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L’émergence de la question d’une didactique dans le champ culturel

La question de l’action culturelle peut être pensée dans une perspective didactique « minimale », celle qui considère qu’il y a un ensemble de situations « éduca- tives » capables de produire des effets de développe- ment des sujets, par la transmission, d’un « savoir » de quelque nature qu’il soit2. On définirait alors la didac- tique comme une recherche portant sur les processus socio-psychologiques à l’œuvre dans les apprentis- sages, permettant de faire des hypothèses sur des ac- tions qui les favorisent. Peut-être faut-il insister sur le fait que l’expérience muséale ne se réduit pas à une « pédagogie de l'objet », qui se suffirait à elle-même, en ayant « un degré de vérité nettement plus fort que dans la parole du maître, du professeur ou dans le texte du livre », comme l’écrivent Caillet et Lehalle3. Si prédomine l'idée que « la présence de l'œuvre est en

1

Sylvain FABRE, Enseignement des arts plastiques au collège : ap-

proche disciplinaire et perspectives normatives en éducation artis- tique et culturelle, Thèse de Doctorat. Saint-Denis : Université

Paris 8, 2013.

2

C’est en particulier le projet de Gérard SENSEVY, Le sens du

savoir : Éléments pour une théorie de l’action conjointe en didactique,

Bruxelles, de Boeck, 2011.

3

Élisabeth CAILLET et Évelyne LEHALLE, À l'approche du musée,

la médiation culturelle, Lyon, Presses Universitaires de Lyon,

1995, p.35.

soi formatrice »4, le face-à-face avec l’objet doit être aménagé, ne serait-ce que par la parole d’un conféren- cier qui redouble le vu d’un dit qui aide à comprendre, mais aussi à voir. La simple mise en contact ne suffit pas : les résultats de la recherche convergent pour montrer que les appropriations des visites se font de manière très différentielles en fonction des élèves, entre absence d’intérêt, captation des seuls traits sen- sibles, et engagement dans une réflexion de nature es- thétique ou historienne fondée sur la construction de connaissances5. Le musée comme l’école sont donc confrontés à ce constat d’appropriations différentielles liées à des connaissances et des dispositions différen- ciatrices ; il doit répondre au défi de trouver des ma- nières de faire qui favorisent une démocratisation des biens culturels. Une réflexion est donc nécessaire, pour rendre accessible les biens culturels à un public qui s’élargit sans cesse : « c'est […] le passage de la dé- lectation individuelle à l'organisation d'une culture de masse qui a rendu nécessaire que l'on regarde fine- ment ce qui se met en œuvre quand il s'agit de trans- mettre des éléments de connaissance du patrimoine tel qu'ils rendent possible le plaisir de la délectation pri- vée6 ». Il y a donc didactique, ne serait-ce que par ce souci de « regarder finement » ce qui se passe, en sor- tant de la sphère du singulier pour se confronter à la relation entre le regardeur et l’œuvre.

4

Id.

5

Voir Élisabeth BAUTIER et Stéphane BONNERY, Les démarches

éducatives partenariales, Enjeux et conditions de l’inscription des élèves dans des logiques scolaires, Saint-Denis : Université Paris 8,

2006.

6

Certes, la visite est d’abord confrontation à une plura- lité d’œuvres, dans leur singularité, dont le médiateur va chercher à favoriser la rencontre par le public, alors que les savoirs scolaires s’organisent davantage selon une arborescence des concepts en lien avec les idées de progression et d’élémentation. De même encore, le musée peut paraître donner place, non seulement aux aspects épistémiques et intellectuels des situations, mais aussi émotionnels et sensibles. Mais l’école ren- contre des préoccupations semblables quand elle prend conscience que l’appropriation de champs de connaissance complexes implique non seulement une mémorisation, mais aussi des évolutions dans les ma- nières de penser, de sentir et de vivre. Les évolutions curriculaires, comme le Socle commun de connaissances

et de compétences de 2006 en témoigne, exigent de

considérer l’élève non seulement du point de vue de ses connaissances, mais aussi de ses goûts, de ses inté- rêts, de ses évidences intellectuelles les plus incorpo- rées, - tout ce qu’on nomme, après Bourdieu (1979), des dispositions. L’école ne se limite plus à une con- ception étroite des savoirs, mais intègre les disposi- tions qui contribuent au sens que les acteurs donnent aux situations d’enseignement. Il ne s’agit plus seule- ment de connaissances factuelles ou même notion- nelles, mais d’apprendre à écouter, voire aimer7 - de construire des attitudes de lecteur et de regardeur. Certes, « l’École » et « le musée » qui sont caractérisés ici ont valeur d’idéaltype. L’organisation rationnelle des savoirs scolaires est à pondérer par une prise en

7

Voir Florence ELOY, Apprendre à écouter la musique, Culture

légitime, culture scolaire et cultures juvéniles, Thèse de Doctorat,

EHESS Paris, 2012.

compte du développement de l’enfant8 ; et inverse- ment, les priorités affichées avec la mise en place du

Socle Commun restent largement de l’ordre du déclara-

tif, et ne conduisent que peu à une évolution des pra- tiques. Néanmoins, ces modèles sont révélateurs des évolutions auxquelles sont appelées ces institutions, des défis nouveaux à quoi elles doivent répondre. La publication d’un nouveau Socle en 2015 est d’ailleurs significative du travail d’élaboration en cours, d’une réflexion qui avance en tâtonnant. Le dialogue entre pratiques de terrain, travail prescriptif institutionnel et recherche est sollicité, au regard d’un souci renouvelé de démocratisation des biens culturels.

Des exigences communes qui sont de l’ordre d’une acculturation conduisent à la prise en compte du visi- teur dans sa subjectivité, ainsi qu’à la conscience de son pouvoir d’interprétation des situations9. Ce pou- voir de réinterprétation du sujet peut conduire à pen- ser que les élèves sont plus ou moins prêts à rencon- trer les œuvres, - ou du moins certaines œuvres plutôt que d’autres, et d’une certaine manière plutôt que d’autres manières. Chez la conférencière interrogée, cette conscience s’exprime par la nécessité d’une « maturité » (« la progression passe par la maturité des enfants : ils n'ont pas la même maturité en sixième

8

Voir Catherine KINTZLER, Condorcet, l’instruction publique et la

naissance du citoyen, Paris, Gallimard Folio, 1984.

9

Cette important de l’activité du sujet dans la construction des savoirs est bien attestée par la sociologie et la psychologie (Élisa- beth BAUTIER, Bernard CHARLOT et Jean-Yves ROCHEX, École

et savoir dans les banlieues et ailleurs, Paris, Armand Colin, 1992),

en même temps qu’en didactique (voir par exemple André GIORDAN, Une autre école pour nos enfants ?, Paris, Delagrave, 2002).

La question du tissage pour une (possible) didactique muséale

qu'en troisième ») : le terme renvoie à un développe- ment qui prendrait des voies difficiles à anticiper et à maîtriser, - à une action mystérieuse du temps. Com- ment agir sur la maturité ? Un enjeu de démocratisa- tion sera d’articuler le temps long, toujours hypothé- tique, de la formation d’une identité de visiteur, avec un temps plus court, de construction d’une cohérence des actions éducatives : on passe ainsi de l’appel à la maturité des publics quelque peu incantatoire, à une action de nature didactique qui s’appuie sur les évolu- tions parallèles de la réflexion sur l’école.