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L’exécution forcée contre le settlor A. Asset Protection

Dans le document Journée 2007 de droit bancaire et financier (Page 147-152)

les trusts et l’exécution forcée en suisse

IV. L’exécution forcée contre le settlor A. Asset Protection

L’expression “asset protection” désigne l’organisation par un particulier de ses affaires et de ses biens, afin de les mettre à l’abri contre la survenance de cer-tains risques. Ce but peut être atteint par tout type de moyens ou structures permettant d’ôter des avoirs à l’emprise immédiate de créanciers, notamment par la constitution d’un trust. Qu’il s’agisse d’une finalité recherchée ou non, tout trust intègre implicitement une composante d’asset protection. En transférant ses avoirs dans un trust en faveur de bénéficiaires, le settlor les soustrait en effet de facto à ses créanciers. En particulier, un trust discrétionnaire irrévocable dans lequel le settlor ne s’est pas réservé de pouvoirs et dont il n’est pas l’un des bénéfi-ciaires est généralement un moyen efficace dans cette perspective.

L’essor des “asset protection trusts”, ainsi nommés, remonte à la fin des an- nées 80. Ils ont été induits par les nombreux procès en responsabilité aux Etats-Unis qui ont souvent débouché sur des punitive damages. Ces trusts ont subitement connu un succès phénoménal, alors qu’ils ne présentaient aucune nouveauté si ce n’est leur contexte. Par la suite, de nombreuses juridictions off-shore ont introduit une législation spéciale destinée à accueillir, voire encoura-ger de tels trusts. Certaines juridictions, comme les Iles Cook ou les Bahamas, ont édicté des règles particulièrement minimalistes en matière de protection des créanciers0.

L’aspect de protection des trusts offshore connaît aujourd’hui encore des développements. En témoignent, par exemple, les projets de réforme à Jersey et Guernsey qui visent à faire obstacle à la reconnaissance de décisions étrangères lorsque celles-ci reposent sur le principe dit de “comity” (comitas gentium, cour-toisie internationale)1.

Thomas G., Chapter , in Glasson J. (édit.), The International Trust, Bristol (Jordans) 2002, p. 33.

Thévenoz (n. 32), p. .

Ces juridictions ont, ce faisant, modifié ou assoupli le Statute of Elisabeth de 11, qui sanc-tionne assez strictement les dispositions faites en vue de léser les créanciers (fraudulent convey-ances). Cf. infra IV/B.

0 S. 13b International Trusts Act 14 (as amended) (Cook Islands) ; Fraudulent Dispositions Act 11 (Bahamas).

1 Cf. notamment l’affaire Re the B Trust [200] JRC 1, dans laquelle les tribunaux de Jersey ont accepté de reconnaître une décision anglaise ayant pour effet de modifier un trust de Jersey à l’avantage de l’épouse du settlor à la suite d’une procédure de divorce en Angleterre.

B. Remèdes des créanciers selon le droit étranger

La constitution d’un trust peut léser divers types de créanciers, qu’il s’agisse de tiers ou de membres de la famille du settlor frustrés dans leurs prétentions ma-trimoniales ou successorales. Ils peuvent tenter de remettre en cause le trust, res-pectivement le transfert des biens au trustee, par divers moyens fondés sur le droit étranger applicable. Il convient de déterminer lesquels peuvent être invoqués de-vant un juge suisse et dans quelles circonstances.

Conformément à l’art. 149b al. 1 LDIP, lorsque l’acte du trust comporte une prorogation de for exclusive et valable en faveur d’un tribunal étranger, celui-ci sera seul compétent pour connaître des “affaires relevant du droit des trusts”, notion qui se recoupe largement avec le champ d’application de la Convention2. Dans une telle hypothèse, les moyens qui peuvent être soulevés par le créancier d’un settlor devant un tribunal suisse, compétent sur la base de la Convention de Lugano ou de la LDIP, sont limités. Ils ne peuvent porter que sur des aspects qui ne relèvent pas du droit des trusts, respectivement de la Convention. Il en va notamment ainsi des erreurs de mise en place du trust. En effet, conformément à son art. 4, la Convention ne s’applique pas aux questions préliminaires relatives à la validité des testaments ou d’autres actes juridiques par lesquels des biens sont transférés au trustee3. Relève, par exemple, de celles-ci le défaut de capacité du settlor pour constituer le trust4. Il en va apparemment de même de la question de la validité du transfert de la propriété au trustee, qui doit ainsi s’examiner à la lumière de la loi désignée par les règles de conflit du for.

Lorsque la prorogation de for est faite en faveur d’un tribunal suisse ou que sa compétence est donnée sur la base de l’art. 149b al. 3 LDIP, les attaques peuvent également porter sur des aspects relevant du droit des trusts, respectivement de la Convention. Le créancier peut contester en particulier la validité du trust, confor-mément à l’art. 8 al. 1 de la Convention. Celui-ci peut notamment être remis en cause au motif qu’il s’agit d’un acte simulé (sham), par exemple parce que le settlor et le trustee n’avaient pas la réelle intention d’établir un trust.

