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expérimenter les modes de transmission

Yannick Bressan

Musée, école et

apprenant engagé :

au centre de la

transmission des

savoirs, l’adhésion

émergentiste ?

Les neurosciences cognitives appliquées au champ de la représentation théâtrale ont récemment permis de mieux comprendre la façon dont émerge une réalité fictionnelle en lui permettant de prendre une forme

d’existence effective. Une étude 1 interdisciplinaire (neurosciences, esthétique, études théâtrales et psy- chologie cognitive) a permis de mettre en évidence en 2007-2008 le principe d’adhésion émergentiste (ou PAEm) et le lien fondamental qui unit ce principe, les évènements mis en scène et le système cognitif du spectateur.

L’adhésion émergentiste est le phénomène neuropsy- chologique et cognitif qui conduit un sujet-percevant à faire émerger une réalité par son intérêt puis son adhé- sion afin de faire, dans un dernier temps, émerger cette réalité en lui donnant (plus ou moins longtemps) la force d’une réalité pleine et entière. Nous avons tous ri, pleuré, été affectés, par un film ou une représenta- tion théâtrale. L’adhésion émergentiste est le « moteur » fondamental de cet engagement du spectateur. C’est ainsi via ce phénomène neuropsychologique que pourra ponctuellement émerger le théâtral qui touchera le spectateur émotionnellement, voire physiquement. Celui-ci perçoit un personnage en un espace-temps

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Étude réalisée en 2007-2008 au Laboratoire d’Imagerie et Neu- rosciences Cognitives, CNRS, en collaboration avec le Théâtre National de Strasbourg. Cette expérience fut conçue et dirigée par Yannick Bressan qui signa, de plus, la mise en scène utilisée dans le protocole expérimental. Cette étude fut, par ailleurs, suivie d’un point de vue médical par la neurologue Marie-Noëlle Metz- Lutz. Cette expérience est présentée et analysée en détail dans Yannick BRESSAN, Le théâtral comme lieu d’expérience des Neu-

fictif (celui de l’histoire représentée) alors qu’il a sous les yeux un comédien sur des planches.

Cette observation empirique faite, comment s’effectue cette substitution de réalité d’un point de vue neuro- cognitif ? Quelles sont les activations cérébrales et les implications physiologiques du spectateur qui permet- tent à la magie du théâtral d’opérer ? Quel est cet état particulier qu’en tant que spectateur nous avons tous expérimenté au moins une fois ? Ce mélange de réalité et de rêve s’articulant, se juxtaposant jusqu’à ne for- mer qu’une sensation trouble, celle d’une réalité scé- nique coexistant en parallèle de notre réalité proche ; cette réalité scénique qui parfois, via le principe

d’adhésion émergentiste peut nous entrainer dans un

rire, une frayeur ou des larmes... Comme si c’était vrai et bouleverser notre état psychique ? Au-delà de ces observations et à l’aune des résultats obtenus, quelles sont les perspectives qu’offre une telle étude dans le cadre de la transmission des savoirs ? Le théâtre peut ainsi être un formidable champ expérimental in vivo pour les neurosciences cognitives. Cette première ex- périence de neuro-esthétique appliquée à l’étude du PAEm a dégagé des pistes expérimentales et des en- jeux de réflexions des plus inattendus et des plus sti- mulants qui offrent des pistes prometteuses pour la transmission des savoirs même s'il reste bien entendu qu’il n’est pas question d’entrainer les enseignants à devenir des histrions ou d’hypnotiser les étudiants !

En revanche, l’approche scientifique fondamentale- ment systémique2 retenue dans cette étude permet de poser et d’avancer sur de nombreuses questions liées à l’émergence d’une réalité et à son utilisation concrète. Quelles sont précisément les activations neurologiques et l’activité physiologique lors de cette substitution de réalités ? Outre les réactions physiques attendues (à priori) en réponse à l’activité scénique (comme l’accélération cardiaque lors d’une porte qui claque, les réactions épidermiques lors d’un moment d’angoisse ou de tendresse...), qu’est-ce qui compose l’activité neurologique du spectateur lors de l’activation du prin-

cipe d’adhésion émergentiste ?

En se fondant sur les découvertes mises à jour lors de cette expérience et des travaux qui suivirent, nous sa- vons aujourd’hui comment le spectateur est appelé à une intense activité psycho-cognitive pour que s’active le PAEm, afin qu’émerge la réalité théâtrale. Ne serait- ce pas là un des éléments actifs du théâtre de l’intérieur dont parle le metteur en scène Claude Régy et qui a construit l’histoire du théâtre en particulier et des re- présentations en général ? Ces représentations même scolaires (universitaires) comme l’envisageait Hegel3 restent soumises à ce phénomène fondamental. Sans intérêt, engagement ni d’adhésion de l’apprenant aux propos de l’enseignant, que reste-il du cours ? Une ad- hésion renforcée permet-elle une meilleure mémorisa-

2

Daniel DURAND, La Systémique, Paris, Presses Universitaires de France, 2013.

3

Rapportée en 1835 par un de ses auditeurs, Hotho et récemment commentée par Pierre MACHEREY, La philosophie au sens large :

le cours magistral, Récupéré le 25 mai 2013 de http://philolarge.hypotheses.org/1026

Musée, école et apprenant engagé : au centre de la transmission des savoirs, l’adhésion émergentiste ?

tion des informations délivrées par le professeur ? Ces questions feront l’objet d’une réflexion qui nous con- duira à la question centrale de notre propos : quelle utilisation pour la transmission des savoirs ? En se fondant sur une étude en neuro-esthétique et sans trop entrer dans de lourds détails techniques et scienti- fiques, il s’agira d’aborder le phénomène psychocogni- tif qui est la pierre angulaire de notre système repré- sentationnel et d’en saisir les enjeux pour comprendre combien la « mise en scène pédagogique » peut être efficiente.

Une étude transdisciplinaire a donc été menée au LINC avec l’Hôpital civil de Strasbourg et le Théâtre national de Strasbourg afin de déterminer les corrélats neuronaux de l’adhésion d’un sujet-spectateur face à une représentation théâtrale. Lors de cette étude, comme bien souvent dans la recherche, des voies inat- tendues sont apparues aux expérimentateurs au-delà de ce qu’ils pouvaient penser découvrir.