• Aucun résultat trouvé

Inégalités d’accès aux soins et cancer du sein : l’exemple de l’accès primaire aux soins

5) « Passer du milieu aux lieux »

IV. ACCES AUX SOINS ET PARCOURS DE SOINS : QUELS USAGES GEOGRAPHIQUES DES CONCEPTS ?

2) Inégalités d’accès aux soins et cancer du sein : l’exemple de l’accès primaire aux soins

P. Lombrail distingue l’accès primaire aux soins qui correspond à l’entrée dans le système, de l’accès secondaire qui se réfère à la façon dont s’enchainent les différents soins une fois que la personne est entrée dans le système de soins (Lombrail, 2007). Dans le cas du cancer du sein, l’accès primaire aux soins pourrait correspondre à l’étape du dépistage. Il existe deux dispositifs différents grâce auxquels les femmes peuvent être dépistées en France : le dépistage individuel (DI) que le médecin référent prescrit directement, et le dépistage organisé (DO) géré par l’Etat et via lequel les femmes âgées de 50 à 74 ans reçoivent tous les deux ans une invitation pour se faire dépister.

De nombreuses études ont été réalisées au sujet de la (non) participation au dépistage du cancer du sein. Ces dernières ont fait progresser la connaissance sur les inégalités et permettent d’illustrer le schéma de l’accès aux soins présenté ci-dessus (cf. schéma n°3, page 97).

Du côté du pouvoir d’utilisation de la population, dans ce cas des femmes en âge de se faire dépister, les caractéristiques socio-démographiques jouent un rôle important d’après les recherches qui s’y sont intéressées. L’âge des femmes est significativement associé à la participation au dépistage : les personnes de moins de 55 ans et de plus de 70 ans participent moins au DO comparativement à celles âgées de 55 à 69 ans, tandis que la

99

participation au DI décroit progressivement au fil de l’avancée en âge (Duport et al., 2008 ; Hirtzlin et al., 2012 ; Pornet et al., 2012). De plus, comme nous l’avons déjà discuté dans la première partie de ce chapitre, les femmes dont le niveau de désavantage social est élevé tout comme les personnes issues de l’immigration, participent moins au dépistage, ce qui influence le retard de diagnostic et la mortalité. L’entourage familial contribue également à inciter les femmes à se faire dépister, puisque les personnes en couple y participent davantage (Duport et al., 2007).

Les besoins perçus de soins et les pratiques de santé jouent également un rôle dans le fait de participer ou non au dépistage. D’après une étude réalisée par l’Institut National de Veille Sanitaire en 2007, les principales raisons avancées par les femmes pour expliquer le non-recours à la mammographie préventive sont le manque de temps et l’oubli. A contrario, le fait de penser être à très haut risque de cancer du sein favorise beaucoup la participation (ibid.). Le suivi régulier par un gynécologue ou un médecin généraliste et le fait de réaliser un frotti cervico-utérin au cours des 3 dernières années sont également fortement associés au dépistage, que ce soit par le DO ou le DI (Lançon et al., 2012 ; Duport et al., op.cit.). Par ailleurs les croyances au sujet du cancer, qui est encore synonyme de mort inéluctable dans l’esprit de beaucoup de femmes, contribuent à freiner le recours au dispositif (Bertolotto et al., 2003). Enfin, la satisfaction éprouvée lors d’une expérience antérieure de soins est associée à une meilleure confiance et à une participation accrue au dépistage (ibid.). La méfiance vis-à-vis du système de soins en général, influence finalement beaucoup les pratiques de prévention comme le dépistage du cancer du sein (Katapodi et al., 2009).

La capacité du système de soins à répondre à la demande des femmes peut être analysée au travers de l’organisation du dépistage en France et ses perspectives contre-productives vis à vis de la diffusion massive de la pratique de l’examen. Du fait de la co-existence de deux dispositifs différents, le DO est plus systématiquement considéré comme un dispositif « social » pour les femmes qui n’ont pas les moyens d’avancer les frais d’une mammographie (Bertolotto et al., op.cit.). Par ailleurs, la localisation des infrastructures de dépistage influence également la possibilité pour les femmes de s’y rendre. Plusieurs études ont retrouvé une corrélation entre la diminution de la participation au dépistage et la distance géographique avec le cabinet de radiologie. L’augmentation de la distance entrainerait dans certains cas, une élévation de la prévalence des retards de diagnostic (Tatalovitch et al., 2015 ; Ambroggi et al., 2015).