Ces quelques considérations illustrent bien la difficulté qu’il y a à définir le champ d’application de la Convention. Distinguer entre les questions prélimi-naires liées à la validité de l’acte constitutif du trust et celles qui se rattachent

2 Message (n. 13), p. 03.

3 On associe souvent à cette problématique l’image du lanceur (rocket launcher), représentant l’acte juridique constituant le trust, et de la fusée (rocket), représentant le trust lui-même. Cf. notam-ment cet égard Von Overbeck (n. ), p. 31, § 3.

4 Harris (n. 11), p. 11.

Harris (n. 11), p. 4 ; von Overbeck (n. ), p. 31, § 4 ; Message (n. 13), p. 02.

Cf. supra I/A.

à la validité du trust lui-même est un exercice complexe, mais néanmoins né- cessaire.

Relevons enfin que les divers droits étrangers contiennent la plupart du temps des règles réprimant les dispositions faites en vue de léser des créanciers. Le Statute of Elisabeth de 1571, évoqué précédemment, sanctionne de façon assez large de telles fraudulent conveyances. Il a été remplacé en Angleterre par l’Insol-vency Act 1986, mais demeure applicable dans certaines juridictions de com-mon law qui ne l’ont pas abrogé et/ou remplacé. Diverses juridictions offshore ont adopté des dispositions modernes visant à modifier et assouplir les règles du Statute of Elisabeth, sans toutefois abolir le principe de base. Comme déjà exposé, les réglementations des centres financiers offshore offrent une protection variable aux créanciers, certaines ayant été jusqu’à la restreindre à un minimum, à l’instar des îles Cook ou des Bahamas. Les règles sur la protection des créanciers tirées d’un droit étranger peuvent éventuellement être invoquées devant un tribunal suisse, par hypothèse compétent, lorsque les règles de conflit du for mènent à l’ap-plication de ce droit0. Elles ne peuvent en revanche trouver application dans le cadre strict d’une procédure d’exécution forcée entreprise selon le droit suisse1. Notre ordre juridique dispose de ses règles propres en matière de protection des créanciers dans ce contexte, aux art. 285 ss LP.

C. L’action révocatoire du droit suisse

L’action révocatoire, régie par les art. 285 ss LP, permet aux créanciers du settlor de faire révoquer à certaines conditions le transfert de la propriété de ses biens au trustee. Elle peut être dirigée contre le transfert initial des avoirs au trust, lors de sa création, ou contre un transfert de biens subséquent. S’agissant d’un moyen prévu par la LP, elle s’inscrit nécessairement dans le cadre d’une procédure d’exé-cution forcée suisse dirigée contre le settlor. Cela suppose soit l’existence d’un for de la poursuite en Suisse, soit une requête en reconnaissance d’une décision de faillite étrangère (cf. art. 166 ss LDIP, en particulier art. 171 LDIP).

L’action révocatoire vise à remettre le patrimoine du débiteur dans l’état dans lequel il se trouvait avant l’accomplissement de l’acte révocable et à soumettre les

Cf. supra IV/A.

Cf. notamment s. 340 Insolvency Act 1 (UK) qui sanctionne les transactions at undervalue.

Cf. supra IV/A.

0 Pour autant probablement que ces règles ne relèvent pas du pur droit de l’exécution forcée de la juridiction étrangère en question.

1 A cet égard, cf. Thévenoz (n. 32), p. .

biens qui en ont fait l’objet à l’exécution forcée en faveur de ses créanciers2. La révocation est soumise à deux conditions : le débiteur doit avoir accompli un acte révocable au sens des art. 286 à 288 LP et cet acte doit avoir causé un préjudice aux créanciers3.

La constitution d’un trust représente une libéralité du settlor au sens de l’art. 286 LP, si elle intervient sans contrepartie4. Pour tomber sous le coup de cette disposition, le transfert initial des avoirs au trust ou tout transfert subsé-quent doit avoir été fait par le débiteur dans l’année qui précède la saisie ou la déclaration de faillite. Ces actes peuvent par ailleurs constituer des actes révo-cables au sens de l’art. 288 LP, relatif au dol, s’ils sont intervenus dans les cinq ans qui précèdent la saisie ou la déclaration de faillite dans l’intention reconnais-sable par l’autre partie de porter préjudice aux créanciers ou de favoriser certains créanciers au détriment des autres. Ce cas de révocation est plus difficile à établir, puisqu’il implique la preuve que le trustee a reconnu l’intention du settlor de léser ses créanciers et qu’il a néanmoins accepté le transfert des biens.

L’action révocatoire vise à réparer le préjudice subi par les créanciers, non pas de façon générale, mais spécifiquement dans le cadre de la procédure d’exécu-tion forcée. Un tel préjudice existe si le créancier est porteur d’un acte de défaut de biens provisoire ou définitif à la suite d’une poursuite infructueuse contre le settlor ou, alternativement, si le settlor fait l’objet d’une faillite, car il est pré-sumé dans ce cas que les créanciers ne seront pas intégralement désintéressés (cf.

art. 285 al. 2 LP).

