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L'infiltration ou livraison surveillée active

Dans le document Poursuites et sanctions en droit pnal douanier (Page 109-114)

Section 3 : Les opérations de surveillance et d'infiltration

B. L'infiltration ou livraison surveillée active

52. La loi autorise également des actes qui sont délictueux puisqu'ils constituent des cas de complicité du trafic de stupéfiants ou de produits de contrebande. L'article 67 bis alinéa 2 du Code des douanes autorise deux types de comportements de la part des agents des douanes. Le premier est ce que la doctrine qualifie de « commerce » puisque les agents de l'autorité ne sont pas pénalement responsables lorsqu'ils « acquièrent, détiennent, transportent ou livrent » des produits prohibés. Ces actes correspondent en réalité à deux techniques, la livraison contrôlée et l'infiltration à l'intérieur d'un réseau. La livraison contrôlée permet à l'agent des douanes de se faire passer pour un vendeur ou un acheteur de produits prohibés pour identifier et interpeller un trafiquant, il a donc un rôle actif au sein du trafic et commet des actes qui

sont qualifiables en infractions pénales. L'infiltration fait jouer un rôle actif à l'agent au cœur du trafic puisqu'il assure le transport, le stockage ou joue le rôle d'intermédiaire. Ces actes d'acquisition, de détention, de transport peuvent, par ailleurs, aussi bien s'appliquer aux produits illicites, qu'aux produits financiers issus des trafics. Le second comportement permis par la loi est « la fourniture de moyens », énumérés par la loi, actes qui peuvent par ailleurs être punissables sous l'angle du blanchiment ou de la complicité du ou des délits commis lors du trafic.

Pour tous ces actes énumérés par les textes et sous certaines conditions, les enquêteurs douaniers ou policiers ne sont alors « pas pénalement responsables ». Selon M. Sapin, rapporteur du projet de loi en 1991, le texte « donne aux enquêteurs toutes les garanties juridiques en créant un fait justificatif fondé sur la permission de la loi et l'accord de l'autorité légitime »209. Mais ces actes commis par les enquêteurs, pour être exonératoires de toute responsabilité pénale doivent obéir à des conditions strictes.

1. Les conditions nécessaires à l'autorisation d'accomplir des actes pénalement répréhensibles

a. Le contrôle de l'autorité judiciaire

1. L'infiltration consiste, pour un agent des douanes spécialement habilité dans les conditions fixées par décret, agissant sous la responsabilité d'un agent de catégorie A chargé de coordonner l'opération, à surveiller des personnes suspectées de commettre un délit douanier en se faisant passer, auprès de ces personnes, pour un de leurs coauteurs, complices ou intéressés à la fraude. L'agent des douanes est à cette fin autorisé à faire usage d'une identité d'emprunt et à commettre si nécessaire des actes mentionnés spécifiquement. A peine de nullité, ces actes ne peuvent constituer une incitation à commettre des infractions.... »210. Les agents des douanes bénéficient ainsi d'un fait justificatif qui leur permet de commettre certains actes frauduleux sans encourir de sanction pénale. Ces actes qui ne peuvent être

209 JOAN 20 nov. 1991, p. 6309, cité par J. Pannier, « Trafic de drogue, provocation délictueuse des agents de l'autorité et permission de la loi », D. 1992, chron. p. 232

accomplis qu'avec l'autorisation du procureur de la République sont énumérés avec précision, par le II de l'article 67 bis du Code des douanes211. Par exemple, une opération consistant à mettre à la disposition des trafiquants un appartement, un véhicule de location ou à ouvrir un point de passage à la frontière caractérise une livraison surveillée active212.

L’article 67 bis du Code des douanes ne vise, en matière de stupéfiants, que la constatation des infractions douanières. Contrairement à l’article 706-32 du Code de procédure pénale qui vise les articles 222-34 à 222-38 du Code pénal, le Code des douanes ne permet pas l’utilisation de la procédure de livraison surveillée pour constater une infraction de production, de direction ou d’organisation d’un groupement ayant pour objet le trafic de stupéfiants. Cette compétence revient aux services de police ou désormais à des unités mixtes composées d’officiers de douane judiciaire et de policiers ou gendarmes.

