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L’explication politique : la part des protections et des liens de clientèle

L’irruption de la division religieuse dans les familles nobles aux XVIe et XVIIe siècles

2) L’explication politique : la part des protections et des liens de clientèle

- Une femme d’exception, un « mécanisme margueritien ? »

L’intérêt de la thèse de Nicholls est d’avoir défini l’existence d’un « isolat alençonnais » en ce qui concerne l’irruption du protestantisme. En effet, si l’argument d’une spécificité géographique peut être repoussé, en revanche, celui d’un particularisme politique et culturel reste sérieusement à envisager. L’intuition, depuis bien des années, est suscitée par la cour de Marguerite de Navarre et par le rôle joué par les cercles humanistes, implantés en Alençon, dans son sillage. Il s’agit donc ici de tester des facteurs d’origine sociologique ou économique. Nous l’avions déjà remarqué, tout se passe comme s’il y avait un

1 Cité par Jean Meyer, Noblesses et pouvoirs dans l’Europe d’Ancien Régime, Paris, Hachette, 1973, p.72.

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lien très fort entre la gestation d’une nouvelle élite nobiliaire et la persistance du fait protestant en Alençon. Il est vrai que si les villes d’Alençon, Mortagne-au-Perche, Argentan, pourtant voisines, ne connaissent pas la même évolution face à la montée du protestantisme dans la région et l’implantation de la réforme auprès de la noblesse rurale environnante, c’est qu’elles ne n’ont pas non plus le même encadrement. Y a-t-il réellement un particularisme alençonnais en la matière, à cause de la présence de Marguerite de Navarre en tant que princesse apanagiste ? Et dans l’affirmative, comment expliquer une si nette corrélation ? Peut-on évoquer sans excès l’idée d’un « mécanisme margueritien » de la conversion ? La ville ducale, contrairement à sa voisine Argentan, possède en effet le statut d’apanage jusqu’en 1559 et évolue sous la protection de Marguerite de Navarre.

Née le 11 avril 1492 au Château d’Angoulême, Marguerite, bientôt dénommée « la Minerve de France » est la sœur du futur roi de France, François Ier. Elle est mariée le 2 décembre 1509 au malheureux Charles d’Alençon, bientôt tenu responsable du désastre de Pavie. Marguerite devient dès lors duchesse apanagiste d’Alençon. Commence alors pour la ville ducale une période d’épanouissement intellectuel et spirituel qui dure jusqu’en 1559. A la fin de l’année 1527, Marguerite se remarie avec Henri d’Albret. Si elle vit la plupart de son temps à la Cour ou en Navarre, elle conserve néanmoins la jouissance du duché jusqu’à sa mort. Dès lors, le duché revient à la Couronne. On s’est beaucoup interrogé sur « la religion » de Marguerite. Est-elle convertie ? Est-elle restée fidèle à la religion de ses pères ? A lui seul ce thème a déjà fait couler beaucoup d’encre et un ouvrage de type universitaire pourrait encore lui être consacré, tant reste grande « l’énigme Marguerite », tant la richesse et la complexité de ce personnage demeurent à sonder1. Ce n’est pas ici le centre de notre propos. Ce qui nous importe, c’est de comprendre si la duchesse d’Alençon a pu jouer un rôle déterminant dans le passage à la foi réformée de bon nombre de

1 Abel Lefranc, Les idées religieuses de Marguerite de Navarre d’après son œuvre poétique, Paris, Fischbacher, 1898, P. 280 et 281, ou encore Myra D. Orth, « Radical beauty : Marguerite de Navarre’s illumined protestantism cathechism and confession », in The Sixteeen Century, t.24, N°2, 1993, P. 383-425. Mais la réflexion la plus moderne revient sans doute à Lucien Febvre,

Amour sacré, amour profane : autour de l’Heptaméron, Paris, Gallimard, 1996, 395 P. (première

édition en 1944). Loin d’une Marguerite de Navarre, présentée traditionnellement comme une crypto-réformée, Lucien Febvre insiste sur l’originalité de la démarche spirituelle de Marguerite, sur son caractère personnel et irréductible à toute école ou chapelle. Au temps de l’Evangélisme, les croyants apparaissent aux yeux de cet auteur, comme exempts de toute fixité ; ils ne sont pas encore sommés de choisir leur camp confessionnel, d’où une plus grande flexibilité de leur doctrine.