La qualité pour intenter l’action révocatoire ne pose pas de problème parti-culier. Elle est régie par l’art. 285 al. 2 LP. Quant à la qualité pour défendre, ou plus justement la légitimation passive, l’art. 290 LP la confère aux “personnes qui ont traité avec le débiteur ou qui ont bénéficié d’avantages de sa part, contre leurs héritiers ou leurs autres successeurs à titre universel et contre les tiers de mauvaise foi”. Dans le contexte des trusts, la détermination de cette légitimation est une question relativement complexe, du fait de la coexistence du legal interest du trustee et de l’equitable interest des bénéficiaires. Dans la mesure où le trustee s’est vu transférer le legal title sur les biens en trust et qu’il en est le légitime pro-priétaire, il doit se voir reconnaître la position de défendeur à l’action, ce quand

2 Gilliéron P.-R., Poursuite pour dettes, faillite et concordat, 4e éd., Bâle (Helbing & Lichtenhahn) 200, p. 44, N 21.

3 Gilliéron (n. 2), N 2.

4 Thévenoz (n. 32), p. .

Cf. titre marginal de la disposition.

Gilliéron P.-R., Commentaire de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite, Lausanne (Payot) 2003, art. 20, N ; Peter H., art. 20 LP, in Dallèves L., Foëx B., Jeandin N. (édit.), Commentaire romand, Poursuite et faillite, Bâle (Helbing & Lichtenhahn) 200, N 40.

Thévenoz (n. 32), p. 1.

bien même il ne tire pas directement bénéfice de l’acte révocable. Il en va de même des bénéficiaires qui ont reçu des distributions.

Hors hypothèse de la révocation d’une distribution déterminée, une recon-naissance générale de la qualité pour défendre des bénéficiaires est plus problé-matique, compte tenu de la grande variété d’interests dont ils peuvent jouir. Leurs prérogatives peuvent aller de simples expectatives dans le cadre d’un trust discré-tionnaire à des droits fixes et prédéterminés dans un fixed interest trust. De tels droits peuvent en outre avoir des objets divers, comme les revenus ou le capital du trust ou encore la jouissance des biens qui le composent. Si l’on ne peut exclure leur qualité pour défendre, celle-ci ne pourra néanmoins être accordée, le cas échéant, que moyennant un examen approfondi de l’interest en cause0.

Le for judiciaire de l’action révocatoire est régi par l’art. 289 LP. Elle peut être intentée au domicile du défendeur en Suisse et, à défaut, au for de la saisie ou de la faillite. Lorsque le défendeur est à l’étranger, le créancier pourra donc introduire son action au for de la poursuite ouverte contre le settlor conformément aux tra-ditionnels art. 46 ss LP. On relèvera incidemment que la Convention de Lugano n’est pas applicable à la détermination du for de l’action révocatoire dans le cadre de la faillite1.

Si l’action révocatoire aboutit, elle aura pour effet, selon l’art. 291 LP, de contraindre “à restitution” celui qui a profité de l’acte nul. La lettre de la loi n’est toutefois pas exacte. Il ne s’agit pas tant de réclamer au défendeur la restitution des biens concernés que de le contraindre à tolérer l’exécution forcée sur les biens en trust. Ceux-ci seront réalisés comme s’ils faisaient encore partie du patri- moine du débiteur2. L’action a dès lors principalement un intérêt lorsque les biens concernés se trouvent sur le territoire suisse.

Cf. notamment Schüpbach H.-R., Droit et action révocatoires : commentaire des articles 285 à 292 de la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite du 11 avril 1889 modifiée le 16 décembre 1994, Bâle (Helbing & Lichtenhahn) 1, art. 20, N 40-4, qui reconnaît la légitimation passive à celui qui a traité avec le débiteur sans pour autant être le bénéficiaire de l’acte, si sa participation à l’acte révocable atteint une certaine intensité.

Thévenoz (n. 32), p. 1.

0 A noter en outre qu’il existe des divergences dans la doctrine sur la qualification en droit suisse de l’equitable interest des bénéficiaires, tantôt considéré comme un droit réel limité, tantôt comme un simple rapport de créance à l’égard du trustee. Ces incertitudes se répercutent sur la problé-matique de la qualité pour défendre des bénéficiaires à l’action révocatoire.

1 ATF 131 III 22.

2 ATF 1 III 102, JdT 1 II 20 ; Gilliéron (n. 2), p. 43, § 23 ; Staehelin A., art. 2, in Staehelin A., Bauer T., Staehelin D. (édit.), Kommentar zum Bundesgesetz über Schuldbetreibung und Konkurs, Bâle (Helbing & Lichtenhahn) 200, N .

Dans le document Journée 2007 de droit bancaire et financier (Page 147-152)