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Chapitre 1. Les enjeux associés à l’utilisation de matières premières dans

1.3. Les risques économiques associés à l’insertion de matières premières dans

1.3.2. Analyse du risque de prix des matières premières dans l’industrie

1.3.2.2. L’impact du risque des prix de l’énergie au niveau

macroéconomique

L’exemple des matières plastiques illustre comment la volatilité sur les marchés énergétiques et en premier lieu du pétrole, peut affecter de façon opérationnelle un consommateur de matières. Plus généralement les effets de chocs sur les prix de l’énergie ont été étudiés dans de nombreux travaux académiques avec un focus sur l’analyse de l’impact des chocs pétroliers sur l’activité macroéconomique22. Il n’y pas de consensus sur les mécanismes de transmission et il est fort probable que la façon dont les prix du brut affecte l’économie ait évolué au cours du temps (Artus & al, 2010).

Certains chercheurs ont approfondi cette analyse au niveau sectoriel. Ces études empiriques cherchent à identifier les mécanismes de transmissions des chocs pétroliers sur l’activité industrielle.

i. Les canaux de transmission des chocs énergétiques

Nous pouvons identifier deux principaux mécanismes par lesquels les variations du prix du pétrole et de l’énergie se transmettent sur l’activité économique :

- L’effet sur l’offre de biens et services à travers les coûts de production ou la productivité : c’est le canal de coût ou canal de l’offre de bien qui agit principalement dans les industries fortement intensives en pétrole (Barro, 1985 ;

22La plupart des études concernent les Etats-Unis. Nous pourrons citer notamment Hamilton 1983 ; Hamilton et Herrera 2001 ; Brown et Yücel 2003 ; Brown, Yücel et Thompson 2004 ; Barsky et Kilian 2004, Hobijn 2008

Brown & Yücel, 1999 ; Abel & Bernanke, 2001). L’approche classique se concentre sur les effets d’un choc exogène sur les prix du pétrole importé qui est considéré comme un bien intermédiaire rentrant dans la fabrication de l’ensemble de biens (Artus & al, 2010).

- L’effet sur la demande de biens et services : c’est le canal de la demande de bien. Kilian (2008) met en évidence l’impact que peut avoir la variation des prix du pétrole et de l’énergie sur les dépenses de consommation des ménages23. Ce second canal de transmission ne doit pas être oublié car il joue un rôle non négligeable spécialement pour le secteur automobile.

Même si d’un point de vue théorique, certains auteurs mettent en avant le rôle du canal de l’offre, les études purement empiriques peinent à identifier cet effet (Kilian 2008). Plus généralement, il nous semble que ces deux mécanismes de transmission des chocs énergétiques sur l’activité économique ne doivent pas être opposés mais conciliés. Chacun peut être plus ou moins important en fonction des caractéristiques des marchés étudiés. Nous présenterons par la suite des études empiriques récentes qui ont essayé de concilier ces deux approches.

ii. L’impact des chocs de prix pétroliers dans l’industrie

Lee et Ni (2002) ont montré que dans les industries qui sont intensives en pétrole comme la pétrochimie et l’industrie chimique, un choc positif sur les prix pétroliers réduit d’abord l’offre de produit. À l’inverse pour beaucoup d’autres industries et surtout l’industrie automobile, l’augmentation des prix pétroliers réduit principalement la demande de produit. Jiménez-Rodriguez (2008) confirme ce résultat en analysant 8 secteurs manufacturiers dans 6 pays de l’OCDE (France, Allemagne, Espagne, Italie, Royaume-Uni et États-Unis). Dans chaque pays de l’OCDE la production industrielle ne réagit pas de la même façon d’un secteur à l’autre, les secteurs d’activité plus intensifs en pétrole étant plus sensibles à l’évolution des prix pétroliers.

Suivant cette approche sectorielle Fukunaga, Hirakata et Sudo (2009) démontrent que la nature du choc à l’origine de la hausse des prix pétroliers est déterminante quant

23 Kilian (2008) distingue 4 types d’effet : un effet sur le revenu discrétionnaire, un effet sur l’épargne de précaution, un effet lié à l’incertitude et un effet lié au coût d’utilisation. Les deux premiers effets concernent toutes les catégories de bien alors que les deux derniers concernent plutôt les biens durables

aux effets sur l’activité économique dans un pays ou dans un secteur. Reprenant un modèle proposé par Kilian (2009), ils distinguent 3 sources d’augmentation des prix du pétrole : (i) un choc négatif sur l’offre de pétrole, (ii) un choc positif sur la demande globale de matières premières industrielles, (iii) un choc positif sur la demande spécifique de pétrole.