2. Les opérations d'infiltration ne peuvent être réalisées qu’avec l’autorisation du procureur de la République et non plus simplement sa simple information comme pour les surveillances213. Cette autorisation est écrite et motivée. Elle doit mentionner les infractions qui justifient le recours à une infiltration et l’identité de l’agent des douanes sous la responsabilité duquel se déroule l’opération. Elle fixe la durée de l’opération d’infiltration, qui ne peut excéder quatre mois, renouvelables. Elle n'est versée au dossier de procédure que seulement après l’achèvement de l’opération d’infiltration afin de garantir la sécurité des agents infiltrés. Le magistrat qui a autorisé l’opération peut, à tout moment, ordonner son interruption avant l’expiration de la durée fixée. La jurisprudence a précisé la portée qu'elle entendait donner à cette autorisation de l'autorité judiciaire. La Cour de cassation a, dans un premier temps, sanctionné par la nullité la procédure de livraison surveillée réalisée sans autorisation préalable du procureur de la République214 . La chambre criminelle a, ensuite,

211 Ils ne sont pas pénalement responsables lorsqu'ils acquièrent, détiennent, transportent, livrent ou délivrent des substances, biens, produits, documents ou informations tirés de la commission des infractions ; qu'ils utilisent ou mettent à disposition des personnes se livrant à ces infractions des moyens de caractère juridique ainsi que des moyens de transport, de dépôt, d'hébergement, de conservation ou de

télécommunication.

212 Cass. crim. 26 sept. 1995, Bull. crim. n° 283

213 Article 67 bis, IV du Code des douanes « A peine de nullité, l'autorisation donnée en application du II est délivrée par écrit et doit être spécialement motivée.

Elle mentionne la ou les infractions qui justifient le recours à cette procédure et l'identité de l'agent des douanes sous la responsabilité duquel se déroule l'opération.

Cette autorisation fixe la durée de l'opération d'infiltration, qui ne peut excéder quatre mois. L'opération peut être renouvelée dans les mêmes conditions de forme et de durée. Le magistrat qui a autorisé l'opération peut, à tout moment, ordonner son interruption avant l'expiration de la durée fixée.

L'autorisation est versée au dossier de la procédure après achèvement de l'opération d'infiltration » . 214 Cass. crim. 13 nov. 1997, Bull. crim. n°386, Dr. pén.1998, comm. n° 46

opéré un revirement de jurisprudence et considère désormais que l’autorisation judiciaire exigée par l’article 67 bis du Code des douanes n’est prévue que pour exempter les fonctionnaires de leur responsabilité pénale à raison de leur participation à des infractions à la législation pénale. Elle est sans incidence sur la régularité de la procédure215. Mais la Cour de cassation a également précisé que l’autorisation de procéder à une livraison contrôlée prévue par l’article 67 bis du Code des douanes, qui ne peut être donnée que pour des actes qui ne déterminent pas la commission des infractions, ne crée pas de présomption de régularité de la procédure216. Il semble donc qu’un prévenu ne puisse se prévaloir d’un défaut d’autorisation préalable du parquet pour obtenir la nullité de la procédure consécutive à une livraison surveillée. Toutefois, ce défaut d’autorisation n’est pas sans conséquences. Un fonctionnaire qui aurait pris part à un trafic, sans avoir préalablement obtenu l’autorisation du procureur de la République ne peut être exonéré de sa responsabilité pénale. Il peut donc être condamné pour les infractions pénales commises lors de l’opération de livraison surveillée. Bien que ces opérations se déroulent avec l’autorisation du procureur de la République et sous son contrôle, les agents des douanes ne peuvent s’affranchir du respect des règles de procédure. La loi du 9 mars 2004 a précisé largement la rédaction de l’article 67 bis du Code des douanes sans toutefois en changer la philosophie.

b. L'interdiction de toute provocation au trafic de produits prohibés

3. L’action des agents des douanes ne doit avoir pour but que de révéler un trafic existant et non pas constituer des actes qui déterminent la commission de l’infraction217

La Cour de cassation a depuis longtemps précisé que l’action des agents des douanes, tout comme celle des services de police sur la base de l’article 706-32 du Code de procédure pénale, ne doit pas constituer une provocation à commettre l’infraction. La limite assignée aux enquêteurs est que leur intervention « ne doit en rien déterminer les agissements frauduleux » du trafiquant mais doit seulement avoir pour effet « de permettre la constatation d'infractions déjà commises et d'en arrêter la continuation ». Elle ne doit en rien être « déterminante de

215 Cass. crim. 1er avril 1998, Bull. crim. n° 124 ; Dr. pénal 1998, n°92 ; JCP 1998, I, 153 ; Gaz. Pal. 1998, 2, chron. p. 138