nobles alençonnais et si elle a favorisé, par sa protection, l’épanouissement et l’enracinement de la Réforme dans la ville apanagiste. Marguerite d’Angoulême, duchesse d’Alençon, Reine de Navarre, influencée par le Cercle de Meaux, auprès duquel elle gravite en correspondant avec Guillaume Briçonnet, se situe dans une position intermédiaire du point de vue religieux. Influencée par la philosophie néo-platonicienne chère au XVIe siècle depuis les travaux de Symphorien Champier, Marguerite fait de l’amour terrestre une des conditions de l’accession à l’amour céleste : « de l’amour profane, dit-elle, l’homme acquiert l’idée de l’amour sacré ». D’où sa décision d’entrer au Couvent de Sainte-Claire, mais d’y vivre séparée hors de la clôture. Elle est aussi convaincue de la gratuité du Salut : néanmoins, pour elle, ce don de Dieu n’est pas contradictoire avec l’influence des œuvres. Les œuvres lui apparaissent agir en synergie avec la foi. C’est là que réside toute la démarche « d’entre-deux », décrite par Lucien Febvre. Marguerite ne remet pas en cause le caractère sacré et central de l’Eucharistie. Pourtant elle prépare involontairement le terrain au développement de la Réforme en témoignant d’une étonnante liberté doctrinale. Son refus du monolithisme ecclésiastique y contribue aussi. Elle influence également son frère, François Ier, qui accorde sa protection aux Evangélistes contre les instances officielles, notamment la Sorbonne. Cette protection royale tient plus, cependant, de l’admiration intellectuelle pour l’humanisme des Evangélistes que d’un réel engouement ou d’une hésitation d’ordre confessionnel. François Ier fait nettement la distinction entre « fabrisme » et luthérianisme, contrairement à la faculté de Paris qui les confond. Mais l’Affaire des Placards, probablement inspirée à la suite des sacramentaires de Neufchâtel, marque la rupture pour François Ier, qui se doit d’appuyer la répression. Cette dernière aura également des incidences sur Alençon. En juillet 1543, les « 25 articles de la foi », qui apparaissent comme la définition désormais officielle de l’orthodoxie défendue par la Faculté de Paris, sont approuvés par François Ier. Contrairement à sa sœur, le souverain n’a jamais favorisé le développement de la Réforme en France. Mais il y a eu hésitation sur l’attitude à adopter, le roi alternant entre réforme modérée et volonté de fermeté. De cette politique d’hésitation, Alençon s’en fera l’écho amorti. Marguerite de Navarre prépare tout aussi involontairement la conversion de sa fille, Jeanne d’Albret au calvinisme. Reine en 1555, cette dernière révèle publiquement sa foi à

Noël 1560. Ainsi Marguerite a incontestablement eu une influence auprès des membres les plus proches de sa famille.

Qu’en est-il dans les cercles plus larges, hors de la Cour ? L’existence d’un réseau gravitant autour et sous la coupe de Marguerite de Navarre ne fait plus de doute aujourd’hui. Il a été récemment mis en lumière par la thèse de John Reid, de l’Université d’Arizona, en 2001. Le réseau « margueritien » est actif tant à Paris, Bourges, Macon, Lyon, Grenoble ou Alençon1. Y gravitent deux cents personnes environ, tous nobles, imprimeurs, officiers, prélats qui correspondent avec elle. Tous ne sont pas sensibilisés aux idées protestantes, mais tous en revanche font preuve d’une absence de rigidité doctrinale et n’adhèrent pas au monolithisme de l’orthodoxie ecclésiastique. En novembre 1525 et au cours de l’année 1526, la duchesse d’Alençon autorise en effet Pierre Caroli à prêcher dans la ville ducale alors que celui-ci est interdit de chaire dans les églises de Paris. De 1530 à 1534, pour le protéger de nouvelles attaques de la Sorbonne, elle lui accorde une cure en l’église Notre-Dame d’Alençon2. En 1529, c’est au tour de l’imprimeur parisien Simon Dubois, de trouver refuge à Alençon pour poursuivre ses activités. Bénéficiant de la caution d’officiers au service de Marguerite, tels Guillaume Le Coustellier ou de femmes influentes dans la noblesse alençonnaise comme Jeanne d’Avoise, dame de Radon3, Dubois y établit la traduction d’Erasme. En 1531, il y publie le Miroir d’une âme et Les Discours en 1533. En 1534, il doit s’exiler suite à l’affaire des Placards, preuve que Marguerite ne peut plus jouer le rôle d’interface modératrice à partir de cette date. Car si l’affaire d’iconoclasme en Alençon révèle que le protestantisme est bel et bien enraciné dans la ville en 1533, les poursuites qui s’ensuivent marquent bien le pas de cette première période de liberté intellectuelle et religieuse et indiquent clairement que Marguerite a perdu le soutien de son royal frère. François Ier doit se soumettre aux demandes du Parlement de Paris. De sang royal, Marguerite ne craint rien mais elle n’en est pas moins suspectée. C’en est fini, en tout cas, du climat

