• Aucun résultat trouvé

Chapitre  1.   LES AÎNÉS EN RELATION AVEC L’ENVIRONNEMENT : PROBLÉMATIQUE

1.3   L’expérience et le sentiment du « chez-­soi » 14

1.3.2   Le « chez-­‐soi » 16

D’un point de vue structuraliste, la maison (house) est située à un endroit précis, change de propriétaire d’une manière peu fréquente, est une commodité dont on ne peut se passer et qui est également une forme de capital à long terme sur un marché spéculatif (Perkins 2012). Naturellement, une analyse interprétative qui inclut les aspects culturels pour comprendre cette « commodité » est requise et c’est ce qui nous permettra d’arriver à une notion de « chez-soi » (home). Ainsi, Perkins & Thorns 2002 (in Lord 2016 et Perkins 2012), permettent d’aborder la notion de « chez-soi » en considérant qu’elle est constituée de plusieurs dimensions qui s’influencent mutuellement, faisant de la maison une plaque

tournante concernant l’espace fréquenté dans la vie quotidienne ainsi que dans l’identité d’un

individu (Perkins 2012). On parle alors, entre autres, de l’environnement géographique, physique et urbain qui définiront ce « chez-soi » (ex. : climat, topographie, démographie, règlementation, etc.), de tous les aspects symboliques et historiques de la maison elle-même et des mémoires qui y sont associées, du fait qu’un individu soit propriétaire ou non de la résidence en question, qui variera en fonction de l’âge et des différences générationnelles de ses habitants. On pense aussi à tous les aspects reliés au corps, à l’intimité et la sexualité qui sont expérimentés dans ce lieu, des relations familiales et amicales qu’elle peut accueillir, des

constructions sociales (ex. : statut social) qu’elle laisse transparaitre, du travail qui y est de plus en plus effectué, de même que les loisirs qui y sont pratiqués (ex. : jardinage, jeux vidéos, internet, etc.). Il est enfin question du sens donné aux endroits fréquentés dans le quartier où elle est située et, d’un point de plus macro, de la perspective féministe rattachée à ce logis, mettant en lumière à titre d’exemple les rôles sociaux imbriqués dans la forme architecturale ou dans la décoration et lors de l’assignation des fonctions des pièces de la maison. Ainsi, la manière dont les gens transforment une maison en leur « chez soi » varie énormément (Perkins 2012, p. 75).

La notion de « chez-soi » peut donc être abordée pour définir ce qu’est l’expérience de marche à l’aide de six dimensions qui permettent de lui attribuer différentes significations précises qui sont propres à chaque individu. Les dimensions d’ordre personnelles permettent à l’individu de se sentir en sécurité dans un environnement connu, de contrôler celui-ci dans un milieu qui reflète sa personnalité. Les dimensions sociales permettent à un individu de projeter son statut socioéconomique de par la résidence qu’il occupe (ou qu’il possède), de rester en contact avec sa famille et ses amis, mais aussi de se sentir dans un lieu intime qui peut même devenir un refuge. Les dimensions économiques font du « chez-soi » un endroit qu’on possède où l’on peut conserver des objets qui sont nôtre, ou encore être un logement abordable qu’on peut donc s’offrir, en fonction de nos revenus. Le « chez-soi » peut constituer alors un investissement à long terme et même, dans la perspective du vieillissement, un héritage à léguer à sa progéniture. Au niveau temporel, le « chez-soi » est un espace familier, un lieu d’attachement et de mémoires, chargés de souvenirs matériels ou de lieux symboliques (ex. : maisons qui « ont vu grandir » les enfants). De plus, le « chez-soi », de manière matérielle, permet tout simplement à un individu de bénéficier d’un espace physique fonctionnel qui donne accès à un certain confort. Enfin, les dimensions spatio-temporelles témoignent que le « chez-soi » est un espace de vie qui permet d’effectuer ses activités domestiques quotidiennes dans un lieu de vie, qu’il constitue un réel lieu d’ancrage, mais qu'il correspond aussi au centre d’un territoire de mobilité (Lord 2004, 2016; Després et Lord 2002; Gurney et Means 1993 et Sixsmith et Sixsmith 1986 in Lord 2016). Ainsi, le « chez-soi » n’est pas uniquement à l’échelle architecturale, il a des dimensions beaucoup plus complexes et on se sent « chez

nous » aussi à l’échelle du quartier. Ce sont les dimensions subjectives de la notion de « chez- soi » qui nous permettent donc de considérer la marche comme une expérience, plus uniquement comme une activité physique.

Lord (2009) a d’ailleurs étudié plus en profondeur et de manière qualitative les dimensions du « chez-soi » spécifiquement pour des aînés résidants en banlieue pavillonnaire. Ce dernier a pu identifier sept dimensions sensibles du « chez-soi », qui peuvent toutes être explicitées à l’échelle du quartier et faire état des implications directes que peuvent avoir celles-ci au niveau des politiques publiques et de l’aménagement urbain. Il a explicité la septième dimension du « chez-soi », le territoire de mobilité, comme étant un lieu allant au-delà du besoin de déplacements pour effectuer ses activités routinières quotidiennes. Les aînés se déplacent pour le loisir (le déplacement lui-même ou pour se rendre à une activité sociale) et la mobilité devient un outil d’insertion sociale qui permet de renforcer le choix passé et actualisé de leur lieu de résidence (Lord 2004; 2009; 2016). En tant qu’urbanistes, c’est sur cet espace de familiarité que portent nos interventions et il apparaît opportun d’y être sensibilisés.

