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L’exploitation de l’écriture particulière du Web au sein des ressources pédagogiques :

vers une dynamique du regard.

Au sein de notre corpus, nous observons que certaines ressources exploitent, d’une autre manière, l’écriture numérique. Nous aimerions montrer comment son utilisation peut servir une forme de dynamique du re- gard qui se rapproche d’une praxis d’historien de l’art : observer, comparer les œuvres et les inscrire dans leur contexte socio-historique. Pour ce faire, les banques d’images, ressources textuelles et bibliographies, cons- tituent des documents utiles. Autant de documents de nature diverse qui participent à la « culture du frag- ment », définie par Milad Doueihi. Mais si, comme le

souligne Doueihi, « […] l’anthologie [est] la forme et le format par excellence de la civilisation numérique »32, ces documents forment ici une anthologie placée sous l’autorité de l’institution muséale, qui se fait garante de la qualité et du sérieux des informations. Leur légitimi- té « scolaire » est souvent soulignée par les logos du Ministère de l’Éducation nationale ou des académies scolaires : par exemple, le Louvre et le site Panorama de l’art font partie des références du portail Edu- thèque33, lancé par le Ministère de l’Education natio- nale en 2013.

Si cette « culture du fragment » est constitutive de la nature de l’écriture Web, il faut ajouter également, comme le souligne Lev Manovich, l’hypermédia : « Dans l’hypermédia, les éléments multimédias consti- tuant un document sont interconnectés au moyen de liens hypertextes »34. Nous voudrions, pour illustrer ce point, nous arrêter sur l’usage particulier de l’hypertexte au sein du site « Panorama de l’art ». Sur ce site, des œuvres issues de l’Agence photographique de la Rmn sont expliquées sous la forme de fiches, où des liens hypertextes permettent de lire la définition d’un terme technique, de voir les œuvres auxquelles le texte fait allusion, mais aussi de proposer d’autres sites Internet. Il y a plusieurs éléments à souligner : d’une part, le lien hypertexte permet la mise en perspective de contenus hyperliés, par la mention d’autres sites d’institutions culturelles, invitant à une lecture plus profonde sur l’œuvre ou l’artiste. D’autre part, le texte

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Milad DOUEIHI, Pour un humanisme numérique. Paris, Editions du Seuil, 2010, p. 106.

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http://www.edutheque.fr/accueil.html

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L’offre pédagogique sur les sites internet des musées : de nouvelles perspectives pour découvrir l’art à l’école ?

n’est pas un support seulement linguistique, mais de- vient un espace signifiant, traversé par ce qu’Yves Jeanneret appelle des signes-passeurs35, invitant à agrandir les images, à s’attarder sur elles, ou bien à faire passer la souris sur certains mots pour faire appa- raître d’autres œuvres. Or, cet aspect techno- sémiotique du texte nous paraît intéressant ici, dans le sens où il sert une démarche heuristique : celle de sus- citer des liens entre les œuvres. La mise en forme édi- toriale, bien hiérarchisée et problématisée, n’est pas sans rappeler ce que l’on peut trouver dans les ma- nuels scolaires, mais ce qui est intéressant, ici, est cette exploitation particulière de l’écriture numérique, qui permet au texte de devenir un espace de médiation. La particularité de l’écriture Web permet aussi d’agencer au sein d’une même interface différents do- cuments médiatiques. De ce point de vue, la rubrique « Art et éducation » du musée du Louvre est particu- lièrement riche. On peut citer, par exemple, les « Clés d’analyse »36 qui proposent de courtes vidéos sur une notion d’histoire de l’art, comme la taille d’une œuvre, la composition ou le sujet d’un tableau, en confrontant des œuvres de différentes époques. On trouve égale- ment des « Médias dossiers » qui « organise[nt] une réflexion sur des problématiques d’histoire des arts à partir des collections du musée »37.