1 John Andrew Reid, King’s sister –Queen of dissent. Marguerite de Navarre (1492-1549) and her

evangelic network, thèse dactylographiée (UMI Number 3033623), University of Arizona, 2001,

737 p. Ici p. 325.

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L’existence d’un réseau autour de Marguerite de Navarre a fait récemment l’objet de quelques études : celle de John Reid, op.cit. Ici p. 107 (Pierre Caroli y est signalé comme résident à Alençon en novembre 1525) et celle de B. Stephenson, The power and patronage of Marguerite de

Navarre, Aldershot, Ashgate, 2004, 214 p.

3 Jean-Claude Blanchetière, « les origines de la réforme à Alençon (1520-1572) », in S.H.A.O, t. CXXII, N°4 (décembre 2003), p.5-80. Ici à la page 17.

d’effervescence spirituelle en Alençon. Le 11 juin 1533, la veille de la procession de la Fête-Dieu, deux statuettes de la Vierge et de saint Claude sont, en effet, retrouvées suspendues aux gouttières d’une maison de la ville. Dans la chapelle Saint-Blaise, des statues et des vitraux ont été brisées et des paroles blasphématoires ont été prononcées. L’affaire semble avoir été étouffée dans un premier temps par Marguerite de Navarre, qui cherche à protéger l’imprimeur Dubois, probablement influencé par les idées luthériennes, ou des prêtres placés par ses soins à des cures dans le duché. C’est le cas d’Etienne Lecourt, curé de Condé-sur-Sarthe, tout près d’Alençon. D’abord titulaire de cette cure, il est déposé de sa charge, une première fois, le 17 décembre 1525. En novembre 1528, il est administrateur de l’Hôtel-Dieu de Mortagne, avec l’appui de Marguerite, puis il est à nouveau mentionné à la cure de Condé en 1531. Ce dernier marque un vif intérêt pour les thèses théologiques de la réforme à Berne ; sa source d’inspiration est probablement zwinglienne1. En 1531, Lecourt est arrêté à la demande du dominicain Etienne Mangon, inquisiteur du diocèse de Sées. La procédure s’annonce longue, d’abord instruite par la cour épiscopale de Sées, puis le tribunal de l’archevêque de Rouen. La Sorbonne est aussi saisie de l’affaire et considère Lecourt comme un « hérétique manifestement relaps ». en 15322. Ce n’est qu’à la fin de l’année 1533 que la Cour archiépiscopale de Rouen fait connaître son verdict : Lecourt est condamné au bûcher, à Rouen, en décembre 1533. Le 11 décembre 1533, il meurt martyrisé, convaincu d’appartenance à l’hérésie zwinglienne3, après avoir été dépouillé de ses insignes sacerdotaux et « habillé en fol ». Cette affaire, en marquant le début de la répression sur la ville d’Alençon, peut se lire de plusieurs façons. C’est d’abord l’action de Marguerite qui est ici dénoncée par les autorités ecclésiastiques de Normandie, mais sans que jamais celle-ci ne soit citée, accusée ou même évoquée dans le procès. Celui contre le curé Lecourt a d’abord pour conséquence de faire prendre conscience à ces mêmes autorités de l’existence en Alençon d’un foyer fortement réceptif aux

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Bernard Roussel, « Marguerite de Navarre, les débuts de la réforme et les troubles d’Alençon, 1530-1534 », in S.H.A.O, T.CV (déc.1986), 4e trimestre, p. 87-106.

