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L’inflation mondiale du risque face au cancer du sein

LES DISPARITES FACE AU CANCER DU SEIN : ETAT DE L’ART ET PERSPECTIVES DE RECHERCHE

2) L’inflation mondiale du risque face au cancer du sein

La distribution de l’incidence du cancer du sein à travers le monde présente de fortes évolutions depuis les années 1990. Bien que les taux d’incidence soient plus élevés dans les pays occidentaux, le nombre de cas de cancers du sein diagnostiqués dans les pays en voie de développement est aujourd’hui plus important que celui recensé dans les pays développés (Ferlay et al., 2015). En effet, l’augmentation de l’incidence a été particulièrement rapide dans les pays relativement épargnés jusqu’à présent (Bray et al., 2004). L’«occidentalisation » des modes de vie constituerait le principal facteur incriminé dans la survenue de ces bouleversements : comme les populations des pays occidentaux avant elles, les femmes des pays en voie de développement enregistrent petit à petit une élévation de leur niveau d’éducation ce qui est associé à un recul de l’âge de la première grossesse, et à une baisse de l’allaitement et du nombre d’enfants (ibid.).

Par ailleurs, dans le cas des pays d’Europe du Nord, des programmes nationaux de dépistage par mammographie ont été mis en place dès le milieu des années 1980 pour favoriser l’accès au diagnostic précoce. La mise en œuvre de ces dispositifs a entrainé une augmentation momentanée de l’incidence du cancer du sein puisque les cas prévalents ont été massivement diagnostiqués (Bray et al., 2004). Cette augmentation ponctuelle a été documentée en France (Remontet et al., 2003). Le taux d’évolution de l’incidence était

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estimé en moyenne à 2,4% entre 1980 et 2005 (Belot et al., 2008) mais il s’est ensuite stabilisé sous l’effet probable de saturation du dépistage organisé. En effet, le nombre de cas incidents parmi les femmes ciblées par le dépistage et l’effectif des cancers diagnostiqués à un stade précoce ont diminué, ce qui a permis d’arrêter la progression du taux d’incidence du cancer du sein en France à partir de 2005 (Binder-Foucard et al., 2013). Toutefois, une nouvelle augmentation de ce taux a été enregistrée depuis 2010 d’après de plus récentes estimations (Defossez et al., 2019). Le taux d’incidence aurait effectivement augmenté en moyenne de 0,6% par an pour atteindre environ 100 pour 100 000 personnes-années en 2018 à l’échelle de la France métropolitaine. Même si cette progression est moindre que celle observée pendant les années 1990, ce phénomène indiquerait que la stabilisation temporaire de l’incidence pendant la période de généralisation du dépistage n’était bien qu’une tendance ponctuelle. Le nombre de nouveaux cas annuels de cancer du sein continuerait donc de progresser à l’échelle nationale, malgré les politiques préventives déployées dans le cadre des Plans cancer (ibid.).

Par ailleurs, l’incidence augmentait déjà dans certains pays européens avant même le déploiement de ces programmes, particulièrement en Finlande et aux Pays-Bas (ibid.). En France, le risque de cancer du sein a augmenté au fil du temps : il était moitié moins élevé pour une femme née en 1910 comparativement à celui de sa fille née en 1930, qui était lui-même divisé par deux par rapport à sa fille née en 1950 (Remontet et al., 2003). De nombreux facteurs ont été avancés pour expliquer l’augmentation de l’incidence. Le recul de l’âge à la première grossesse depuis les années 1970 constitue un facteur fréquemment cité, comme en témoigne le passage, au Pays Bas, d’un âge moyen à la première naissance de 24,8 ans en 1972 à 28,7 ans en 2002, concomitant à l’augmentation de l’incidence des cancers du sein (Soerjemataram et al, 2008). Les pratiques reproductives auraient tendance à s’homogénéiser à l’échelle mondiale, avec un recul généralisé de l’âge à la première naissance, favorisant une augmentation globale de l’incidence du cancer du sein.

D’après les travaux que nous venons de citer, les variations internationales d’incidence du cancer du sein dans le temps dépendent principalement de l’évolution des pratiques reproductives (Bray et al., op.cit. ; Remontet et al., op.cit.). Toutefois, les variations seraient aussi en partie liées aux disparités d’accès au dépistage du cancer du sein (Ferlay et al., 2013). L’arrêt quasi systématique de la prescription du traitement hormonal substitutif

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de la ménopause depuis 2003 en France comme aux Etats Unis, a pu également intervenir dans l’infléchissement de l’incidence du cancer du sein observé jusqu’au milieu des années 2000 (ibid.).

Dans les deux sous-parties suivantes, nous allons nous intéresser aux disparités de mortalité qui constituent un autre marqueur spatial de la géographie du cancer du sein.

