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L’entrée en religion : les critères d’une vocation

1. Les Visitandines de Condrieu : l’établissement et l’organisation interne du couvent (1630-1792)

1.3. Entre les murs de la Visitation; l’organisation interne, l’entrée en religion et les charges

1.3.2. L’entrée en religion : les critères d’une vocation

L'Ancien Régime se fait une haute idée de la vocation religieuse244. Tout au long des XVIIe et XVIIIe siècles, ce sont des milliers de personnes qui entrent dans les couvents des différents ordres religieux masculins et féminins. L'ordre de la Visitation offre la possibilité aux femmes de santé fragile et aux veuves qui ont encore des responsabilités patrimoniales d'entrer en religion, ce que les ordres anciens réformés au XVIe siècle empêchent. Ainsi, la Visitation offre la possibilité aux femmes de consacrer tous les moments de leur vie à l'amour de Dieu, en offrant une retraite à des femmes

242 Marc Libert, « Le travail dans les couvents contemplatifs féminins », Revue belge de philologie et d'histoire, tome 79

(2001), p. 555.

243 F. de Sales, Oeuvres, t. XXV, p. 66.

244 Gilles Deregnaucourt, « La vocation religieuse et sacerdotale en France, XVII-XIXe siècle, Actes de la 2e Rencontre

résolues, désireuses de se retirer des tracas du monde245. Pendant la majorité de l'Ancien Régime, l'âge d'entrée dans les monastères est fixé à seize ans246. En effet, le concile de Trente prévoit :

En quelque Religion que ce soit, tant d'hommes que de femmes, on ne fera point Profession avant seize ans accomplis ; & on ne recevra personne à ladite Profession, qui n'ait au moins passé un an entier dans le Noviciat, après avoir pris l'Habit : Toute Profession faite plûtost, sera nulle, & ne portera aucun engagement à l'observation de quelque Regle, ou Ordre que ce soit, n y a aucune autre chose qui pourront s'en ensuivre247.

La Commission des Réguliers, créée en 1766 afin de combattre, en partie, l'idée des moines inutiles et surtout, de réformer les abus et les mœurs relâchées sensés régner à l'intérieur des cloîtres, retarde l'entrée dans les communautés féminines à dix-huit ans248. Malgré les prescriptions tridentines, il arrive, cependant, que des jeunes filles fassent profession à l'âge de quinze ans. Alors qu'elle vient tout juste d'avoir quinze ans, Marie-Marthe de Martel prononce ses vœux solennels à la Visitation de Condrieu en 1630. La communauté exige qu'elle renouvelle ses vœux l'année suivante, afin de s'accorder aux prescriptions conciliaires249.

L'Église et les ordres religieux mettent en place des critères de sélection, afin de bien s'assurer de la sincérité de la vocation et de l'aptitude à la vie religieuse. François de Sales, dans les Entretiens spirituels, précise que les futures Visitandines doivent démontrer un grand désir de perfection chrétienne et une volonté constante de servir Dieu, de quelques façons que ce soit250. Des examens sont faits avant la vêture, ainsi qu'avant la profession, afin de mettre en lumière les motivations des postulantes et des novices. Ces interrogatoires sont uniquement imposés aux ordres féminins, puisque l'Église s'est toujours méfiée des vocations féminines, et visent aussi à vérifier leur consentement pour

245 B. Dompnier, « « Introduction : Les Visitandines, les monastères… », p. 9.

246 Ninon Maillard, Réforme religieuse et droit : la traduction juridique et structurelle du retour à l'observance : le cas des

dominicains de France (1629-1660), Paris, Cerf, 2016, p. 45.

247 Martiel Chanut, Le saint concile de Trente œcuménique et général célébré sous Paul III, Jules III et Pie IV, Paris,

Sébastien Mabre-Cramoisy, Imprimeur, 1674, p. 403-404.

248 Dominique Dinet, « Ouvertures et fermetures des maisons religieuses de Bourgogne et de Champagne (fin XVIe- fin

XVIIIe siècle) : un révélateur des rapports entre la société et le monachisme? », Journal des savants, no. 2 (1998). p. 174.