216 Cass. crim. 5 mai 1999, Bull. crim. n°123 ; Dr. pénal 1999, comm. n° 87. 217 Cass. crim. 5 mai 1999, Bull. crim. n°87; Dr. pénal 1999, comm. n° 123

l'action délictueuse du prévenu » 218. Ainsi, le fait pour un enquêteur de solliciter l’achat de produits stupéfiants ne doit en aucun cas déterminer la commission du délit d’offre ou de cession de stupéfiants. Il faut donc s’assurer que le trafic préexistait aux propositions d’achat219. L’irresponsabilité des agents des douanes est conditionnée par le fait que les actes réalisés ne déterminent pas la commission des infractions douanières. L’article 67 bis, dans son II, le prévoit spécifiquement « à peine de nullité, ces actes ne peuvent constituer une incitation à commettre des infractions. ». La loi du 19 décembre 1991 apparaissait donc comme un texte de compromis puisqu'elle donnait certes des pouvoirs considérables aux enquêteurs et légalisaient par là des pratiques anciennement permises par la jurisprudence, mais elle les soumet au strict contrôle de l'autorité judiciaire, gardienne des libertés publiques. Les textes postérieurs sont venus compléter le dispositif légal des « opérations d'infiltration », notamment en renforçant la protection des agents participant à ces missions.

2. La protection des agents infiltrés.

4. La loi du 9 mars 2004 a posé de nombreuses garanties de l’anonymat et de la sécurité des agents des douanes infiltrés. En effet, l’article 67 bis, V du Code des douanes prévoit que l’identité réelle des agents des douanes ayant effectué l’infiltration sous une identité d’emprunt ne doit apparaître à aucun stade de la procédure. Le texte prévoit également des sanctions pénales lorsque l’identité de l’agent a été révélée, aggravées en cas de violences ou de mort causées par la révélation de l’identité de l’agent. Cette protection est étendue à ses conjoint, enfants et ascendants directs220. De plus, en cas de décision d’interruption de l’opération ou à l’issue du délai fixé par l’autorisation d’infiltration, l’agent infiltré peut poursuivre ses activités au-delà de l’autorisation pendant quatre mois afin de lui permettre de mettre fin aux opérations dans des conditions assurant sa sécurité. Il doit alors en informer le

218 Cass. crim. 2 mars 1971, Bull. crim. n° 71 Cass. crim. 16 mars 1972, Bull. crim. n° 108 219 Cass. crim. 22 juin 1994, Bull. crim. n° 247

220 Article 67 bis, V du Code des douanes : « La révélation de l'identité de ces agents est punie de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 € d'amende.

Lorsque cette révélation a causé des violences, coups et blessures à l'encontre de ces personnes ou de leurs conjoints, enfants et ascendants directs, les peines sont portées à sept ans d'emprisonnement et à 100 000 € d'amende.

Lorsque cette révélation a causé la mort de ces personnes ou de leur conjoints, enfants et ascendants directs, les peines sont portées à dix ans d'emprisonnement et à 150 000 € d'amende, sans préjudice, le cas échéant, de l'application des dispositions du chapitre 1er du titre II du livre II du code pénal.

magistrat ayant délivré l’autorisation. Si à l’issue de ce délai de quatre mois l’agent ne peut cesser sa surveillance dans des conditions garantissant sa sécurité, ce magistrat doit autoriser une prolongation de quatre mois. Lors de la phase du procès pénal, la sécurité de l’agent infiltré doit également être garantie. L’agent responsable de l’opération d’infiltration peut seul être entendu comme témoin. Cependant, si la personne soupçonnée est directement mise en cause par des constatations effectuées par un agent qui a personnellement réalisé les opérations d’infiltration, une confrontation est possible mais dans des conditions garantissant l’anonymat de l’agent. Mais le code des douanes prévoit que la seule dénonciation faite anonymement par l’agent infiltré ne peut justifier seule une condamnation pénale. En revanche, son seul témoignage réalisé sous sa véritable identité suffit à une condamnation pénale.

3. L’entraide judiciaire en matière d’infiltration.

5. La loi du 9 mars 2004 a précisé également les mesures d’entraide judiciaire en matière d’infiltration. Ainsi, lorsqu’une surveillance nécessite d’être poursuivie dans un État étranger, elle est autorisée par le procureur de la République. Des agents des douanes étrangers affectés dans des services spécialisés peuvent également poursuivre sur le territoire français, sous la direction d’agents des douanes français des opérations d’infiltration, après saisine du ministre de la justice d’une demande d’entraide judiciaire et autorisation du procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris. Des agents étrangers peuvent également être intégrés dans une opération nationale d’infiltration.

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