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Chapitre  1.   LES AÎNÉS EN RELATION AVEC L’ENVIRONNEMENT : PROBLÉMATIQUE

1.4   La participation et le design participatif 21

1.4.2   Le design participatif comme notion, technique de travail, mouvement théorique ou

Henry Sanoff, urbaniste-praticien et théoricien américain, est identifié comme une référence en community design (Toker 2007). En effet, celui-ci implique depuis longtemps des citoyens et des travailleurs dans des processus concernant l’aménagement ou de réaménagement d’environnements. Il propose une définition de son outil de travail – ce qui constitue selon lui le design participatif (DP): « Participatory design is an attitude about a

force for change in the creation and management of environments for people. » (Sanoff 2007,

2008). Le DP tire ses origines de stratégies mises en place pour des travailleurs dans les années soixante-dix pour qu’ils en arrivent à comprendre et maitriser d’une manière plus optimale leurs outils de travail (Bratteteig et Wagner 2012). Comme il est question de « design », cette définition introduit entre autres la notion de création. Selon Reich et ses collègues : « Design is any purposeful activity aimed at creating a product or process that

changes an environment or organisation » (1996). Par conséquent, lorsqu’on jumèle design et

participation du public ou de l’usager d’un produit ou d’un service (et éventuellement, d’un environnement), l’acte de création n’appartient plus uniquement à l’artiste ou au spécialiste, elle se démocratise. D’autre part, en tant qu’attitude à adopter, le design participatif constitue plus qu’un mouvement théorique ou un courant de pratiques et il permet de transcender les barrières professionnelles et culturelles habituellement difficiles à traverser (Sanoff 2007;

Sanders 2013; Lee 2008). Chose notable, les disciplines (chercheurs comme praticiens (Chilvers 2008)) qui utilisent la notion de design participatif (ex. : design industriel, urbanisme, géographie, management, technologies de l’information, participatory action

research (PAR) (Sanoff 2007)) ne partagent pas toutes la même définition de ce que celui-ci

constitue et ne réfèrent pas nécessairement à leurs collègues homologues pour s’en inspirer. Toutefois, dans tous les cas, ses promoteurs s’entendent pour dire que chaque participant à une activité dite « participative » détient une expertise à propos de ses besoins (voire ses rêves) et que sa contribution est essentielle afin de trouver et mettre en place des solutions aux problématiques initiatrices de ce genre de démarches (Sanoff 2007; Sanders 2012, p 29-30, traduction libre). Ce qui rejoint notre préoccupation de considérer les aînés comme les principaux « experts » de leur expérience d’individus vieillissants.

Lee reprend pour sa part le cadre analytique de Lefebvre (1970) issu du courant moderniste pour expliquer la séparation de pouvoirs qui a longtemps existé entre les professionnels et les simples citoyens. Le monde moderne, divisé en deux espaces « sociaux spatiaux »: l’un abstrait dans lequel les experts travaillent et évoluent et l’autre concret dans lequel les « simples » individus (« people ») vivent. Ce paradigme faisait à l’époque en sorte que le commun des mortels était considéré comme passif ou réactif et tous étaient traités davantage comme des sujets pouvant fournir de l’information aux experts. Lee soutient que le design participatif est devenu possible suite à la rencontre de ces deux « mondes », grâce à la collaboration et l’implication des deux populations, dans un espace qu’il qualifie de « domaine de collaboration » (realm of collaboration in Lee 2007; Lee 2008). L’intérêt de ce modèle est qu’il schématise la place du design participatif, de la participation publique et de la participation communautaire, ce qui permet de les distinguer les uns des autres et de préciser comment ils s’articulent. La participation publique s’opérant dans le monde des experts (où les gens seraient plutôt consultés sans être vraiment impliqués) et la participation communautaire dans le monde des individus (où ceux-ci sont maîtres des changements qu’ils introduisent avec, ou non, le support de professionnels). Par le design participatif, les professionnels contribuent avec leur expertise technique et leur savoir analytique alors que l’individu usager donne une rétroaction et des idées (Anuar et Saruwono 2012) (figure 3).

Figure 3. Trois modes de participation et le domaine de la collaboration

(adaptation et traduction libre de Lee (2008) p. 33)

Or, en urbanisme, on reproche à l’approche communicationnelle de se concentrer davantage sur la perspective du professionnel et sur ce qu’il doit ou ne doit pas faire plutôt que de réfléchir sur les besoins spécifiques d’un environnement et le contexte dans lequel l’urbaniste se trouve (Fainstein 2000). Aussi, est-ce que la recherche de consensus est suffisante et ne peut-elle pas mener à des dérives (Chilvers 2009)? En effet, le consensus n’est pas libre de pression sociale et mène souvent à une solution acceptée par tous plutôt qu’une solution

adaptée à tous. Cette approche ne considère pas non plus les choix injustes qui peuvent

résulter de processus délibératifs et ne considère pas non plus qu’une approche paternaliste peut en venir à des résultats concluants, tant par rapport à son adéquation sur l’environnement que pour les gens qui l’utilise (Fainstein 2000). Suite à une analyse des limites du modèle délibératif mis en œuvre dans les institutions, Ferroudji soutient qu’ « une attention plus

soutenue mériterait d’être portée aux dispositifs […] qui accordent […] une place à l’exploration de la créativité (2011). » Ainsi, avec l’intention de répondre aux limites

soulevées, il ressort de la documentation que la discipline du design apparaît fort à propos pour analyser l’acte du design participatif en raison de son caractère générateur plutôt que réactif, son ouverture à l’innovation sociale grâce à l’apprentissage par l’erreur et l’expérimentation par projets (Manzini 2015) et enfin de la perspective transdisciplinaire qu’elle peut nous permettre d’adopter.

Enfin, comme abordé en première partie de cette section sur la participation, si les travailleurs sont les mieux placés pour arriver à comprendre et mieux maitriser leurs outils de travail, n’en est-il pas de même pour les aînés dans leur propre territoire de mobilité ? De la même manière, l’urbaniste ne devrait-il pas conserver son rôle d’expert plutôt que de facilitateur ? Aussi, il serait intéressant de mettre ces deux groupes en contact pour arriver, d’une part, à déterminer le niveau optimal entre stress et stimulation de l’aîné par rapport à l'environnement. D’autre part, cette mise en contact pourrait constituer une occasion pour venir à trouver un juste milieu entre l'évaluation objective des experts et l’expérience subjective des aînés. Examinons maintenant le DP sous l’œil de la discipline de design, afin d'établir de quelle manière elle pourrait nous être utile dans le cadre de notre recherche.