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L’idée de l’ « étrangeté » : une analyse sémantique

Partie II La composante discursive - Le système des puissances surnaturelles dans le Sou shen ji surnaturelles dans le Sou shen ji

7.5 L’idée de l’ « étrangeté » : une analyse sémantique

terme guai ( étrange, anormal, extraordinaire, prodigieux, etc). Non seulement parce que celui-ci est étroitement lié à toutes les trois sous-catégorie, yao, jing, guai, mais il s’impose aussi comme un sujet essentiel pour le genre littéraire chinois zhiguai (relater l’étrange). Robert Ford Campany a déjà fait de ce sujet-là un livre entier. Ici nous voulons aborder ce terme de l’ « étrangeté » seulement dans une perspective sémantique, ayant comme référence la catégorie de yaoguai dans le Sou shen ji, aussi dans le but de comprendre cette catégorie d’une manière plus précise et approfondie.

Une première approche, inspirée par la sémantique lexicale, visera à se laisser guider un moment par les définitions du dictionnaire. Il paraît raisonnable, pour avoir une première idée de ce qu’est l’étrangeté, de savoir à quelles configurations plus vastes elle se rapporte. Au vu des définitions, des corrélats, des synonymes et des antonymes, il semble que l’étrangeté soit à l’intersection de la configuration de l’ « incompréhension » et de celle de l’ « appréhension », celle-ci correspond à l’univers psychologique du sujet « ressentant », celle-à est liée à des natures ou des caractères propres à un certain objet « perçu » comme étrange.

D’un coté, toutes les définitions de l’étrangeté font état, directement ou indirectement, de ce sémème « non conforme ou contraire à ce qui est normal ou habituel ». Par exemple, des synonymes comme « anormal » et « extraordinaire » illustrent parfaitement ce caractère de « contra-normal » ou « extra-ordinaire » ; un autre synonyme assez intéressant « baroque » fait écho à l’ « étrangeté » d’un aspect historico-artistique : nous savons bien que le style « baroque » a apparu pendant le dix-septième siècle et le dix-huitième siècle en rompant avec le formalisme du style classique qui préconise l’ordre et la règle. C’est aussi lié au mouvement de la contre-réforme pour impressionner les croyants et les ramener dans l’église catholique. En 1694 (en pleine période baroque donc), le mot, pour l’Académie française se dit seulement des perles qui sont d’une rondeur fort imparfaite. Un collier de perles baroques, par exemple. Près d’un siècle plus tard, en 1762, alors que le baroque s’achève, outre sa première signification, et toujours selon l’Académie française, il se dit aussi au figuré, pour irrégulier, bizarre, inégal,etc. Un esprit baroque, une expression baroque, une figure baroque, par exemple. De plus, un antonyme comme « accoutumé » se glose, entre autres, par « naturel », « commun »,

« courant », ce qui revient à confirmer le caractère « surnaturel » et « incommun » de l’étrange. Tous ces traits « contra-normaux » ou « extra-ordinaires » ou « sur-naturels » de telle ou telle chose relèvent de l’arrière-plan intellectuel ou socio-culturel d’un sujet qui juge plus ou moins objectivement selon une connaissance personnelle et un contexte historique donné.

D’un autre coté, l’étrangeté est avant tout liée à une émotion mélangée d’inquiétude, de surprise et de peur, ce que nous trouvons étrange est ce qui nous inquiète, nous surprend et nous effraie. C’est la raison pour laquelle l’ « étrange » a aussi pour synonyme comme « stupéfiant », « déconcertant », « surprenant », « inquiétant », etc, tous proviennent des verbes ayant traits à l’émotion d’un sujet. Nous pouvons dire donc que l’étrangeté renvoie aussi à un univers subjectif lui aussi influencé par l’expérience individuelle et une certaine psychologie collective.

Mais il faut bien voir que ces deux configurations sont, sinon proches parentes, du moins soigneusement articulées dans l’ « étrangeté » ; en une sorte de présuposition alternée, l’incompréhension se renforce de l’appréhension et l’appréhension s’aiguise à l’incompréhension qui la suscite. Comme Rémi Mathieu l’a montré :

« Dans l’esprit des auteurs de zhiguai, l’étonnement est lié à la peur de l’incompris, plus encore que de l’inconnu. Etonner le lecteur, c’est l’inquiéter »110.

