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5) « Passer du milieu aux lieux »

IV. ACCES AUX SOINS ET PARCOURS DE SOINS : QUELS USAGES GEOGRAPHIQUES DES CONCEPTS ?

1) Définir l’accès aux soins

Le concept d’accès aux soins est polysémique et il est souvent amalgamé avec les termes d’accessibilité qui correspond à « la capacité d’un service à être atteint » (Brunet et al., 1993), ou encore de recours entendu comme étant l’usage effectif de l’offre de soins par les citoyens (Lombrail et Pascal, 2005). La définition la plus répandue de l’accès aux soins qui est également celle couramment mobilisée dans la recherche sur les inégalités, est le modèle développé par L. Aday et R. Andersen en 1974 (Aday et Andersen, 1974). Ce modèle dit comportemental de l’accès aux soins, considère l’accès comme un idéal d’utilisation – i.e. de recours - des services de soins par les individus. En comparant l’accès effectif aux soins et la satisfaction de différentes populations qui ne disposent pas de la même offre et dont les caractéristiques individuelles diffèrent, il permet de mettre en évidence une éventuelle inéquité et de cibler les interventions politiques correctives envers les populations les plus désavantagées (Ricketts, 2009). Cependant, cette approche comportementaliste néglige le fait que l’offre de soins et les individus s’inscrivent dans des territoires dont la gestion politique interfère largement dans les possibilités d’accès aux soins. En fonction de la façon

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dont est localement organisée l’offre de soins et de la possibilité des femmes d’atteindre cette dernière, l’accès aux soins peut varier fondamentalement en fonction des territoires considérés. Le modèle comportementaliste de l’accès aux soins apparaît donc insuffisamment interactif entre une offre de soins qui est la source d’enjeux politiques d’ampleur et des acteurs sociaux qui sont dotés d’un pouvoir d’action et de décision vis-à-vis de cette offre.

D’autres modèles d’accès aux soins ont ainsi été développés pour mieux prendre en compte cette interaction, comme celui proposé par R. Penchansky et J.W. Thomas au début des années 1980 (Penchansky et Thomas, 1981). Cette approche permet de qualifier l’ajustement entre les besoins des personnes et la capacité du système de soins à y répondre, via 5 dimensions : l’accessibilité qui correspond à la relation spatiale entre les usagers et l’offre de soins en termes de distance, de temps et en fonction des potentiels de mobilité ; la disponibilité qui se réfère à l’existence et au volume de l’offre de soins en fonction des besoins de la population ; la commodité qui se rapporte à la façon dont l’offre est organisée pour permettre l’accueil des personnes qui s’adaptent en parallèle à cette dernière ; l’acceptabilité fait référence à la capacité des pourvoyeurs de soins et des patients à s’entendre et à se comprendre dans la relation de soins, malgré leurs caractéristiques et leurs croyances souvent différentes ; la capacité financière qui correspond à la relation entre le prix des soins et la possibilité du patient à les assumer (Penchansky et Thomas., op.cit. ; Raynaud, op.cit.). L’intérêt de cette approche est d’une part son aspect interactif, mais également le fait que les acteurs sont considérés comme pleinement détenteurs d’un pouvoir d’adaptation vis-à-vis du système de soins. Tout d’abord, les professionnels de santé font preuve d’intelligence et modulent leur comportement en fonction des contraintes et des opportunités auxquelles ils se confrontent dans leur activité. Ils sont également porteurs de croyances à l’instar des personnes qu’ils soignent, ce qui conditionne la relation soignant-soigné. Mais au travers de cette définition, l’accès aux soins peut même devenir un comportement acquis par les patients au fil de leur expérience dans le système de soins (Ricketts, op.cit.). En fonction des réseaux sociaux dont ils disposent, des conseils qu’ils reçoivent et des orientations qu’ils prennent, les individus sont plus ou moins enclins à apprendre du système de soins pour mieux réagir aux éventuels dysfonctionnements. Dans cette perspective, les inégalités se manifesteraient entre les individus qui n’opèrent pas cette « transition vers un utilisateur expérimenté » et ceux qui deviennent de plus en plus

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mobiles dans le système de soins (ibid.). Finalement, la qualification de l’ajustement opportun entre un besoin et une offre de soins donnés dépend fondamentalement du lieu de leur rencontre, mais également des comportements et des perceptions des acteurs soignants et des personnes soignées (Raynaud, op.cit.).