Pour revenir à la posture d’ « amateur éclairé » préco- nisée par les textes officiels, chercheurs et enseignants

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Emmanuël SOUCHIER, Yves JEANNERET, Joëlle LE MAREC (sous la dir.), Lire écrire, récrire. Objets, signes et pratiques des mé-

dias informatisés, Paris, bibliothèque publique d’information,

2003.

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http://www.louvre.fr/clefs-danalyse

37

http://www.louvre.fr/media-dossiers

ont souligné la pertinence cognitive de la confronta- tion de plusieurs œuvres sans forcément qu’il y ait un discours qui s’impose d’emblée sur l’œuvre elle-même. L’exemple du site « Panorama de l’art » est intéressant de ce point de vue, puisqu’il propose des comparai- sons, mais c’est le commentaire de l’œuvre qui pré- vaut : les questions qui structurent la fiche avaient ain- si leur réponse immédiate.

Or, susciter le questionnement des élèves à travers un ensemble d’œuvres permet, comme le fait remarquer Sylvain Fabre sur le travail de la plasticienne Joëlle Gonthier pour la Bibliothèque nationale de France, « de regarder les œuvres, de parvenir à entrer dans leur spécificité d’œuvres plastiques, et non de réduire le visuel au discours qui pourra être tenu sur lui »38. Il nous semble que c’est dans cette même perspective que se situe le module « Découverte » que propose le musée d’Orsay : il s’agit d’explorer les collections du musée à partir d’une œuvre particulière. Sur les côtés et sous sa reproduction, des rapprochements sont pro- posés avec d’autres œuvres du même artiste, de la même année, de la même tendance esthétique et, en- fin, du même thème. Il est toujours possible de cliquer sur les œuvres pour obtenir des informations, mais nul texte ne vient s’adjoindre d’emblée à l’image, qui s’offre, donc, pleinement au regard. A cela s’ajoute la possibilité de mettre en évidence l’échelle de l’œuvre, ce qui permet de ne pas « réduire le commentaire d’une œuvre à celui d’une image»39. La confrontation entre les œuvres, proposée par ce module, s’inscrit

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Sylvain FABRE, « L'histoire des arts et le temps à l'œuvre », Le

français aujourd'hui, n°182, 2010, p. 35.

39

Marianne COJANNOT-LE BLANC, « Histoire des arts. Une méthode, des exemples », p. 10.

dans une démarche heuristique, comme l’indique son titre même, mais esquisse aussi une propédeutique qui prolonge les pratiques de l’histoire de l’art : l’œuvre est placée au sein de références visuelles et c’est au visi- teur, ensuite, d’établir et d’interpréter les liens entre ces différentes productions artistiques.

Conclusion

À travers ces quelques exemples, nous avons voulu souligner l’évolution des dossiers pédagogiques à tra- vers un corpus, certes restreint, de quatre sites d’institutions culturelles. Tout d’abord, nous avons pu remarquer que la mise en ligne de ces ressources se fait principalement à travers des documents pdf, où l’influence de l’imprimé garde encore sa force. Cela n’empêche pas des approches qui mettent en perspec- tive les œuvres, à travers des questions ouvertes et transversales. Le numérique, dans ce cas, ne fait que prolonger ce genre bien établi dans l’histoire de la mé- diation culturelle que sont les dossiers pédagogiques. Mais, les caractéristiques de l’écriture numérique tra- vaille – au sens premier du terme – ces ressources : l’exploitation de l’hypermédia et de la modularité des interfaces permet de les enrichir et de les orienter vers des pratiques d’histoire de l’art. Comparer, scruter, regrouper les œuvres, autant de gestes qui prennent une dimension propédeutique au sein de ces res- sources et qui offrent de nouvelles perspectives : ainsi, comme le souligne Corine Welger-Barboza dans son article sur les collections en ligne des musées, « le mu- sée s’avère être producteur d’un arsenal des formes, des mises à disposition de l’image des œuvres pour la

visualisation et l’étude induisant des gestes nouveaux »40.

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40

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L’offre pédagogique sur les sites internet des musées : de nouvelles perspectives pour découvrir l’art à l’école ?

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Anne Gagnebien