1.3.3  «  Chez-­‐soi  »  et  mobilité  :  le  territoire  de  mobilité  

Lorsqu’on arrive à prendre conscience de l’ampleur des significations du « chez-soi », il n’est pas étonnant qu’il existe une quasi-unanimité de personnes âgées voulant vieillir dans leur « chez-soi » (AARP, 1996, 2000; Davison et al., 1993; (Lord 2016, 2004). Ce choix implique cependant que les aînés puissent garder une certaine autonomie dans leurs déplacements. Il va aussi dans le sens des politiques actuelles qui cherchent à le garder à domicile le plus longtemps possible, pensant subvenir à leurs besoins grâce à de l’aide à domicile (Lord 2016). Comment peut-on aborder la mobilité quotidienne des aînés en tenant compte du « chez-soi »?

Sans parler spécifiquement du « chez-soi », Chaudet ajoute des éléments à notre réflexion en abordant la notion d’espace public de proximité pour définir l’environnement immédiat du domicile d’un aîné comme un espace qui lui permet de s’engager dans la vie sociale et facilite ses relations avec son voisinage. Le territoire de mobilité quotidienne devient un des marqueurs d’espaces de qualité et de bien-être et peut donc servir à approfondir la dimension

territoriale du « chez-soi » (2012). En s’attardant à maintenir des espaces de qualité et de bien- être dans l’espace public de proximité des aînés, on contribue à maintenir intacte la dimension de territoire de mobilité du « chez-soi » de Lord. Ce qui fera en sorte que les aînés pourront rester actifs, confortables et en sécurité plus longtemps et respecter le désir d’une grande majorité d’entre eux à vieillir à domicile (Lord 2009; 2016).

De plus, on peut également relier le concept d’espace d’action élaboré au départ par Hägerstrand et bonifié par la suite (in Lord, Joerin, et Thériault 2009; Dijst 1999) pour mieux cerner la dimension territoriale du « chez-soi » chez les aînés, notamment dans des études les concernant. Cet espace d’action (actuel, potentiel et perçu) ajoute une dimension temps à un espace parcouru mettant de l’avant que tous lieux ne peuvent être atteints en raison des intervalles de temps dont nous disposons en dehors des activités de base que nous effectuons (manger, dormir, travailler). Nous devons tous faire des choix et ceux-ci pourront influencer le type de déplacement que nous effectuons (ex. : chaine de déplacement, déplacement sur un grand ou un petit territoire, etc.) (Dijst 1999). En dépit du fait que les aînés ne sont plus sur le marché du travail, ceux-ci ont tout de même des contraintes de temps en raison d’une part de leurs capacités physiques qui tendent à diminuer, mais aussi des choix qu’ils font à mesure que déclinent celles-ci. Par exemple, une vitesse de marche moindre, la perte d’un permis de conduire ou d’un conjoint qui donnait accès à une voiture, mais aussi les choix du moment de déplacement résultant d’une crainte d’être bousculé et de tomber aux heures de pointe (Clément, Mantovani, et Membravo 1998) peuvent restreindre l’espace d’action d’un aîné. Ainsi, le capital de mobilité qu’a acquis une personne le rendant compétent, mobile et motile8F

9

sera compromis lorsqu’il se trouvera fragilisé (Lord, Joerin, et Thériault 2009). Sa capacité d’adaptation, ou le choix ou non de le faire, aura un impact sur son sentiment de « chez-soi » dans son quartier. Il apparaît en outre que c’est la crainte de perdre cet espace de mobilité que redoutent le plus les aînés de banlieues qui sont autodépendants. Car la perte de cette relation entretenue avec l’espace (Lord, Després, et Ramadier 2011) serait en fait le signe d’une perte symbolique d’indépendance et d’autonomie et donc ce que signifie vieillir, et évidement à

9

Le concept de motilité, lui-même définit comme un potentiel de mobilité, comporte 3 dimensions :

l’accessibilité, la compétence et l’appropriation. Pour précisions consultez les travaux de Kaufmann 2002 ; 2008 ; Kaufmann et al. 2004 ; in Lord et al. 2009)

l’implication identitaire qui en découle dans nos sociétés fortement motorisées. Ainsi, en raison de l’identité sociospatiale qu’il s’est développé à travers le temps, il serait plus aisé pour un aîné d’adapter à la baisse ses habitudes de mobilité et activités quotidiennes dans un quartier qu’il connait et de déménager à l’intérieur de ce même quartier que de déménager dans un autre, même si les services y sont plus abondants et plus adaptés à sa condition (Lord, Després, et Ramadier 2011).