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Chapitre I : sources juives : l’image du paradis dans le cadre de l’eschatologie . 15

II. Dans l’Ancien Testament

2.4. L’eschatologie juive et l’ère messianique

L’originalité de l’eschatologie juive est d’être placée dans une perspective historique tournée vers un avenir transcendant. La vie éternelle est exprimée par l’attente de l’ère messianique, du Messie chargé de libérer Israël dans la perspective de la cité céleste2. L’existence d’un Messie devient un élément essentiel de l’espérance messianique dans le judaïsme rabbinique3. Ainsi dans l’Ancien Testament, l’attente eschatologique repose sur l’espérance du Dieu à venir. Cette espérance s’exprime par quatre grandes notions : 1. L’expression « Jour de Yahvé » : « Il est proche, le jour de Yahvé, formidable ! Il est proche, il vient en toute hâte !... Jour de fureur, ce jour-là ! Jour de détresse et de tribulation, jour de désolation et de dévastation, jour d’obscurité et de sombres nuages, jour de nuées et de ténèbres, jour de sonneries de cor et de cri de guerre » (So 1,14-16) ; (Jl 2,1-2 ; Za 14,1). 2,1-2. Les justes rescapés ou le petit reste, noyau du futur Israël, épargnés par la colère de Dieu comme le montre Isaïe : « Ce jour-là, le Seigneur, le tout-puissant, sera la couronne éclatante, le diadème et la parure du reste de son peuple » (Is 28,5). 3. Le grand tournant eschatologique marqué par le changement du destin et la restauration de Juda et de Jérusalem : « Oui, précisément en ce temps-là, lorsque je restaurerai Juda et Jérusalem » (Jl 4,1). 4. La fertilité paradisiaque : « Et la terre, elle, répondra par le blé, le vin nouveau, l’huile fraîche » (Os 2,24) ; ou encore Amos au chapitre 9,13 : « Voici venir des jours – oracle de Yahvé – où se suivront de près laboureur et moissonneur, celui qui foule les raisins et celui qui répand la semence. Les montagnes suinteront de jus de raisin, toutes les

1 MINOIS, G., « Le jugement des morts », Encyclopédie des religions, sous la direction de Frédéric LENOIR et Ysé TARDAN-MASQUELLER, Paris, Bayard Éditions, 1997, p. 1905-1909.

2 MASSON, D., Le Coran et la révélation judéo-chrétienne. Études comparées, p. 696-697.

collines deviendront liquides » 1. D’emblée, les prophètes entrevoient le renouvellement de toutes choses et une création nouvelle. Par exemple, la fin du recueil du prophète Isaïe (chapitres 65 et 66) décrit les modalités de ce jugement qui implique notamment la création de « nouveaux cieux » et d’une « nouvelle terre », dont seront absentes la maladie, la misère et la mort (Is 65,17-25). La foi de l’Ancien Testament est caractérisée par l'intervention future et décisive de Dieu à l’égard de son peuple sous deux aspects : l’un destructeur, l’autre constructeur. Autrement dit, une fois le châtiment passé, le monde va être transformé2.

Selon les textes bibliques le jour du jugement dernier est précédé et annoncé par divers événements eschatologiques.

2.4.1. Les signes cosmiques

Le jugement dernier est un jour de ténèbres précédé par une grande calamité, une éprouvante catastrophe comme le montre Amos vers 750 : « Malheur à ceux qui soupirent après le jour de Yahvé ! Que sera-t-il pour vous le jour de Yahvé ? Il sera ténèbres et non lumière … il est obscur et sans clarté ! » (Am 5,18-20). Il est caractérisé par des perturbations cosmiques : « il [l’homme] s’en ira dans les crevasses des roches et dans les fentes des falaises, devant la Terreur de Yahvé, devant l’éclat de sa majesté quand il [Yahvé] se lèvera pour faire trembler la terre » (Is 2,21).

2.4.2. La résurrection collective

Les textes relatifs à la résurrection font allusion à une sorte de réveil national : « Un grand nombre de ceux qui dorment au pays de la poussière s’éveilleront, les uns pour la vie éternelle, les autres pour l’opprobre, pour l’horreur éternelle » (Dn 12,2). Mais Ézéchiel (37,1-14) et Isaïe désignent une sorte régénération : « Tes morts revivront, tes cadavres ressusciteront. Réveillez-vous et chantez, vous qui habitez la poussière… » (Is 26,19). La rétribution après la mort et sa réalisation par la résurrection des morts constituent un élément fondamental du judaïsme3.

1CASPAR. R., « Eschatologie », Dictionnaire des religions, sous la direction de Paul Poupard, Paris, Quadrice / Dicos-poche, 2007, p. 626-627.

