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Chapitre III : La conception du paradis dans les sources principales de l’islam 91

II. Images du paradis et de l’enfer dans le Coran et dans la Tradition musulmane

2.3. Les créatures du paradis

Les créatures qui peuplent ce paradis, outre les anges gardiens des portes, sont les houris et les éphèbes dont le texte sacré de l’islam donne une description détaillée1. Le mot houris vient de « Hûriyya, Hawrâ’», le pluriel étant hûr dont la racine arabe hawar. Ce terme déjà connu dans la poésie arabe préislamique qualifie les beaux yeux noirs au blanc très prononcé. Ceci est un signe de beauté2. Leur blancheur est encore rehaussée par la comparaison avec des perles, elles qui sont « semblables à la perle cachée » (Cor. LVI, 23). Dans ses études sur les sources persanes et zoroastriennes de l’islam, Boutros Zakaria, un auteur égyptien, indique que le mot « houris » provient de l’ancien persan avec le même sens mentionné dans l’islam pour indiquer les femmes charmantes du paradis3. D’autres pensent que l’origine du mot « houris » résulte d’une interprétation erronée d’un mot araméen signifiant raisin présent dans les textes patristiques syriens. Luxenberg, en 2000, reprend cette hypothèse syrienne4.

Des débats ont eu lieu pour définir la nature des houris. Certains hadîths et les récits populaires précisent que leur corps est constitué de safran. D’autres disent que plusieurs matières sont utilisées pour former leur corps : des pieds aux genoux du safran ; des genoux aux seins du musc ; des seins au cou de l’ambre et du cou à la tête du camphre blanc. D’autres supposent que les houris sont bien en chair. Les traditionalistes décrivent leur beauté en termes exagérés ; leurs sourcils sont des traits noirs, leur front fait penser à la forme du croissant de lune, leurs tresses et leurs boucles sont brillantes, leur visage est lumineux5. Chaque houri a soixante-dix vêtements et comme elle est transparente la moelle de sa jambe se voit à travers ses habits6. À chacun de leurs poignets il y a dix bracelets d’or et chacun de leurs doigts porte dix bagues, leurs pieds et leurs chevilles portent des pierres

1 TOËLLE, H., « Houris, Éphèbes », Dictionnaire du Coran, p. 402.

2 PORTER, Y., « Paradis », Dictionnaire du Coran, p. 640 ; WILD, S., « Paradise », The Qur’an : an

Encyclopedia, London and New York, Oliver Leaman, 2006, p. 487.

3Boutros Zakaria, N°56 Les Sources Persanes et Zoroastriennes de l'islam,

http://jesusmarie.free.fr/islam_zakaria_boutros_56_sources_persanes.html 4 WILD, S., « Paradise », The Qur’an : an Encyclopedia, p. 487.

5 EL-SALEH, S., La vie future selon le Coran, p. 38-39 ; AL-IMÂM AL-QURTUBÎ, Tadhkira fî ahwâl

al-mawtâ wa-ûmur al-âkhira, p. 411-414; RUSTOMJI, N., The garden and the fire, heaven and hell in Islamic culture, p. 111-112.

précieuses et des perles. Le nom de leur époux est inscrit sur leurs seins de même qu’un des noms du Très Haut Dieu1.

Les hadîths insistent sur la voix mélodieuse et les chants merveilleux des houris, sur leur aspect charnel, leur délicatesse dans les sentiments d’amour pour leurs maris2 . L’évocation coranique des houris suscite des commentaires sans fin où est magnifiée la jouissance charnelle que l’élu puise en leur perpétuelle virginité. Toutefois, des exégètes optent pour une interprétation métaphorique ou allégorique des houris3. Le nombre des houris que l’homme va posséder varie d’un hadîth à l’autre. D’après Abû Hurayra et Ibn ‘Abbâs, à chaque croyant revient une centaine de houris4. Mais d’autres hadîths estiment que chaque homme peut avoir soixante-dix ou soixante-douze houris ou deux paires seulement5.

