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Chapitre  1.   LES AÎNÉS EN RELATION AVEC L’ENVIRONNEMENT : PROBLÉMATIQUE

1.4   La participation et le design participatif 21

1.4.3   Le design participatif sous l’œil de la discipline du design 26

D’entrée de jeu, il est intéressant de noter qu’à même la discipline du design, l’approche participative ne constitue pas la norme. Par ailleurs, les termes co-création, co-

design et design participatif font référence à des concepts similaires, imbriqués l’un dans

l’autre, mais qui sont souvent utilisés de manière indifférenciée en design (Sanders et Stappers 2008). D’ailleurs Elisabeth Sanders, chercheuse-praticienne phare en co-design, a effectué une carte cognitive permettant de situer de différentes approches utilisées dans la discipline du design à l’aide de 2 dimensions clés qui déterminent d’abord si les approches sont issues de la recherche (reseach-led) ou si elles sont issues de la pratique en design (design-led). Deuxièmement, cette carte cognitive stipule que ces approches peuvent être issues de deux paradigmes ou culture du design très différents: voyant l’expert comme central au développement d’objets (expert mindset) ou encore voyant l’usager comme primordial au développement de ceux-ci (partcipatory mindset), comme les usagers sont considérés comme les experts de leur propre expérience (Sanders 2006, p. 5) (figure 4), de la même manière que Sanoff le décrit.

Figure 4. Cartographie des diverses approches en design (Sanders 2006) (adaptation et traduction libre)

Ce faisant, la cartographie de Sanders permet aussi d’extrapoler que le rôle du designer tend à se transformer avec le temps, en fonction de l’attitude que celui-ci adopte envers l’usager de l’objet du design (« end-user »), mais aussi en fonction de l’objet de son processus de design en lui-même, lequel serait aussi en changement. Alors que le designer ou la discipline du design effectuait auparavant presque exclusivement de la création et conception de produits, il tend actuellement à effectuer le design de services et d’expériences en fonction des besoins des gens, et même à se questionner s’il y a lieu ou non de développer ceux-ci, ce qui le distancie de plus en plus de l’univers de la consommation où il a longtemps été campé (Redström 2006; Sanders et Stappers 2008). Et comme le souligne Anuar et Saruwono, « [d]esigner’s job is no longer to produce unalterable solutions » (Anuar et Saruwono 2012). C’est donc le designer qui devient le facilitateur (non pas le professionnel de X ou Y comme l’a proposé Forester cinquante ans auparavant), étant responsable de mener un processus de design en faisant en sorte que l’usager se retrouve dans les meilleures conditions pour fournir toute l’information nécessaire au designer et qu’éventuellement il soit lui-même co-designer,

en fonction de ses capacités et des ressources mises à sa disposition (Mattelmäki 2008; Sanders et Stappers 2008; Sanders 2013; Sanders et Stappers 2014). Sanders soutient par ailleurs que tout individu est capable de créativité, mais que celle-ci s’exprime à différents niveaux. Selon elle, un individu exprime de la créativité en faisant simplement un acte tel que plier du linge (faire-doing). C’est pour elle un mode d’expression et de créativité, car cet individu est en mouvement pour faire une action prescrite. Il atteint un deuxième niveau de créativité lorsqu’il adapte un objet (adapting), par exemple lorsqu’il coud un morceau de tissus de couleur différente sur son jeans. Troisièmement, un individu est créatif lorsqu’il suit une série d’étapes prescrites pour, par exemple, faire un gâteau en suivant une recette (making). Le quatrième niveau de créativité est atteint lorsque quelqu’un arrive à créer lui- même une recette sans se baser sur une recette prescrite (creating) (Sanders et Simons 2009). Il revient donc au designer de fournir les outils et méthodes pour que cette facilitation s’effectue, mais là n’est que la pointe de l’iceberg de son véritable rôle, car sa propre vision du processus de DP est aussi centrale.

Tout d’abord, ce qui distingue l’approche du DP de la participation du public de manière générale est sans contredit le moment où la participation a lieu. Un schéma de Sanders (figure 5, p.29) qui illustre les étapes du processus de design nous permet de conceptualiser la participation et l’implication d’usagers grâce à un continuum à travers le temps qui en dit long, implicitement, sur le pouvoir que les experts ou professionnels veulent bien donner aux premiers. Les niveaux de pouvoir délégués selon Arnstein prennent alors une dimension bien différente.

En fait, alors que certains auteurs soutiennent que les objectifs de processus de DP doivent être déterminés « dès le départ » pour que toutes les parties prenantes y trouvent leur compte (Who? What ? Where? How? When ? (Sanoff 2008, p. 62; Chilvers 2009, p. 405)). Sanders constate pour sa part une relation entre les objectifs des professionnels et le moment, à l’intérieur d’un processus traditionnel de design, qui devra être choisi pour effectuer du design participatif (réf. figure 5). Ce moment d’implication des usagers étant d’ailleurs cité comme une des limites au DP, encourageant même parfois les conflits ou réduisant la motivation des participants (Anuar et Saruwono 2012). Ainsi selon Sanders les objectifs sont clés, révélateurs

de l’attitude des professionnels, et entraineront nécessairement des résultats différents. Sanders parle de différents niveaux de « co-création de valeur » (traduction libre de co-creation of

