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Chapitre 1. Les enjeux associés à l’utilisation de matières premières dans

2.2. Les spécificités de l’industrie pétrochimique mondiale

2.2.1. La structure de marché de l’industrie pétrochimique mondiale

2.2.1.1. Agglomération et intégration verticale dans la pétrochimie

L’industrie pétrochimique mondiale est caractérisée par une agglomération des activités au niveau géographique au sein de gros complexes pétrochimiques et au niveau des firmes avec la prédominance de groupes chimiques mondiaux verticalement intégrés.

i. Les facteurs d’agglomération géographique

Comme a pu le constater Chapman (1991), l’industrie pétrochimique est caractérisée par une faible dispersion de son activité sur un territoire géographique donné. Dans les différentes régions du monde nous constatons une certaine concentration géographique des activités pétrochimiques dans des gros complexes de production. Pour illustrer cette concentration nous pouvons citer le cas du marché européen où plus de 50% des capacités des craqueurs catalytiques26 européens sont localisées au Benelux et en Allemagne27.

Chapman (1991) identifie quatre facteurs qui sont à l’origine de l’agglomération géographique de l’industrie pétrochimique :

• Les économies d’échelle

Les industriels sont à la recherche d’économies d’échelle c’est-à-dire d’une réduction des coûts unitaires de production avec l’augmentation des volumes de production. Chapman (1991) a mis en évidence l’augmentation de la taille des usines pétrochimiques de production d’éthylène en Europe entre 1950 et 1995 afin de bénéficier d’économies d’échelle. Spitz (1988) montrent que la taille moyenne des nouvelles usines de production d’éthylène aux Etats- Unis a été triplée depuis 1955. Braber (1966) calcule les économies d’échelle hypothétiques qui peuvent être réalisées dans la production d’éthylène entre 1955 et 1975 grâce à l’augmentation de la taille des usines et la réduction du prix du naphta.

Hansen (1975) calcule les économies d’échelle réalisées par le groupe allemand Rheinishe Olefinwerke Wesseling (ROW) entre 1955 et 1972. Les coûts unitaires par tonne d’éthylène produite diminuent jusqu’à une certaine capacité à partir de laquelle l’augmentation des coûts de construction des usines fait augmenter de nouveau les coûts unitaires de production. Il existe donc des limites dans la possibilité de réaliser des économies d’échelle qui sont liées aux coûts de construction et aux coûts de production dans les très gros complexes pétrochimiques.

26 Unité de raffinerie qui permet de transformer par l’action d’un catalyseur les fractions lourdes du pétrole brut en fractions plus légères nécessaires à la fabrication des essences et gazole (Union Française des Industries Pétrolières).

27

• L’accès aux matières premières

L’industrie qui est très dépendante aux hydrocarbures (pétrole et gaz naturel) s’implante à proximité des zones de production de matières premières. C’est notamment le cas dans les pays du Moyen-Orient, dans la région de la côte du Golfe et aux États-Unis. En Europe et en Asie les usines pétrochimiques s’implantent souvent à proximité des raffineries créant ainsi de grandes zones d’activités comme par exemple dans la région d’Anvers-Rotterdam.

• La valorisation des coproduits

La production de nombreux coproduits dans les procédés pétrochimiques nécessite souvent de créer au même endroit des unités de valorisation pour ces coproduits. Comme le montre le tableau 13 ci-dessous, quelle que soit la charge utilisée la production d’une usine pétrochimique est constituée de nombreuses matières chimiques de base qu’il faut valoriser.