Comme pour Lee et Ni (2002) c’est le signe de l’effet de la hausse des prix pétroliers sur la production et le prix sectoriel qui permet de déterminer par quel type de mécanisme de transmission le choc pétrolier se propage aux différents secteurs industriels. Le tableau 8 résume les principaux résultats obtenus pour les États-Unis et le Japon. Au Japon, un choc négatif sur l’offre de pétrole a moins d’impact négatif sur la production industrielle, un choc positif sur la demande globale de biens industriels a un effet positif supérieur sur l’activité et enfin un choc positif spécifique sur la demande de pétrole a un effet positif sur la production industrielle. À l’inverse les États-Unis qui ont une structure industrielle plus intensive en pétrole sont plus sensibles aux chocs sur les prix pétroliers

Tableau 8: Impact d'un choc pétrolier au niveau sectoriel

Origine de la hausse des prix

pétroliers

Effet sur la production industrielle

Effet sur les prix industriels

Type de mécanisme de transmission

Exemple de secteur ou pays impacté

Choc d’offre négatif

Secteur intensif en pétrole (Raffinage, chimie, Plastique et caoutchouc, secteur automobile américain)

Choc négatif sur

l’offre de pétrole Diminution Augmentation

Choc de demande négatif

Secteurs moins intensifs (équipement électronique, machines outils, bois…)

Choc positif sur la demande globale de

commodités Augmentation Augmentation

Choc de demande positif

Tout secteur :

L’effet positif n’est que transitoire

aux États-Unis (secteur

automobile…)

Il est persistant au Japon

(secteur automobile)

Diminution Augmentation Choc d’offre négatif Pays intensif en pétrole (États- Unis)

Choc positif sur la demande de pétrole

Augmentation Augmentation Choc de demande positif

Pays non intensif en pétrole (Japon) ; secteur automobile japonais

Source : Fukunaga, Hirakata et Sudo (2009)

Finalement, nous constatons que les performances énergétiques des pays et des secteurs d’activité semblent être une variable centrale. Concernant les mécanismes de transmission des chocs pétroliers, les dernières études mettent en évidence le rôle joué

par le canal de la demande qui s’ajoute au canal plus connu et plus traditionnel de l’offre. Les pays et secteurs d’activité intensifs dans leur consommation de pétrole seront affectés négativement et plus fortement par l’augmentation des prix pétroliers. Les pays et les secteurs qui consomment moins d’énergie peuvent être faiblement impactés voire même bénéficier d’un choc pétrolier comme ça a pu être le cas pour le Japon. Les caractéristiques de la structure industrielle sont donc primordiales pour apprécier les effets d’un choc pétrolier sur le niveau de l’activité au niveau sectoriel.

iii.L’impact des chocs de prix pétroliers dans le secteur automobile

Le secteur automobile est un exemple parfait d’industrie qui est impactée par les deux canaux de transmission des chocs sur les prix du pétrole :

- Il est un consommateur important de matières premières énergétiques dans le processus de production (énergie, aciers, produits pétrochimiques, plastiques…). La hausse de ses coûts de production peut être directe et indirecte via ses fournisseurs. (Bruno & Sachs, 1985).

- Il est sensible au canal de la demande via les décisions et les anticipations des clients qui peuvent réduire leur consommation de biens durables (Kilian, 2008). Nee et Li (2002) montrent que le secteur automobile américain est négativement impacté par la hausse des prix du pétrole principalement via le canal de la demande décrit par Kilian (2008). L’industrie automobile subit une hausse des ses coûts de productions mais c’est surtout la baisse significative de la demande de la part de ses clients qui la pénalise le plus. La production automobile est plus touchée que d’autres industries, ce qui traduit la forte sensibilité du secteur aux prix pétroliers. Les constructeurs spécialisés dans la production des gros véhicules qui consomment beaucoup d’essence, sont plus impactés que les constructeurs étrangers spécialisés dans la production de petits véhicules qui consomment peu de carburant (Japon, Europe…).

Fukunaga, Hirakata et Sudo (2009) comparent les impactes d’un choc pétrolier sur les secteurs automobiles américain et japonais. Aux États-Unis, l’augmentation des prix pétrolier pénalise le secteur automobile qui est plus intensif en pétrole (hausse des coûts de production). Seule l’augmentation des prix pétroliers due à un choc sur l’offre de pétrole et un choc sur la demande spécifique de pétrole ont un impact

négatif et significatif sur le secteur automobile. Au Japon, seule l’augmentation des prix du pétrole due à un choc sur la demande globale de commodité et un choc sur la demande spécifique de pétrole ont un impact significatif sur le secteur automobile. Paradoxalement, la hausse de prix pétroliers est favorable à la production automobile bien que les coûts de production augmentent. Cela reflète la spécificité structurelle de l’industrie automobile japonaise spécialisée dans la production de petites voitures consommant peu de pétrole.

La période 2003-2008 pendant laquelle nous avons connu une croissance soutenue de l’activité et une très forte augmentation des prix du pétrole peut être analysée dans le cadre des travaux cités ci-dessus. Hamilton (2008, 2009) explique qu’à partir de 2003 l’augmentation soutenue des prix pétroliers serait due à une forte croissance de la demande mondiale de produit pétrolier tirée par l’extraordinaire essor économique chinois. La hausse des prix pétroliers serait donc largement endogène, et résulterait de la hausse de la production mondiale. À l’inverse la production de pétrole étant restée stable, les marchés n’ont pas pu absorber cette hausse de la demande. Soutenue par la spéculation croissante des investisseurs sur les marchés à terme, le changement des fondamentaux physiques sur les marchés pétroliers serait à l’origine du choc pétrolier de 2007 et 2008. Nous pouvons donc considérer qu’entre 2003 et 2008, l’augmentation des prix du pétrole due à un choc global sur la demande de commodités industrielles, s’est propagée sur l’ensemble des marchés via le canal de la demande. Ce choc positif de demande globale justifierait la coexistence entre la croissance soutenue de l’activité économique et la forte augmentation des prix pétroliers et plus généralement de l’ensemble des prix de matières premières.