Al-Sîra d’Abû ‘Abdullâh b. Abî Nâjih précise que deux houris réconfortent et soignent

l’homme martyr dans la bataille. Elles apparaissent même déjà d’une manière invisible sur les champs de bataille comme signe de consolation pour les combattants6.

En plus des houris, l’homme a le droit de garder son ou ses épouses terrestres : « toute épouse terrestre, vierge au moment du mariage, sera la femme légitime du bienheureux. La polygamie y existant, le bienheureux qui a eu plusieurs épouses terrestres pourra les garder toutes. Mais, si la femme a eu plusieurs maris, elle se consacrera au dernier, au meilleur ou à celui de son choix. Les élus auront en outre des houris comme compagnes »7. Le sujet des femmes promises en récompense aux croyants est l’un des plus étudiés, mais également très critiqué dans les cercles non islamiques. La sexualité est une part essentielle et intégrale de l’imagerie du paradis musulman8. Quant à la foi chrétienne, elle se démarque nettement de cette conception. Car, répondant à une question de ses disciples, le Christ affirme qu’« à la résurrection, en effet, on ne prend ni femme ni mari ; mais on est comme des anges dans le ciel » (Mt 22,30). Donc les femmes promises et les houris donnent au paradis musulman un

1 RUSTOMJI, N., The garden and the fire, heaven and hell in Islamic culture, p. 111-115; MACDONALD, J., « Islamic Eschatology VI-Paradise », p. 353.

2 AL-MISRÎ, M., Rihlâ ilâ al-dâr al-âkhirâ, p. 635-641 ; AL-ACHQAR, Omar, Le paradis et l’enfer, p. 243 ; YÛSUF AL-HAJJ AHMAD, Ahl al-janna, Damas, Maktabat Ibn Hajar, 2005, p. 21-22.

3 WILD, S., « Paradise », The Qur’an : an Encyclopedia, p. 487.

4 EL-SALEH, La vie future selon le Coran, p. 39.

5 KIN‘ÂN, M, Ashrât al-sâ‘a wa umûr al-âkhira, p. 228-230 ; AL-IMÂM AL-QURTUBÎ, al-Tadhkira fî

ahwâl al-mawtâ wa-ûmur al-âkhira, p. 412 ; AL-MISRÎ, M., Rihlâ ilâ al-dâr al-âkhira, p. 637.

6 Cité par RUSTOMJI, N., The garden and the fire, heaven and hell in Islamic culture, p. 16-17.

7 EL-SALEH, S., La vie future selon le Coran, p. 38.

aspect bien différent du paradis chrétien1. « Un tel paradis rappelle celui des millénaristes avec des images matérielles qu’une petite minorité de musulmans prend comme symboles de réalités autres et plus nobles tandis que la grande majorité s’en tient à la lettre du texte »2.

Quant aux éphèbes (ghilmân pluriel de ghulâm), ce sont des jeunes gens au service des élus au paradis : « placés à leur service, ils circuleront parmi eux semblables à des perles cachées » (Cor. LII, 24). Comme les houris, ces éphèbes sont comparés à des « perles détachées » (Cor. LXXVI, 19) et remarquables par leur peau blanche et brillante ainsi que par leur pureté. Ces jeunes gens, faisant office d’échanson, sont également qualifiés de

wildân, « jeunes garçons ». Ils sont reconnus immortels3 et d’une jeunesse éternelle. D’après certains hadîths, ces éphèbes sont les enfants des polythéistes mais cette hypothèse n’a pas beaucoup de crédibilité4.

