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Le développement du concept du Ciel et son lien avec la vertu

Partie II La composante discursive - Le système des puissances surnaturelles dans le Sou shen ji surnaturelles dans le Sou shen ji

Chapitre 8 Le rôle du Ciel et le rôle de la vertu

8.1 Le développement du concept du Ciel et son lien avec la vertu

8.1 Le développement du concept du Ciel et son lien avec la vertu

Dans la généalogie chinoise du shen, nous voyons une figure d’une dignité suprême, l’Empereur céleste, qui apparaît d’ailleurs plusieurs fois dans les récits du Sou shen ji pour faire des ordres sacrés ou récompenser les hommes de vertu. Cette souveraineté est sans aucun doute liée au culte du ciel des Chinois qui prennent ce dernier comme l’ordonnateur tout-puissant et le juge impartial de tout ce qui se passe dans le monde humain. Il agit en toute équité en punissant les vices et récompensant les vertus. En sont preuves une série de récits recuillis dans le onzième chapitre offrant de belles légendes des fonctionnaires vertueux, des amoureux fidèles, des fils pieux, etc. Emouvant le ciel par leurs conduites admirables, ils sont dotés d’une sorte de force divine leur permettant de réaliser l’impossible. D’où vient la vénération des Chinois envers le ciel et la propension à diviniser la vertu dans la culture chinoise ? Pour y répondre, nous devons parler plus profondément du « culte du Ciel ». En fait, vers la fin de notre analyse figurative du shen, cette question nous paraît incontournable puisque dans l’esprit de la plupart des Chinois, le Ciel fournit bel et bien l’image originelle et universelle du « divin », et qu’on ne peut pas parler des croyances des Chinois anciens sans aborder le culte du Ciel.

Le concept du Ciel est essentiel dans la pensée des Chinois, qui depuis la plus lointaine antiquité se sont toujours interrogés sur l’origine de notre monde et de l’homme, sur les mystères de toutes sortes de phénomènes naturels, et sur le secret du trajet de la vie à la mort. En même temps unique et complexe, manifesté et intériorisé, naturel et social, religieux et politique, ce même terme « tian 天» possède une plénitude du sens.

Il est d’abord le seigneur climatique et saisonnier. Il est le régulateur de la pluie et du soleil, maître de la nature à qui les hommes sollicitent une récolte abondante chaque

année, et dont les caprices provoquent des calamités et des misères dans le monde humain. On peut imaginer à quel point cette puissance cosmique est vénérée par une nation ayant l’agriculture comme la premère activité productrice, d’où l’importance de la mesure du temps et des calendriers qui sont liés au développement de l’astrologie. De cet aspect immédiatement lié au bien-être du peuple, dérive au premier niveau la divinisation du ciel. D’ailleurs, pour les Chinois anciens, le ciel ordonne le lever et le coucher du soleil, il est responsable du cours astral et de l’alternance des quatre saisons, du parcours inéluctable de la vie destinée à la mort. Il est le plus grand magicien du temps. Le Ciel en fournit les signes et la graduation et ainsi rendre possible l’invention du calendrier qui à son tour organise des travaux et des repos. Les Chinois ont désormais une perception plus précise et rationnelle du temps.

L’image du ciel devient de plus en plus imposante, à tel point que sous la dynastie des Xia et des Shang, il se concrétise en un Souverain d’en haut ( tiandi 天帝) omniprésent, omniscient, et surtout tout-puissant. Il intervient dans tous les aspects de la vie du peuple et de la fonction d’un Etat. Les rois ne font aucune décision sans demander l’avis ou la permission de ce Suzerain céleste, par l’intermédiaire de l’activité de la divination. Les devins se servent des écailles des tortues, en les flambant et interprétant les fissures produites, considérées comme des messages transmis par le Ciel, ils peuvent prévenir le futur faste ou néfaste des choses demandées. On peut voir que même si à cette époque-là le Ciel prend déjà la forme d’un « dieu » concrétisé et individualisé, mais dès le début ce dieu se distingue radicalement du Dieu chrétien qui transcende et qui est purement spirituel. Notre « dieu » ne perd toujours pas son caractère profane, il apparaît ici comme l’ordonnateur de la vie politique : il commande, les rois d’ici-bas ne font qu’exécuter.

Si pour les gens sous la dynastie des Xia et des Shang, le Ciel est un Souverain céleste arbitraire qu’il faut respecter et craindre, il devient un protecteur plus raisonnable et prévisible sous la dynastie des Zhou. Le sacrifice au Ciel reste encore essentiel dans la vie religieuse et politique de l’Etat, mais l’idée que se font les rois à l’égard de celui-ci a déjà changé. En tirant des leçons de l’effondrement du pouvoir des Shang, les gouvernants des Zhou se posent des questions au sujet du « mandat du Ciel » (tianming

est permanent ? Comment le roi doit-il diriger son pays pour garder le mandat du Ciel ? C’est à partir de ces questions que les gouvernants des Zhou, ayant pour représentant le Duc des zhou, Ji Dan 姬旦, ont introduit une autre notion importante, celle de la « vertu » ( de 德), qui met l’accent sur la vertu des rois, dont les actes et la politique vont influencer dans une grande mesure le mandat du Ciel. Dans cette correspondance établie entre la puissance mystérieuse du Ciel et les actions des hommes (des rois), nous voyons déjà le début du concept de « tian ren he yi 天人合一 » ( le Ciel et l’homme sont en résonance). De plus, le centre de la politique de vertu est la « vonlonté du peuple »112

(minyi 民意), parce que :

«天視自我民視,天聽自我民聽 »113

( Le Ciel regarde par les yeux de notre peuple et écoute par leurs oreilles).