2 Jean-Claude Blanchetière, op.cit., p. 22

3 Le procès est publié en Bulletin de la Société du Protestantisme français, 1887, p. 299. William Monter, in Judging the French Reformation : heresy trials by sixteenth-century, Cambridge (Mass.), Harvard university press, 1999, 324 p., a montré que Lecourt constituait l’un des premiers martyrs dans le royaume de France. C’est la preuve que la ville ducale était surveillée par le Parlement de Paris et Marguerite, suspecte de favoriser le développement d’un foyer de réforme en Alençon.

idées nouvelles. Mais la démarche de la Cour épiscopale de Sées, appuyée par l’archevêché de Rouen, n’en traduit pas moins la volonté « d’étouffer dans l’œuf » ou du moins de mettre fin à l’épanouissement de toutes ces « novelletés ». C’est donc dans ce climat de suspicion croissant qu’il faut penser l’affaire d’iconoclasme de 1533. Alençon, la ville apanagiste de Marguerite, semble de plus en plus suspecte à Paris, et François Ier se voit contraint sous la pression du Parlement de Paris, de nommer des juges extraordinaires chargés de l’enquête. Pour l’heure, deux jeunes gens de la ville sont emprisonnés (un certain Coumyn et Laignel) et une longue procédure s’engage parce qu’elle est d’abord instruite par des officiers de la ville, tous officiers de Marguerite, par conséquent peu enclin à manifester leur zèle. C’est pourquoi les juges alençonnais sont dessaisis de l’affaire par le roi, le 7 août 1534, un an après. François Ier nomme à leur place une commission extraordinaire aux pleins pouvoirs. Celle-ci achève ses travaux dès le 12 septembre 15341. En plus des deux jeunes gens emprisonnés dès le début de l’affaire et condamnés alors au supplice de la pendaison, une quarantaine de personnes est inculpée, mais douze sont déjà en fuite. Neuf sont condamnés à mort, quatre sont exécutés immédiatement. C’est alors là que l’on croit découvrir l’existence d’un foyer protestant actif dans la ville ducale de Marguerite par l’existence de conventicules ou petites assemblées. Cette fois, pressé par la Parlement et la faculté de Paris, François Ier ne peut plus protéger sa sœur. Mais cette répression n’en demeure pas moins sélective. La procédure a été menée de façon à ménager Marguerite. La sanction se porte sur les personnes les plus visiblement compromises : l’imprimeur Simon Dubois, le curé Lecourt, quelques notables, hommes ou femmes de la ville mais aucun magistrat, ni même de nobles2. Six ecclésiastiques (parmi eux Paul Graindorge, Gilles Rolland, et Jean Chassenet qui doivent faire amende honorable) et une quarantaine de notables sont impliqués et, dès lors, leurs noms circulent : Hourdebourg, Duval, Chastellays, Le Pelletier, Ruel, Mabon, Macé… On trouve aussi parmi les suspects quelques femmes : Marguerite Edmé, condamnée par contumace au

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Il s’agit de l’article de Pierre Guérin, « Poursuites contre les réformés d’Alençon », in Bulletin de

la Société de l’histoire du protestantisme français, N°33, 1984, p. 112, 128, 162, 175. Celui-ci

publie la copie du registre criminel du Parlement de Paris (cote AN X2 a83).

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David Nicholls dans l’article, “The theater of Martyrdom in the French Reformation,” in Past

and Present, N°121, nov. 1988, p. 49-73, montre que le but poursuivi par un supplice n’est pas

l’éradication de l’hérésie, mais plutôt une mise en scène moral et pédagogique, très ritualisée. Le condamné doit faire amende honorable. Il y a là une tentative de purification du corps social dans laquelle l’hérésie est assimilée à la sorcellerie, mais sans la recherche d’effets dissuasifs.