2 Ibid., p. 626-627.

2.4.3. Le rassemblement et le jugement

Le jour du jugement dernier rassemble des hommes de toutes les nations. Le livre de la Sagesse le désigne comme le jour de la sentence ou de la décision : « s’ils meurent tôt, ils n’auront pas d’espérance ni de consolation au jour de la Décision » (Sg 3,18). Le son du cor est employé pour convoquer le peuple comme chez Isaïe : « Et il arriva qu’en ce jour-là on sonnera du grand cor ; alors viendront ceux qui se meurent au pays d’Assur, et ceux qui sont bannis au pays d’Égypte, ils adoreront Yahvé sur la montagne sainte, à Jérusalem » (Is 27,13). Le son du cor est utilisé pour avertir d’un danger, comme en Joël : « Sonnez du cor à Sion, donnez l’alarme sur ma montagne sainte ! Que tous les habitants du pays tremblent, car il vient le jour de Yahvé, car il est proche ! » (Jl 2,1). La Bible accorde à Yahvé la prérogative de juge. Dieu est le justicier, le meilleur décideur, le témoin par excellence du comportement des hommes : « Je m’approcherai de vous pour le jugement et je serai un témoin prompt contre les devins, les adultères et les parjures, contre ceux qui oppriment le salarié, la veuve et l’orphelin, et qui violent le droit de l’étranger, sans me craindre, dit Yahvé Sabaot » (Mal 3,5). Dieu apparaît assis entouré des anges dans Isaïe « … Je vis le Seigneur assis sur un trône grandiose et surélevé. Sa traîne emplissait le sanctuaire. Des séraphins se tenaient au-dessus de lui… » (Is 6,1-2, cf. Éz 10,1).

2.4.4. La pesée des actes

Le jugement dernier se fait sous forme de reddition des comptes1. Les actes inscrits dans les livres célestes sont pesés sur une balance2, symbole de la justice3. Dans le premier livre de Samuel, Dieu pèse les actions des hommes. Au psaume 139,16, le psalmiste fait allusion au Livre des destinées : « Mon embryon, tes yeux le voyaient ; sur ton livre, ils 1 CASPAR. R., « Eschatologie », Dictionnaire des religions, p. 629.

2 En Égypte, la scène de la pesée est bien connue, grâce aux peintures et aux textes hiéroglyphiques. Dans le

livre des morts, la revue de toutes les mauvaises actions peut être une forme de purification par confession et

renoncement à toutes les formes du mal. Dans la religion iranienne le jugement de l’âme prend une place remarquable à partir du VIIe siècle avant notre ère dans le cadre du zoroastrisme. Cette religion, basée sur l’opposition entre le bien et le mal, met en scène un procès solennel de l’âme trois jours après la mort ; trois juges, Mihr, Rashu et Srôsh, pèsent les actions sur une balance en or, et les méchants sont ensuite poussés en enfer du haut d’un pont. Nous retrouvons ce thème dans certains courants bouddhistes. Au Tibet, il existe une balance qui comporte d’un côté un démon noir qui dépose dans le plateau des cailloux noirs, correspondant aux mauvaises actions, tandis qu’un dieu blanc place sur un autre plateau des cailloux blancs pour désigner les bonnes actions. On retrouve aussi sur un tableau au Japon un juge qui inscrit l’acte d’accusation, tandis qu’un autre déploie un rouleau où sont recensées les actions de la vie. (cf. MINOIS, G., « Le jugement des morts »,

Encyclopédie des religions, p. 1906).

sont inscrits les jours qui ont été fixés, et chacun d’eux y figure ». Moïse aussi en parle dans l’Exode : « Yahvé dit à Moïse : "celui qui a péché contre moi, c’est lui que j’effacerai de mon livre" » (Ex 32,33). Daniel, le prophète, fait allusion aux livres individuels lorsqu’il annonce : « le tribunal était assis, les livres étaient ouverts » (ch. 7,10).

Donc l’eschatologie juive connaît une évolution. Tout d’abord, le jour du jugement est conçu comme un drame, une menace. Puis l’eschatologie prend un sens plus spirituel marqué par le choix d'un peuple idéal annoncé par les prophètes Osée et Jérémie. En même temps cette eschatologie s’ouvre à l’universalisme avec l’oracle d’Isaïe : « Il arrivera dans la suite des temps que la montagne de la maison de Yahvé sera établie en tête des montagnes et s’élèvera au-dessus des collines. Alors toutes les nations afflueront vers elle… » (Is 2,2). La miséricorde divine embrasse non seulement Israël, mais toute l’humanité. Les deux eschatologies, celle de l’individu et celle de la nation, opèrent finalement leur synthèse : l’individu juste, non moins que la nation juste, participe au royaume messianique 1 . Enfin, l’eschatologie juive met l’accent sur le caractère transcendant de l’au-delà. Ainsi l’idée d’un royaume futur gouverné par Yahvé lui-même, ou par son serviteur le Messie, s’impose avec plus de force. La personne du Messie apparaît dans Daniel (7,13) sous les traits d’un fils d’homme d’origine céleste et transcendante. D’une façon générale, dans la période apocalyptique qui commence avec Ézéchiel, le monde eschatologique semble étroitement associé au monde céleste. La restauration du peuple est imaginée par la résurrection des morts. En dehors des livres canoniques, l’apocalyptique juive continue à accentuer cette transcendance de l’eschatologie2 et à affirmer la croyance en une vie future dans un royaume de béatitude spirituelle. De ce fait, l’accent se trouve transféré du matériel au spirituel.

1 LAPORTE, J., Les apocalypses et la formation des idées chrétiennes, Paris, Éd. du Cerf, 2005, p. 40-44.

III. Dans la littérature juive intertestamentaire