« 民之所慾,天必從之 »114

( Ce que le peuple désire, le Ciel doit le suivre).

Donc les aspirations et le bien du peuple sont les critères les plus importants pour juger si le roi est vertueux, s’il peut recevoir le mandat du Ciel : puisque le Ciel doit suivre le minyi, seuls les rois qui savent aimer et protéger le peuple peuvent recevoir le mandat du Ciel. Ainsi est établi un lien étroit entre la vertu du roi et le mandat du Ciel : d’une part, pour légitimer son pouvoir, le roi s’identifie au « fils du ciel », qui reçoit le « mandat du ciel » pour diriger le pays et réaliser l’ordre universel dans le monde humain ; d’autre part, ce « mandat » n’est pas immuable, il dépend de la vertu du roi et de la moralité des gens sous son règne. Une vertu royale parfaite et un bon gouvernement en conformité avec les ordres célestes permettent la permanence du pouvoir royal et font régner la prospérité, et inversement, les désordres politiques et sociaux engendrent des désordres naturels et universels, source des malheurs du peuple et de la dégradation de

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Nous rappelons que ici la volonté du people est différente que celle dont parle Rousseau quand il discute de la démocratie.

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Shangshu yizhu 尚書譯注, op.cit., p.199.

l’Etat. Il est clair qu’à cette époque, la notion du « ciel », qui se trouvait avant dans le cadre religieux, est déjà politisée et moralisée, et celle-ci ne se tarde pas à être embrassée dans le système rituel et éthique lorsque le Duc des Zhou compile le Zhou li 周禮(Les rites des Zhou).

Finalement, la formule canonique « tian ren he yi 天人合一» ( le ciel et l’homme ne font qu’un », ou de « tian ren gan ying 天人感應 » ( le ciel et l’homme sont en résonance ), lancée et promue par Dong Zhongshu 董仲舒( 179-104 avant notre ère ) sous la dynastie des Han, a établi le principe de la « connaturalité » de l’homme et du ciel. Cette théorie prend sa naissance en répondant aux besoins de l’Empereur Wu de renforcer le pouvoir royal central et de soutenir la légitimité et la suprême autorité du chef de l’Etat. Dong Zhongshu s’inspire de la théorie du yin et du yang et de celle des cinq éléments pour créer sa propre doctrine qui interprète le concept du Ciel sur le plan politique et éthique.

L’essence de sa théorie se résume en trois points. Le premier se caractérise par un anthropomorphisme. D’abord, dans la constitution physique de l’homme se retrouve celle du cosmos :

« 故小節三百六十六,副日數也;大節十二分,副月數也;內有五臟,副

五行數也;外有四肢,副四時數也 »115。

( Ainsi aux trois cent soixante six articulations de son squelette correspondent le même nombre des jours qui sont les articulations d’une année, et aux douze méridiens corporels, les douze mois d’une année, aux cinq viscères, les cinq agents du cosmos, aux quatre membres, les quatre saisons116 ).

Et puis, les sentiments et vertus de l’homme sont analogues aux éléments naturels et climatiques et ceux-ci sont évidemment influencés par ceux-là. Par l’intermédiaire des transformations et des interactions des cinq éléments, le ciel engendre dix mille êtres, dirige le monde humain, et transmet les ordres célestes les plus sacrés.

115

Chunqiu fanlu 春秋繁露, op.cit., p.477.

Le deuxième point s’étend au niveau éthique et politique, les lois naturelles sont réintroduites dans la société humaine :

« 天為君而覆露之, 地為臣而持載之; 陽為夫而生之, 陰為妇而助之;

春為父而生之, 夏為子而養之 »117

( le souverain est homologue au ciel qui agit, les vassaux sont homologues à la terre qui soutient ; le mari est du côté de yang qui produit, la femme est du côté de yin qui assiste ; le père relève du printemps qui engendre, le fils relève de l’été qui

nourrit118).

Alors selon la règle et la hierarchisation du ciel, les vassaux doivent absolument se soumettre au souverain, la femme au mari, le fils au père, sinon, ce serait une transgression de l’ordre céleste. Le troisième point met l’accent sur le rôle important joué par le souverain, dont la vertu, la soumission aux lois célestes, ainsi que la bonne gestion de l’état garantissent la faveur et la bienveillance du Ciel et protègent le peuple de divers désastres. La théorie de « tian ren gan ying 天人感應» a excercé une très grande influence sur les gouverneurs et le peuple, à tel point que certains de ses principes, surtout moraux éthiques sont devenus impossibles à transgresser dans la société chinoise. Et ainsi le concept du ciel se transforme en normes sociales et morales intériorisées pour diriger même les plus petits détails des conduites des Chinois.

Après avoir vu ce rapide parcours du culte du Ciel, nous sommes conduits à dire que le Ciel se trouve au carrefour où la religion, la loi, la politique et les moeurs s’imbriquent. Et la théorie de « tian ren gan ying » a renforcé la tendance à moraliser et politiser la conception à l’origine plutôt religieuse du « ciel » et a mis en valeur les actes des hommes vertueux. Donc ce n’est pas une surprise de voir, dans le domaine de la littérature merveilleuse, où le Ciel représente la toute-puissance de la divinité, qu’il y a une sorte de transmission de cette puissance magique aux hommes qui savent, en manifestant la bonté de leur âme par de bonnes actions, interpeller le Ciel pour demander sa faveur.

117

Chunqiu fanlu 春秋繁露, op.cit., p.465