En plus, le Coran fournit une typologie de groupes qui vont profiter des demeures paradisiaques. Les principaux groupes concernés sont : le premier « Ceux qui auront cru » (Cor. XXIX, 58). Le deuxième sont les biens-dirigés : « Ceux qui auront combattu pour nous. Dieu est avec ceux qui font le bien » (Cor. XXIX, 69). Et enfin « ceux auxquels la Science a été donnée » (Cor. XXIX, 49)5. La sourate al-Wâqi‘a (L’événement), en décrivant le jour de la résurrection, mentionne trois groupes de personnes : les excellents, les bons et les mauvais. Les excellents sont les personnes proches de Dieu (Cor. LVI, 11-21). Les bons, ce sont les ashâb al-yamîn (les compagnons de la droite ; (Cor. LV1, 27-40), terme appliqué aux personnes reconnues justes. Les commentaires impliquent dans ce groupe trois catégories de gens : ceux qui, au jour du jugement, reçoivent le livre dans la main droite, ceux qui sont forts dans leur foi et ceux qui sont éclairés par la lumière de Dieu. Le Coran donne une description imagée des récompenses qui attendent les ashâb

al-maymana (Cor. LVI, 8,18). Ces deux groupes sont censés être les futurs habitants du

paradis. Par contre le troisième groupe (les mauvais) est constitué des mécréants, on les appelle ashâb al-shamâl (Cor. LVI, 41-56) ou bien al-mash’ama (Cor. LVI, 9) (les compagnons de la gauche). Ce terme est destiné aux personnes châtiées. Ce sont les

1 JOMIER, J., Bible et Coran, p. 58-59.

2 JOMIER, J., Le Coran, textes choisis en rapport avec la Bible, p. 55-56.

3 TOËLLE, H., « Houris, Éphèbes », Dictionnaire du Coran, p. 40.

4 AL-ACHQAR, Omar, Le paradis et l’enfer, p. 235-236 ; AL-MISRÎ, M., Rihlâ ilâ al-dâr al-âkhirâ, p. 630.

« polythéistes associateurs » (Cor. XXIX, 66), appelés al-muschrikûn, ou qui « prennent des maîtres en dehors de Dieu » (Cor. XXIX, 41). Les deuxièmes sont les al-kâfirûn (incrédules) ou les grands perdants (Cor. XXIX, 52) auxquels on reproche aussi de ne pas croire aux signes (Cor. XXIX, 47). Les troisièmes sont al-zâlimûn (les transgresseurs de la justice) et qui nient les « Signes évidents » (Cor. XXIX, 49). Dans ce registre, le Coran mentionne encore d’autres catégories collectives : al-munâfiqûn (les égarés), al-fâsiqûn (les pervers) et shaytân (ceux qui ont suivi le Démon) (Cor. XXIX, 38-39)1.

La sourate Al-Tawba (L’Immunité) évoque un autre groupe d’élus nommé al-Sâbiqûn

al-awwalûn «Les tout premiers [croyants] ». « Quant à ceux qui sont venus les premiers

parmi les émigrés et les auxiliaires du Prophète et ceux qui les ont suivis dans le bien : Dieu est satisfait d’eux, et ils sont satisfaits de lui. Il leur a préparé des Jardins où coulent les ruisseaux, et ils y demeureront à tout jamais, immortels». (Cor. IX, 100). La commune identification des Al-Sâbiqûn, introduite dans les commentaires, est de deux sortes : ceux qui ont vécu avant la venue de Muhammad et ceux qui ont œuvré pour l’islam à son début. Parmi les seconds sont mentionnés : ceux qui ont prié pour les deux qiblas, ceux qui ont participé à Badr, ceux qui ont pris part à Hudaybiyya, ou, plus généralement ceux qui sont des contemporains de Muhammad2.

