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L’environnement social et spatial progressivement pris en compte dans la recherche sur le cancer

LES DISPARITES FACE AU CANCER DU SEIN : ETAT DE L’ART ET PERSPECTIVES DE RECHERCHE

4) L’environnement social et spatial progressivement pris en compte dans la recherche sur le cancer

Dès le début des années 1970, P. Hagget et R.J. Chorley ont commencé à prendre en compte les effets de l’environnement social et spatial en lien avec l’évolution des maladies (Mayer, 2010). Dans le domaine de la recherche sur le cancer, l’intérêt porté à ces effets sur le continuum du cancer est plus récent. Dans le cadre d’une revue de littérature réalisée sur ce sujet, S.L. Gomez et son équipe ont en effet montré que 82 % des articles existants sur cette question ont été publiés depuis 2010 (Gomez et al., 2015). Par ailleurs, dans leur analyse, les auteurs n’ont retenu que 34 études dans un panel de plus de 1200 articles qui correspondaient à leurs critères initiaux. En effet, la majorité des articles utilisaient les données socio-économiques du recensement comme proxy de données individuelles non disponibles. De la même façon, une revue de littérature réalisée au sujet du rôle de l’environnement résidentiel sur l’incidence et la mortalité par cancer du sein rapporte que 88% des recherches réalisées utilisent des variables agrégées du recensement pour discuter

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du risque de déclarer et de décéder de cette pathologie (Akinyemiju et al., 2015). Comme nous l’avons expliqué dans la partie précédente, l’usage fallacieux de ces données entraine certainement la sous-estimation des effets plus interactifs de l’environnement sur la santé des individus. Or, cette problématique est rarement avancée comme étant une limite des résultats exposés.

Parmi les articles analysés par S.L. Gomez et ses collègues, la grande majorité d’entre eux s’est intéressée à l’effet des enclaves ethniques et de la concentration spatiale de certains groupes de population en fonction de données socio-économiques individuelles et agrégées. Ce sont principalement ces deux aspects de l’environnement et leur influence sur le continuum du cancer, qui ont particulièrement été étudiés aux Etats-Unis. En conclusion de leur article, les auteurs soulignent d’abord que l’environnement potentiellement à risque vis-à-vis du cancer correspond systématiquement à l’espace résidentiel, mesuré à l’échelle locale au travers des limites fines du recensement. Cet environnement est considéré comme exempt de toutes interactions avec les autres espaces qui l’entourent. Ils précisent également qu’il faudrait adopter une perspective plus politique du « quartier », d’autant plus sur la question du risque face au cancer. En effet, les environnements spatiaux au sein desquels les espaces résidentiels sont localisés ne donnent pas lieu aux mêmes opportunités, notamment en termes de possibilités d’accès au dépistage et aux soins curatifs. Enfin, les auteurs insistent sur le fait qu’aucune recherche n’a pris en compte la temporalité des espaces résidentiels qui se transforment et évoluent, à l’instar des individus qui sont également mobiles tout au long de leur vie. La fenêtre de temps qui correspond à l’exposition aux risques en un lieu, n’est pas celle pendant laquelle les résultats sur la santé sont mesurés (Gomez et al., op.cit.). En définitive, il semblerait que les études empiriques ne s’appuient généralement sur aucun modèle conceptuel explicite au sujet du chemin via lequel l’environnement social et spatial influence le risque et l’issue du cancer du sein (Akinyemiju et al., op.cit.).

Pourtant, des théories sur les chemins explicatifs à l’origine des inégalités face au cancer ont été récemment formulées. N. Krieger a notamment développé un modèle dit « éco-social » de la genèse de ces inégalités, qui permet de compiler une approche à la fois diachronique et transversale. Les interactions entre les facteurs individuels « microscopiques » (facteurs biologiques, facteurs de risque individuels, histoires de vie etc...), l’environnement « mésoscopique » du lieu de vie et de l’environnement

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professionnel et le niveau « macroscopique » (organisation socio-économique de la société, coutumes et pratiques culturelles, histoire et politique du lieu etc.) y sont considérés sous forme de système. Le cancer y est conceptualisé comme une pathologie qui émerge du fait du passage « sous la peau » de certains déterminants sociaux (Krieger, 2005). C’est donc le concept d’ « embodiment » qui est au cœur de sa théorie. Ce dernier met l’accent sur l’accumulation des expositions au risque tout au long de la vie, et la capacité du corps à résister ou à se soumettre aux agressions en fonction des individus et des structures sociales. Autrement dit, le postulat de l’embodiment est que « le corps absorbe, intègre les conditions d’existence de l’homme car il est à la fois organisme biologique et être social » (Hiatt et Breen, 2008).

Son modèle assume explicitement une définition de ces inégalités comme étant le produit d’un système économique, politique et social inéquitable (Krieger, 2005). Ces effets se répercutent à différents niveaux, et notamment sur la façon qu’ont les gens de vivre et sur leur environnement de vie : « les moteurs de l’inéquité en santé sont la façon dont le pouvoir - le pouvoir sur et le pouvoir de faire, y compris les contraintes et les possibilités

Schéma n°2 : Le modèle « éco-social » de N. Krieger

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d'exercice de chacun de ces pouvoirs - structure l'engagement des gens dans le monde et leur exposition aux dangers matériels et psychosociaux pour la santé » (Krieger, 2008). A travers ce modèle conceptuel, les limites entre les différents niveaux constituent un outil théorique qui facilite « la pensée claire » (ibid.). Dans la réalité, les relations entre les acteurs sociaux investis dans des jeux politiques et des rapports de force, de leur plein-gré ou malgré eux, s’organisent interactivement selon plusieurs plans. Ces interactions ont le pouvoir de façonner les environnements sociaux et spatiaux en faveur ou non des disparités face au cancer, même si elles ne sont pas directement tangibles.

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