quantifier.

Angerer et al. (2008) montrent qu’à l’échelle globale la réglementation REACH ne devrait pas pénaliser significativement la compétitivité de l’industrie chimique européenne même si au niveau individuel les petites et moyennes entreprises du secteur pourraient rencontrer de plus sérieuses difficultés.

Dans la continuité des engagements du Protocole de Kyoto, l’Union Européenne a créé en 2005 « le Système Communautaire d’Echanges de Quotas d’Emissions » (SCEQE ou « EU Emission Trading Scheme » ETS en anglais). La troisième phase du SCEQE prévoit son implémentation dans le secteur pétrochimique en 2013. Un certain nombre d’entreprises du secteur sont déjà soumises au SCEQE dans le cadre de leurs activités de combustion. Cependant ce nouveau système contraignant devrait impacter la compétitivité du secteur pétrochimique européen qui fait déjà face à la concurrence croissante de la part d’autres régions du monde.

Lund (2007) évalue le coût du système ETS sur les industries les plus consommatrices d’énergie. L’instauration de permis d’émission de CO2 a des répercussions sur l’industrie via le coût direct et via le coût indirect de la hausse du prix de l’électricité. Les effets économiques de l’ETS sont différents d’une industrie à l’autre. Ils sont 3 à 4 fois supérieurs dans le secteur de l’acier et du ciment que dans les autres industries. Lee, Lin et Lewis (2007) étudient les effets de l’instauration d’une taxe carbone et d’un système de permis d’émission de CO2. D’après leurs résultats, l’industrie pétrochimique risque une perte de richesse dont la valeur dépend du type de politique

33 Règlement sur l’Enregistrement, l’Evaluation, l’Autorisation et le Restriction des substances chimiques.

choisie : une réduction du PIB de 5,7% sur la période 2011-2020 en cas de l’instauration unique d’une taxe carbone contre une perte de 4,7% si elle est groupée avec un système d’échange de permis d’émissions.

Un rapport de l’organisation CE Delft (2008) confirme que dans les secteurs d’activité les plus fragiles (production d’aluminium, de fertilisant, d’acier, de chimie organique et de chimie de base) les hausses des prix pourraient être importantes à la suite de l’instauration du système européen ETS. Sans la possibilité de passer ces coûts supplémentaires sur les consommateurs, il y a un risque de baisse de la profitabilité des secteurs et même de « fuite carbone »34 (« carbon leakage »).