100

Ainsi, la relation entre la localisation des infrastructures de dépistage par exemple et les caractéristiques socio-démographiques des femmes, induit un ajustement plus ou moins adapté entre l’offre proposée et le besoin des individus. Le degré d’ajustement, que nous pourrions qualifier au travers de la dimension d’accessibilité pour cet exemple, dépend fondamentalement de l’environnement dans lequel il est mesuré. Dans un pôle urbain où les réseaux de transport en commun sont nombreux, les femmes de plus de 70 ans qui participent traditionnellement peu au dépistage pourraient notamment rencontrer moins de difficultés qu’ailleurs pour se rendre chez un radiologue. Un autre exemple pourrait être celui de la non-satisfaction d’un besoin de soin par « omission » de la part du soignant (Lombrail et al., 2005). Le fonctionnement routinier d’un cabinet de radiologie pourrait par exemple, conduire le médecin à ignorer involontairement les spécificités sociales ou linguistiques de la personne qu’il soigne. Du fait d’un emploi du temps contraint et de ses éventuelles représentations, le professionnel pourrait éventuellement manquer à sa mission d’information et d’explication. Cette situation hypothétique pourrait conduire à la non-satisfaction du besoin de soin pour la personne dépistée d’un cancer, et donc à une moindre acceptabilité. Dans un cadre où les médecins sont habitués à travailler en partenariat avec la sphère médico-sociale, l’ajustement entre les deux engrenages du modèle pourrait être bien différent. Nous reviendrons sur cette hypothèse dans la suite du manuscrit, spécifiquement autour de la prise en charge du cancer du sein.

La localisation des acteurs dans l’espace peut également conduire à des équilibres différents entre les deux roues de notre schéma. A partir d’une cinquantaine de diagnostics réalisés par des étudiants de l’Université de Nanterre (Master « Territoires, Villes et Santé) sur la participation au dépistage du cancer du sein dans des communes d’Ile-de-France, une étude transversale a montré que les pouvoirs d’utilisation du dispositif par les femmes dépendaient étroitement des configurations locales (Bardes, 2017).

En effet, à l’échelle de la région, les femmes résidant dans les quartiers socialement défavorisés de la « Politique de la ville 6» enregistrent des taux de participation au dépistage très différents selon les communes. Il semblerait que le pouvoir d’utilisation de ces femmes,

6 « La politique de la ville est une politique de cohésion urbaine et de solidarité envers les quartiers les plus défavorisés. La géographie prioritaire – basée sur des indicateurs socio-économiques – en définit les périmètres d’intervention » (Ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, consulté en ligne le 25/11/2018 ; http://www.cohesion-territoires.gouv.fr/geographie-prioritaire-de-la-politique-de-la-ville)

101

plus que leur niveau social estimé à partir des données du recensement, dépende davantage de la position du quartier dans la ville et des ressources sociales et sanitaires dont il dispose : plus le quartier est spatialement enclavé et dénué de ressources, moins les femmes recourent au dépistage ; à l’inverse s’il est central et dynamique, les femmes se mobilisent davantage pour le dépistage du cancer du sein (ibid.). Cet exemple montre concrètement à quoi se réfère la sphère en pointillés sur notre schéma de l’accès aux soins, à savoir le territoire. Selon le degré d’appropriation ou de rejet de l’espace par les femmes et les dynamiques territoriales, leur pouvoir d’utilisation est différent et l’accès au dépistage est inégal.

Dans la suite de ce travail, nous allons tenter de qualifier l’accès secondaire aux soins dans le cadre du traitement d’un cancer du sein – i.e. l’ajustement entre le système de soins et les besoins de soins des femmes pour qui ce cancer a été diagnostiqué - en région Ile-de-France. De nombreux travaux ont déjà été proposés sur les inégalités de participation au dépistage du cancer du sein en France. En revanche, très peu d’études ont été réalisées sur les variations géographiques des soins prodigués pendant le traitement du cancer du sein et l’impact de ces variations sur la qualité des soins reçus (Barnett et Copeland, 2009 ; Lombrail, 2007). Pour réaliser cette recherche, le concept de parcours de soins apparaît particulièrement adapté à l’appréhension géographique de l’accès aux soins pendant la phase thérapeutique de la prise en charge.

3) Le concept de parcours : un outil privilégié de l’étude de la géographie

Outline

Documents relatifs