249 Année sainte des religieuses de la Visitation Sainte-Marie, t. III, Annecy, Burdet Imprimerie, 1867, p. 233.

250 François de Sales, Les vrays entretiens spirituels du bien-heureux François de Sales, Lyon, Vincent de Coeursilly

éviter les vocations forcées251. À chaque examen, la future religieuse signe le registre, afin de certifier de sa libre volonté. Le 5 janvier 1749, Jeanne Françoise Pérouse de Bagneux certifie qu'elle prend l'habit de sœur choriste de son plein gré et de libre volonté dans le but de faire sa probation252. Le 20 mai 1750, elle fait ses vœux solennels en réaffirmant qu'elle n'est pas contrainte253. En 1786, il est fait mention de l'examen dans l'acte de profession de Marie Silvie Pellerin.

L’an mil sept cent quatre vingt six et le dix sept avril […] avons dans le dit monastere [de Condrieu] reçu les vœux solennels de sœur Marie Silvie Pellerin fille légitime de feu sieur Antoine Pellerin [...] de la ville de St Étienne [...] agée de dix huit ans lesquelles vœux elle a prononcée en plaine et entiere liberté après l'examen fait sur la vocation en présence de la mère supérieure [...]254.

Outre cette mention de l'examen sur la vocation, nous n'avons retrouvé aucun procès-verbal détaillant le contenu de ces examens pour les Visitandines de Condrieu, et trop peu d'Abrégés de vertus pour dresser une liste exhaustive des motifs avancés par celles qui désirent entrer au couvent. Malgré tout, il est possible de percevoir que les chemins qui mènent au couvent sont nombreux. Marie- Marthe de Martel ressent un vif désir de se consacrer à Dieu et d'y faire son salut255. Malgré l'attrait pour la solitude, Jeanne-Thérèse, en 1633, n'est pas prête à quitter le monde, jusqu'à ce qu'une dame lui demande, sur le parvis de l'église de Condrieu, pourquoi elle n'est pas encore passée rencontrer sa fille, la supérieure de la Visitation, avant de disparaitre. Impressionnée, la jeune fille conclut que la mère de Dieu est venue lui faire la révélation de sa vocation256. Selon Dominique Dinet, ces visions précises qui engagent vers la vie religieuse ne sont pas rares au XVIIe siècle257. La servitude de Dieu est bien réelle, mais d'autres motivations, plus complexes, peuvent intervenir aussi dans le désir d'entrer au couvent. Le cloître a ses séductions qui ne peuvent être ignorées. Il offre à la fois une stabilité et des sociabilités différentes258. À Montbrison, dans le Lyonnais, c'est bien l'attrait du cloître qui guide Marie-Antoinette-Constance de Meaux chez les Visitandines259. Parfois, c'est la volonté de

251 J.-M. Lejuste, « Vocation et famille… », p. 40.

252 A.D.R., 36H10 – Vêtures, noviciats, professions et sépultures, 1737-1787. 253 Ibid.

254 Ibid.

255 Année sainte des religieuses…, tome III, p. 233.

256 Année sainte des religieuses de la Visitation Sainte-Marie, tome. VI, Annecy, Burdet Imprimerie, 1868, p. 543. 257 D. Dinet, Vocation et fidélité..., p. 29.

258 Ibid., p. 23.

rupture avec le monde qui justifie l'entrée au couvent. Le dégoût du monde est d'ailleurs un élément souvent avancé par les futures religieuses260. Françoise-Magdeleine Mathon fait profession au monastère des Visitandines de Condrieu en 1737, après avoir développé une amertume pour le siècle qu'elle considère vide d'intérêt261. Les vocations peuvent être conditionnées par un milieu familial dévot. Ainsi, en 1631, Claude-Marie de Villars, la fille de Claude III de Villars, est placée chez les Visitandines à l'âge de huit ans. Elle fait sa profession sept ans plus tard, à l'âge de quinze ans262.

Les chemins qui mènent une jeune fille au couvent sont variés. S’ils sont multiples à l’extérieur du monastère, ils le sont tout autant à l'intérieur. En effet, l'entrée en religion n'est que le premier pas dans l'organisation conventuelle et la multitude de postes qui servent au bon fonctionnement de la communauté. La hiérarchisation du couvent aboutit avec le poste le plus important, celui de la Supérieure.