Tableau 13: Production d'un vapocraqueur en fonction de la charge

Types de Charges

Composition finale en (%) éthane propane butane Naphta gazole gazole lourd

dihydrogène 8,8 2,3 1,6 1,5 0,9 0,8 méthane 6,3 27,5 22,0 17,2 11,2 8,8 éthylène 77,8 42,0 40,0 33,6 26,0 20,5 propylène 2,8 16,8 17,3 15,6 16,1 14,0 butadiène 1,9 3,0 3,5 4,5 4,5 5,3 autres C4 0,7 1,3 6,8 4,2 4,8 6,3 benzène 0,9 2,5 3,0 6,7 6,0 3,7 toluène 0,1 0,5 0,8 3,4 2,9 2,9 C8 aromatiques - - 0,4 1,8 2,2 1,9 C8 non aromatiques 0,7 3,6 2,9 6,8 7,3 10,8 fioul - 0,5 1,7 4,7 18,1 25,0

Source : Société chimique de France

La construction de plusieurs unités de production favorise donc la création de complexes pétrochimiques tels que celui du groupe BASF à Luddswigafen28. 39 000 personnes travaillent sur le site de 10km² où 200 usines produisent plus de 7000 produits chimiques.

28 Source Groupe BASF :

http://www.basf.com/group/corporate/site-ludwigshafen/en/about-basf/worldwide/europe/ Ludwigshafen/index

• Les coûts de transport

Les coûts logistiques élevés des produits pétrochimiques favorisent la concentration des activités de production au sein des zones d’activité alimentées par des pipelines. En effet, de nombreux produits « amont » (upstream) sont des matières liquides ou gazeuses qui nécessitent des conditions de transports sûres et respectueuses de l’environnement. Comme le montre la figure 2 les principaux sites pétrochimiques nord européens sont reliés par de pipelines qui permettent de transporter le propylène et l’éthylène.

Figure 2: Réseau nord Européen de pipelines

Source : APPE, 2004

ii. Les facteurs d’intégration verticale

L’industrie pétrochimique et plastique a connu dans son histoire de nombreuses restructurations et des séries de fusion-acquisition qui ont transformé au fil du temps la structure de l’industrie. La figure 3 ci-dessous illustre les évolutions de la structure de l’industrie plastique. Elle est notamment caractérisée par une concentration de l’activité au sein de gros groupes industriels verticalement intégrés comme BASF, LyondellBasell ou encore ExxonMobil qui se sont constitués au grè des créations, de rachats, et de cessions d’activités.

Figure 3: Restructurations et fusions dans l'industrie plastiques

Source : Plasticseurope, PMERG

Nous pouvons distinguer plusieurs niveaux d’intégration au sein de l’industrie plastique. Certain groupe comme ExxonMobil contrôle l’ensemble de la chaîne de valeur en partant de l’extraction du pétrole brut et en allant jusqu’à la production de plastiques automobiles. D’autres groupes comme DSM ont préféré n’intégrer que certaines activités très stratégiques comme par exemple la production des principales matières chimiques intermédiaires.

Pour une firme l’intégration verticale consiste à fabriquer en interne des facteurs de production qui étaient auparavant achetés à l’extérieur de l’entreprise (intégration en amont) ou à transformer en interne des produits qui étaient auparavant vendus à l’extérieur de l’entreprise (intégration aval). Il existe plusieurs définitions de l’intégration verticale mais nous retenons celle proposée par Perry (1989) :

« A firm can be described as vertically integrated if it encompasses two single- output production processes in which either (1) the entire output of the "upstream" process is employed as part or all of the quantity of one intermediate input into the "downstream" process, or (2) the entire quantity of one intermediate input into the "downstream" process is obtained from part or all of the output of the "upstream" process ».

Perry (1989) définit trois facteurs principaux qui incitent les entreprises à faire de l’intégration verticale :

- Dans certaines industries l’intégration verticale permet de faire des économies techniques en optimisant les processus de production.

- L’intégration verticale permet de faire des économies transactionnelles telles que les définit Williamson (1979) dans la théorie des coûts de transaction.

- Enfin l’intégration verticale permet de pallier les imperfections de marchés (concurrence imparfaite, externalités, asymétrie d’informations entre les agents). Dans la théorie des coûts de transaction, Williamson (1971, 1975, 1979) explique que contrairement à un contrat bilatéral, l’intégration verticale est un moyen pour une firme d’économiser sur les coûts de transactions en accroissant le niveau de spécificité des actifs. Un actif est dit spécifique, lorsqu’un agent économique investit volontairement pour une transaction donnée et que cet investissement ne peut être redéployé pour une autre transaction sans un coût élevé (Ghertman, 2003). L’une des entreprises se trouve ainsi à la merci de l’opportunisme de l’autre.