bannissement perpétuel du royaume et à la confiscation de ses biens, la femme Isaac Legou ou damoiselle Jeanne d’Avoise, veuve du seigneur de Radon1 dont le rôle semble avoir été déterminant au sein de cette communauté). Mais il serait bien sûr hâtif d’en conclure si vite à l’existence d’un foyer protestant en Alençon dès les années 1530. Même si le pasteur strasbourgeois Martin Bucer peut écrire dans une lettre adressée à Luther et datée du 25 août 1530 que la Normandie est une « parva Alemania », il ne faudrait pas oublier que la ville recèle en fait des tendances bien diverses en matière de foi et d’approche spirituelle. Qu’il y a-t-il de commun entre la démarche inspirée par Lefevre d’Etaples au sein de cette « petite cour alençonnaise », composée d’un Saint-Marthe, Frotté ou Guy et François Cormier, et les idées clairement réformatrices de l’imprimeur Dubois, ou du prêtre convaincu d’hérésie Lecourt ? S’il n’y a pas de point commun entre ces communautés alençonnaises des années 1530, plus inspirée par l’humanisme lefèvriste, et l’implantation calviniste des années 1550 et 1560, à tout le moins, peut-on en conclure à des habitudes prises, celle de la vérification systématique dans l’Ecriture de la légitimité des rites, à la recherche d’un partage communautaire. Si Marguerite n’a pas toujours pu jouer le rôle d’interface modérateur contre les volontés d’affermissement du pouvoir royal du moins, a-t-elle permis l’épanouissement des idées réformées, en favorisant notamment la venue d’hommes, prêtres ou magistrats favorables à celle-ci ? « Il apparaît qu’une prédication novatrice active et répétée, sinon encouragée, par Marguerite de Navarre, n’a pu qu’acclimater à Alençon les grands thèmes du débat engagé sur la question fondamentale du Salut et des moyens d’y parvenir. Ces prises de parole visant à une réforme interne, mais profonde de l’Eglise ont pu, par la hardiesse de certains prédicateurs - Caroli, Lecourt ? - préparer la voie aux réponses radicales apportées par la Réforme proprement dite aux mêmes problèmes. Et ce d’autant plus que les thèmes protestants sont déjà présents à Alençon : ils peuvent donc contaminer, chez certains le simple réformisme, et les écarter peu à peu de l’orthodoxie »2. Ainsi, « elle a donné l’exemple de l’indépendance d’esprit, et elle introduisit dans la cité ducale nombre de fortes personnalités ouvertes aux idées

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D’abord inquiétée et mise en prison, il ne semble pas qu’elle ait subie de peine en 1533. Outre qu’elle cautionne l’activité d’imprimerie de Simon Dubois, elle figure aussi, le 24 janvier 1535, parmi les noms de 73 « luthériens » autour de Caroli qui doivent être arrêtés.

2 Jean-Claude Blanchetière, « les origines de la réforme à Alençon (1520-1572) », in S.H.A.O, t. CXXII, N°4 (décembre 2003), p.5-80, ici p.22.

nouvelles qui ont préludé à la Réforme… »1. Il n’y a donc pas, chez Marguerite, de politique délibérée visant à promouvoir l’introduction de la réforme en Alençon. Malgré ce qu’il faut appeler un premier échec consécutif à la répression de 1533 et 1534, elle réussit tout de même à créer un climat favorable à l’épanouissement du protestantisme, en protégeant des réformateurs ou en favorisant la venue de magistrats ou de nobles chargés de son administration sensibilisés aux idées neuves. Alors que les ecclésiastiques, les imprimeurs les plus visiblement compromis sont éliminés après l’affaire d’iconoclasme de 1533, la réforme s’implante tout de même par le biais de magistrats, moins concernés par cette répression sélective. Ainsi, en encourageant la venue de ces magistrats protestants dans la ville ducale, Marguerite tend à susciter une situation de parité entre les deux confessions. En effet, depuis 1552, six magistrats sur les neuf que compte le Présidial d’Alençon sont adhérents ou futurs adhérents à la Réforme. Son président lui-même est un des leurs : il s’agit de Charles de Marthe, qui a échappé de justesse par le passé au bûcher. Né à Fontevrault, en Anjou, il étudie le droit à l’université de Poitiers, puis se consacre aux langues et à la théologie. Il enseigne cette dernière discipline à Poitiers, mais il est vite suspecté. Il doit s’enfuir à Grenoble, où il fait un long séjour en prison. Libéré, il gagne Lyon et y enseigne le grec et l’hébreu. Mais il réussit à entrer dans le sillage de Marguerite, qui le protège et l’attire en Alençon. Il y devient conseiller de l’Echiquier, tandis qu’il entre aussi au service de Françoise d’Alençon, mère d’Antoine de Bourbon. Il rédige l’oraison funèbre de Marguerite. Ses liens avec Marguerite et avec les Bourbons expliquent en grande partie sa politique de tolérance vis-à-vis des protestants durant les années de persécutions. D’après Benjamin Robert, il a aussi épousé la fille d’un notable protestant d’Alençon2.

John Reid signale aussi dans son étude, le sieur Jean de Frotté comme membre de ce réseau3. Son nom figure en effet dans les rôles de la Maison de Marguerite de Navarre. L’exemple de la famille Frotté, en ce sens, est assez explicite. Jean de Frotté, issu d’une famille d’origine bourguignonne, s’est installé dans le duché en tant que secrétaire et contrôleur général des finances des roi et