J. Frenk a davantage développé le modèle théorique d’accès aux soins comme synonyme d’ajustement, en y intégrant les différentes démarches entreprises par l’usager pour recevoir les soins dont il a besoin. Il distingue ainsi l’accès aux soins qui correspond à la capacité de l’individu à exprimer un besoin, à chercher et à utiliser les soins, de l’accessibilité qui se réfère au domaine restreint de l’obtention effective des soins (Frenk, 1992). Nous retiendrons de son approche, les termes de « résistance » et de « pouvoir d’utilisation » qui caractérisent respectivement les obstacles à la recherche et à l’obtention des soins du côté de l’offre, et sa contrepartie du côté de l’individu qui est plus ou moins apte à surmonter ces obstacles.

Finalement, notre approche de l’accès aux soins correspondrait au schéma n°3 présenté sur la page suivante : l’emboitement opportun de deux engrenages d’un même système, l’un correspondant au pouvoir d’utilisation du système de soins par les individus, et l’autre représentant la capacité des acteurs soignants et des structures à absorber cette demande. Les deux roues sont interdépendantes et l’actionnement de l’une entraine le mouvement systématique de l’autre. Le pouvoir d’utilisation des individus dépend de leur besoin de soins mais également de la possibilité d’y répondre en fonction de leurs caractéristiques socio-démographiques et de leurs capacités de mobilité. La recherche de soins et l’usage qu’ils font du système est également empreinte de leurs croyances, de la confiance qu’ils lui confèrent et des perceptions qu’ils en ont. Enfin, la satisfaction obtenue lors d’un précédent épisode morbide et la connaissance acquise grâce à cette expérience influencent les modes de recours aux soins, i.e. l’utilisation du système de soins. Les professionnels de soins dont les caractéristiques et les croyances leur sont propres, sont simultanément soumis à une série de contraintes organisationnelles et institutionnelles qui les rend plus ou moins capables de répondre aux besoins de soins des populations. Les lieux d’implantation des structures induisent une certaine accessibilité physique pour les populations dont les pouvoirs d’utilisation sont disparates.

Quand les deux engrenages sont équilibrés, la confrontation des pouvoirs d’utilisation et de résistance permet un juste accès aux soins. A travers notre approche, cet

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équilibre se construit au sein d’un territoire dont les modalités de gestion politique régissent les rapports de force de ces engrenages.

Dans cette recherche, l’inégalité vis-à-vis de l’accès aux soins sur le parcours du cancer du sein est envisagée - plus que le seul produit de la composition socio-spatiale des zones étudiées (précarité sociale, vieillissement de la population, sous-dotation en infrastructures etc.) - comme une combinaison locale de facteurs délétères qui résultent de l’agencement spatial des lieux (enclavement, proximité etc.) et de l’interaction des acteurs locaux présents sur un territoire (Salem et al., 2014). On voit ainsi se dessiner l’approche du triptyque mobilisée par la géographie de la santé, qui fait dialoguer simultanément les faits de santé observés au travers de l’espace, des territoires et des lieux. G. Salem et Z. Vaillant emploient l’expression de constructions socio-territoriales pour caractériser la synergie

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singulière qui opère en un lieu entre les acteurs, les objets et leur environnement, et qui produit l’inégalité face à la santé (ibid. ; Vaillant, 2006). Selon cette approche, les possibilités d’atteindre un service, de se mouvoir dans l’espace, de percevoir la relation de soin ou encore d’interagir avec l’autre sont le fruit de constructions socio-territoriales qui façonnent les identités des acteurs en présence. Dans ce cadre, se poser la question d’un accès équitable aux soins sur le parcours du cancer du sein suppose de s’interroger sur les territoires de l’ajustement entre besoins et offre de soins (au travers des 5 dimensions de R. Penchansky et J.W. Thomas), en tant que sources d’un éventuel déséquilibre entre les pouvoirs d’action de ceux qui soignent - autant les tutelles que les institutions - et de ceux qui se font soigner.

Nous allons maintenant illustrer ce modèle de l’accès aux soins, avec l’exemple de la participation au dépistage du cancer du sein.

2) Inégalités d’accès aux soins et cancer du sein : l’exemple de l’accès primaire

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