value). Selon cette lecture, si le DP est réellement envisagé comme une attitude (« mindset »),

nécessairement les objectifs de design seront de l’ordre de « l’amélioration de la qualité de vie » ou de la « durabilité environnementale » afin d’atteindre de véritables transformations et ultimement l’atteinte du bonheur. Les gens impliqués seront considérés comme des partenaires ou des participants. Le DP sera alors davantage utilisé dans les phases préliminaires de design (« fuzzy front end » - questionnements, recherche, etc.) (réf. figure 5 p. 30). On dit alors que la « création de valeur » de cet exercice sera d’ordre social ou sociétal. Si par contre le DP est envisagé comme une méthode ou encore comme une approche de travail, les objectifs risquent de se diriger vers l’atteinte d’expériences positives, la personnalisation des produits et d’expériences pour faire en sorte que ceux-ci soient plus adéquats en fonction des besoins et volontés des gens. Il sera alors plus profitable d’utiliser le DP lors de la phase de design à proprement parler. Le niveau de création du processus de co-création sera de l’ordre de l’amélioration de l’utilisation de ce produit ou service ou de l’expérience de celui-ci. Enfin, si le DP est considéré comme un coffre à outils de techniques et que les objectifs sont d’ordre d’amélioration de la production de produits ou de services afin de constater rapidement des effets sur le marché, le DP devra être mis en place au cours des phases finales du processus de design et même après la vente du produit. Le DP constituera par exemple une manière de développer davantage ce dernier et d’améliorer les stratégies de marketing. À ce niveau, c’est davantage de la valeur monétaire (financière) qui sera créée (Sanders 2013). Botero et Hyysalo ajoutent quant à eux que la co-création ne survient pas uniquement à l’intérieur du processus reconnu de design, mais s’exerce aussi à divers moments et peuvent amener à de la création de valeur de toute sorte : « Most extended co-design takes place with social media

services, lead users, geek communities, and other technically savvy and design-disposed people. » (Botero et Hyysalo 2013, p. 38.) Ceux-ci font notamment référence au « design-in- use » à la « co-realisation » au « Metadesign » ou à la « co-configuration » (Botero et Hyysalo

2013) qui sont plus courants en technologie de l’information où sur des plates-formes sont très ouvertes pour tous ceux qui connaissent et maitrisent bien un langage de base ; que ce soit la programmation ou simplement la manière d’insérer une citation sur Wikipédia par exemple, à la manière d’un traitement de texte.

Figure 5. Mise en relation du niveau de co-création de valeur et du processus de design conceptualisé par Sanders

Par ailleurs, Sanders souligne que le DP réfère à un lot très important de techniques et d’outils qui ne correspondent pas toujours à la mentalité (« mindset ») à laquelle l’approche origine au départ (Sanders 2013; Sanoff 2007). Il apparaît donc important d’y être sensible lorsqu’on effectue des recherches à ce sujet, notamment lors de la sélection d’outils de travail.

D’autres auteurs abondent dans le sens d’une certaine création de valeurs, sans explicitement la nommer comme telle. En effet, Luck soutient que le véritable DP a une dimension humaine et constitue une approche qui illustre que le design est un processus social en soi, allant au- delà de ce qu’on lui attribue généralement et au rôle du designer en lui-même (2003). Pour leur part, Abrassart et ses collaborateurs réfèrent à un « design social, opérant une extension

du domaine du design des objets industriels aux enjeux et problèmes de société ainsi qu’aux modalités du « vivre ensemble » (Abrassart et al. 2015, p. 117). En fait, selon eux, grâce au

« design thinking9F

10 », « [e]n codesign, le raisonnement a donc lieu par le design (création

d’un prototype de produit ou de service par abduction) et par le social (dynamique d’action collective médiatisée par le codesign) p. 122 ».

De par la nature transdisciplinaire du domaine de l’aménagement, et dans ce cas spécifique, du design, les trois types d’objectifs ou de création de valeur escomptée par Sanders sont aussi transposables en urbanisme, de même que la nécessité d’être lucide quant au moment d’implantation propice d’un processus de design lors de la conception ou du réaménagement d’un environnement. Ils peuvent ainsi nous aider à guider nos choix méthodologiques.

Sans oublier les critiques qui lui sont adressées, notamment en terme de représentativité et des ressources considérables que les processus participatifs impliquent (Chilvers 2009; Anuar et Saruwono 2012), il est temps, selon Whyte, d’abandonner les recherches qui tentent uniquement de déterminer si les processus participatifs sont « productifs » ou non. Il serait ainsi préférable d’effectuer des études systématiques qui analysent des projets dans l’objectif d’identifier les facteurs, les situations, les structures organisationnelles dans lesquels ils se déploient, les types de processus qui mènent à des projets participatifs satisfaisants pour les participants et qui augmentent la performance à la tâche (Whyte 1991). Chilvers mentionne

pour sa part que des recherches méritent d’être menées pour déterminer si, et comment, les processus participatifs « (…) leads to transformations in participants’ identities, knowledge,

values, and competencies (Petts 1997; Davies et Burgess 2004) as well as changes in their environmental behaviour and action » (in Owens 2000). Voyons maintenant comment ces

données issues de la littérature peuvent se transposer en urbanisme et en aménagement auprès d’aînés.