L’interaction de ces deux configurations en grande partie autonomes est loin de’être négligeable. D’une part, saisi par une appréhension, le sujet n’est plus capable de « comprendre » comme il peut normalement, sa connaissance et son intelligence sont affablies par cette crainte plus ou moins indéfinie qu’il éprouve face à un objet « étrange » perçu, qu’il n’arrive plus à regarder, à analyser d’une manière rationnelle et intellectuelle, d’où nous pouvons dire que la peur dans l’étrangeté est une émotion irrationnelle basée sur l’incapacité de connaître ou de comprendre. D’un autre coté, ce qui est plus qu’évident après ce qu’on a déjà dit, nous avons toujours la tendance à avoir peur de ce que nous ne comprenons pas et de ce qui nous est non-familier. L’intersection

entre les deux configurations n’est donc pas un simple cumul sémantique ou une connexion d’isotopie : chacune est influencé par l’autre, et c’est dans l’interaction entre les deux configurations que s’établit une image riche et multiple de ce concept l’ « étrangeté ». Dans la partie suivante, nous voulons revivre les trois sous – catérories ( yao, jing, guai ) autour de ce concept principal « étrangeté » du genre zhiguai, à partir de ces deux configurations les plus importantes liées à ce mot « étrange », pour mieux comprendre l’idée de l’étrangeté dans l’univers surnaturel dans le Sou shen ji.

Comme nous l’avons déjà montré, nous avons analysé la catégorie yaoguai dans le

Sou shen ji à partir de ces deux niveaux et trois types (yao, jing, guai)111 respectivement. Rappelons que nous entendons par le mot yao une suite de phénomènes étranges et d’évènements dramatiques dans les chapitres 6, 7, 8, 9, ceux-ci souvent interprétés comme des présages funestes par les devins selon la théorie des cinq éléments et celle de la divination dans le Yijing ; l’impression du guai est concrétisée dans les chapitres 12 et 13 avec son défilé singulier de démons, de métamorphoses, d’animaux insolites, de lieux enchantés ( monts, grottes, murailles, lacs, étangs, sources, puits, etc) ; nous retenons aussi que l’image de jing renvoie aux esprits animaux ou végétaux ou ceux qui parasitent dans d’autres objets dans les chapitres 17 et 18. Il nous semble que le mot yao répond surtout à la configuration « incompréhension » liée à l’étrangeté, alors que le concept de

jing et celui de guai se ramènent plus à la configuration « appréhension ». Les

phénomènes étranges ou anormaux interprétés comme présages funestes ( yao zhao妖兆) sont jugés seulement comme non conformes à l’ordre normal, ils sont seulement des « présages », des « phénomènes » prévenant des malheurs ou des calamités, mais eux-mêmes ils ne sont pas directement nuisifs et ils ne peuvent pas porter ateintes aux êtres humains, les phénomènes et les désastres qu’ils préviennet sont deux choses différentes. Par conséquent, les phénomènes du yao ne sont pas terrifiants par leurs apparences ou leurs natures, ils suscitent chez nous des questions et des suspensions, le désir de « pouvoir comprendre », non pas la peur ou la terreur. L’effort d’interpréter les phénomènes du yao selon la théorie des cinq éléments et de les rapporter comme leur

111

Cette classification en trois types risque d’être artificielle et subjective, puisque comme nous l’avons déjà mentionné, les termes sont souvent inter-remplaçables lors de leurs emplois. Mais nous considérons cette différenciaton nécessaire pour notre analyse du Sou shen ji car chaque type correspond à une série de récits déterminés relatant des phénomènes étranges d’une nature particulière.

cause aux désordres sociaux et politiques reflète bien cet essaie de les intégrer dans le domaine épitémologique et intellectuel des hommes qui veulent « comprendre ». Dans ce sens-là, nous pouvons dire que les phénomènes du yao sont des « objets » à interpréter et à comprendre, ce qui les rend « étranges », c’est surtout ce que nous ne pouvons pas comprendre en-eux. Bien au contraire, les jing et les guai ne font pas l’objet de recherche ou de compréhension chez les êtres humains, mais des sujets quasi-équivalents par rapport des hommes. Dans le Sou shen ji, les esprits animaux ou végétaux constituent toujours des facteurs déconcertants et troublants dans la vie des hommes, les êtres démoniaques leur font peur et sèment l’angoisse dans leurs pauvres coeurs. Sou l’effet de la peur et de l’angoisse, les hommes réagissent soit par une soumission soit par un combat, et l’étrangeté qu’ils éprouvent devant eux proviennt surtout de la peur.

L’idée de l’étrangeté se lie le plus facilement à la catégorie yaoguai, puisque les trois types yao, jing, guai se rapportent le plus aisément à ces deux configurations incompréhension et l’appréhension. Mais il nous faut souligner que les trois catégories peuvent aussi se lier à l’étrangeté à partir de ces deux configurations. Par exemple, le pouvoir magique des dieux et des revenants nous font peur, et nous n’arrivent pas à comprendre des comportements des immortels, les résurrections des revenants nous surprennent et nous horrifient en même temps, nous ne comprenons pas pourquoi les messages nous transmis dans nos rêves pendant la nuit par certains dieux ou certains morts se vérifiént dans la vie réelle ... Tous ces surprises, questions, mystères, peurs, inquiétudes, ont composé l’univers de l’étrangeté du Sou shen ji.