3) Les disparités de mortalité par cancer du sein

a) A l’échelle des pays : un gradient inversé par rapport à la distribution de l’incidence Les mécanismes à l’origine des disparités de mortalité par cancer du sein sont différents de ceux intervenant dans l’épidémiologie de l’incidence. En effet, la distribution de la mortalité due à ce cancer dans le monde est presque opposée à celle de l’incidence puisque ce sont les pays dont l’IDH est le plus faible qui enregistrent les taux de mortalité les plus élevés en 2012 (Ghoncheh et al., 2015). La première raison invoquée pour expliquer cette situation est le diagnostic tardif du cancer du sein pour les femmes résidant dans les pays à faibles revenus : selon une méta-analyse réalisée à partir d’une revue de la littérature, 77% des femmes d’Afrique sub-saharienne présenteraient un stade avancé au diagnostic soit un chiffre de 20% supérieur à celui que les Etats-Unis enregistraient en 1973 (Jedy-Agba et al., 2016). Du fait de la forte augmentation de l’incidence du cancer du sein dans les pays en voie de développement et de l’absence globale de programmes nationaux de dépistage, les retards de diagnostic et les taux de mortalité du cancer du sein y sont particulièrement élevés. De plus, le manque d’infrastructures de traitement contribue à des problématiques d’accès aux soins qui aggravent l’issue de la maladie dans les pays dont l’Etat ne dispose pas de suffisamment de ressources (Ghoncheh, op.cit.).

Les disparités de mortalité du cancer du sein en fonction du niveau de richesse des pays s’observent également en Europe. D’après les récentes statistiques collectées par le registre EUROCARE, les pays européens qui affichent la plus faible survie pour le cancer du sein sont ceux d’Europe de l’Est : à l’exception de ces pays, la survie relative à 5 ans des femmes affectées par un cancer du sein entre 2000 et 2007 en Europe se situait entre 76 et 86%. Dans les pays de l’Est européen (à l’exception de la République Tchèque) qui ont connu d’importants bouleversements sociaux et une grave récession économique dans les années 1990, la survie estimée était inférieure de 10 à 15 ans par rapport au reste de l’Europe.

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Le faible accès aux infrastructures de dépistage et de traitement est la principale raison avancée pour expliquer ces variations spatiales (De Angelis et al., 2014).

b) Retard de diagnostic, mortalité et inégalités sociales entre les populations des pays développés

De nombreux travaux ont mis en évidence une corrélation entre le faible niveau socio-économique des femmes et un diagnostic tardif de cancer du sein (Orsini et al., 2016 ; Tatalovitch et al., 2015 ; Rutqvist et Bern, 2006). En France, une étude réalisée en région parisienne a montré que les femmes présentant un diagnostic initial péjoratif (taille de la tumeur supérieure à 20 mm et envahissement ganglionnaire) résident davantage dans les communes dont le revenu médian par unité de consommation (UC) est faible (Berger et al., 2012). Dans cette étude, le revenu médian par UC a été utilisé comme proxy du niveau social individuel des femmes. De plus, la majorité des recherches françaises et anglo-saxonnes s’accordent à dire que le retard de diagnostic est synonyme d’une moindre survie (Cramb et al., 2012, Gentil-Brevet et al., 2008). Les études américaines ont davantage documenté le rôle de la précarité socio-économique en fonction de l’origine ethnique des femmes sur le retard de diagnostic, et aboutissent globalement aux mêmes conclusions (Wu et al., 2013 ; Bradley et al., 2001). Enfin, il est important de noter que la précarité sociale et économique serait déterminante d’un moindre recours aux dispositifs de prévention et aux soins. En effet, un faible niveau d’éducation, un revenu par unité de consommation limité (Pornet et al., 2012 ; Duport et al., 2008) et l’isolement social souvent associé (Bertolotto et al., 2003), l’absence de couverture maladie et le faible recours aux soins qui en résulte (Katapodi, 2010 ; Duport et al., 2007) sont autant de raisons incriminées dans le non-recours au dépistage du cancer du sein. Les personnes issues de l’immigration semblent particulièrement éloignées du dispositif, du fait de la barrière linguistique mais également parce que les femmes en situation irrégulière et les primo-arrivantes sont plus touchées par cette précarité (Sanz-Barbero et al., 2011 ; Katapodi, 2010). Dans des pays où les infrastructures de dépistage et de traitement du cancer du sein existent, la précarité socio-économique constitue manifestement un facteur de moindre recours aux soins préventifs et curatifs, ce qui influencerait directement la mortalité par cancer du sein.

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4) Vers une redistribution sociale du risque de mortalité par cancer du sein

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