La notion « d’actif spécifique » nécessite également la présence d’incertitude pour que le degré de spécificité des actifs influence le mode d’organisation des firmes. Klein et Murphy (1997) et Baker (1997) expliquent que sans incertitudes les agents pourraient élaborer un contrat « parfait » rendant inutile l’intégration verticale. Inversement en cas d’augmentation de l’incertitude les firmes peuvent avoir intérêt à intégrer une activité amont ou aval.

De nombreuses études ont voulu vérifier la théorie de coûts de transaction. Goldberg et Erickson (1987) et Crocker et Masten (1988, 1991) montrent qu’à la suite du choc pétrolier de 1973, il y a eu de nombreuses renégociations des contrats de long terme dans l’industrie gazière et l’industrie de la coke de pétrole. Sans parler de mouvement d’intégration des activités ces études démontrent qu’en périodes d’incertitude les relations contractuelles se compliquent et engendrent parfois des coûts de renégociation importants. Nous pouvons faire le parallèle avec la modification des échéances des prix des contrats de l’éthylène et du propylène sur les marchés pétrochimiques européens en janvier 200929. Sous la pression des principaux producteurs, les prix contrat sont passés d’une échéance trimestrielle à une échéance

29 Source ICIS: http://www.icis.com/Articles/2008/07/08/9138353/INEOS-calls-for-shift-to-monthly- C2-C3-pricing. html

http://www.icis.com/Articles/2009/01/21/9186730/europe-c2c3-derivatives-move-toward-monthly- pricing.html

mensuelle ce qui a permis aux fournisseurs de matières chimiques de transférer plus rapidement les variations de prix sur les acheteurs de matières premières.

Lieberman (1991) montre que sur le marché américain de produits chimiques les coûts de transaction et la variabilité de la demande de biens de production (inputs) peut inciter les industriels à intégrer au sein d’une même firme les activités « upstream » et « downstream ». Entre 1970 et 1980 les compagnies pétrochimiques américaines semblent avoir intégré les activités amont afin d’éviter de subir la volatilité sur les marchés des biens de production qui était indépendante des fluctuations de leurs marchés en aval (downstream).

Mitchell et Mulhherin (1996) confirment que les chocs fondamentaux sur les marchés comme le choc pétrolier de 1973 engendrent des restructurations et favorisent les opérations de fusions et acquisitions surtout dans les industries les plus exposées aux chocs.

Fan (2000) confirme ces résultats pour l’industrie pétrochimique américaine. La volatilité des prix des biens de production (inputs) après 1970 et la forte spécificité des actifs dans l’industrie pétrochimique ont favorisé le mouvement d’intégration verticale aux États-Unis. Selon lui c’est avant tout la théorie de Williamson qui explique le phénomène d’intégration sur les marchés pétrochimiques américains et non pas la volonté de contrôle des prix ou de renforcement du pouvoir de marché de la part de firmes.

Wang et Li (2011) montrent plus récemment que les fluctuations des prix du pétrole brut sur la période 2004-2009 ont eu un impact significatif et positif sur la concentration de l’industrie pétrochimique chinoise. L’augmentation des prix du pétrole brut entraine une augmentation des fusions et acquisitions. Le rapport de causalité identifié n’est pas expliqué par les auteurs mais nous pourrions le justifier avec les facteurs identifiés par Perry (1989).

Garfinkel et Hankins (2011) confirment que les opérations de fusions et acquisitions guidées par une logique d’intégration verticale des activités sont un outil de gestion du risque efficace pour les firmes. Ils démontrent que l’augmentation des incertitudes sur le flux de trésorerie disponible (free cash-flow) des firmes les encourage à faire de l’intégration verticale favorisant ainsi les vagues de fusions et acquisitions.