Fakhr al-Dîin al-Râzî3 préfère identifier al-Sâbiqûn à ceux qui ont émigré avec Muhammad. Il affirme qu’ils occupent le plus haut rang au paradis. Dans son commentaire de la sourate (LVI 10-26), Al-Râzî définit al-Sâbiqûn comme les plus exaltés parmi les

muqarrab"n « Les rapprochés ». Ils occupent un rang plus élevé que celui de ashâb al-maymana4. Les muqarrabûn englobent parfois Jésus, comme dans la sourate Âl-‘Imrân (La famille de ‘Imrân) III, 45, ou les anges dans la sourate Al-Nisâ’ (Les femmes IV, 17), alors que dans la sourate Wâqi‘a (L’événement LVI, 10-26), les muqarrabûn sont identifiés comme des Sâbiqûn. La description des récompenses qu’ils obtiendront est la plus détaillée du Coran : « Dans le jardin des délices… placés côte à côte sur des lits de repos, ils seront accoudés, se faisant vis-à-vis. Des éphèbes immortels circuleront autour d’eux portant des 1 Ibid., p. 110-111.

2 KINBERG, L., « Paradise », Encyclopaedia of the Qur’ n, p. 15-16.

3 L’un des plus grands philosophes, exégètes et théologiens musulmans. Né à Rayy en 543/1149, il meurt à Hérat en 606/1209. Il se distingue sur le plan des idées par un esprit conciliateur qui cherche à rapprocher le mu‘tazilisme et l‘ash’arisme ; il s’appuie sur sa vaste connaissance des sciences coraniques et de la philosophie, voire des sciences profanes de son temps, et sur sa sensibilité aux graves problèmes, tant politiques que religieux et culturels, qui déchiraient alors le monde musulman.

cratères, des aiguières et des coupes remplies d’un breuvage limpide dont ils ne seront ni excédés, ni enivrés ; les fruits de leur choix et la chair des oiseaux qu’ils désireront. Il y aura là des Houris aux grands yeux semblables à des perles cachées en récompense de leurs œuvres. Ils n’entendront là ni parole futile ni incitation au péché, mais une seule parole : Paix !... Paix » (Cor. LVI, 12-26). D’autres versets promettent ces délices célestes à d’autres groupes de personnes. Les deux le plus souvent mentionnés (plus de cinquante fois) sont : « ceux qui craignent Dieu » et « ceux qui sont croyants et dont les actes ont été justes » (Cor. II, 25). Il est également fait mention des « habitants du paradis » (plus de dix fois) (Cor. II, 82 et X, 26) et également les « pieux » (six fois) (Cor. XXXXIV, 51-57) 1.

En plus des groupes cités, d’autres personnes comptent aussi parmi les habitants du paradis : les faibles aux yeux des gens, les enfants des croyants qui sont morts avant la puberté, les enfants des polythéistes, les croyants monothéistes mais à plusieurs conditions : qu’ils accomplissent les bonnes œuvres, se tiennent sur le chemin de la foi et la crainte de Dieu ; ils doivent être humbles devant Dieu et haïr les mécréants et les polythéistes2. Les

hadîths précisent que le chemin du paradis est difficile et que les femmes sont plus

nombreuses que les hommes. Ils confirment qu’Abû Bakr et ‘Umar sont les maîtres des personnes âgées et Al-Hasan et Al-Husayn ceux de la jeunesse. Quant aux femmes, elles sont dominées par : Khadîja, Fâtima, Maryam fille de ‘Imrân et Âsiya, la femme du Pharaon3. Nous avons remarqué dans la tradition juive, l’existence de sept catégories de justes dans les demeures du paradis. La tradition musulmane donne également une liste de justes très différente des listes juives, mais l’idéologie et le nombre restent identiques. Elle compte l’imam juste, le jeune consacré au service de Dieu, les gens qui s’aiment à cause de Dieu, l’homme chaste, l’homme vivant dans la solitude et la crainte de Dieu, l’homme droit et charitable et enfin l’homme fidèle et attaché au lieu du culte4.

1 KINBERG, L., « Paradise », Encyclopaedia of the Qur’ n, p. 15-16.

2 AL-ACHQAR, Omar, Le paradis et l’enfer, p. 186-190.

3 Ibid., p. 185-210.