• Aucun résultat trouvé

La charge de Supérieure : l’importance de la charge dans la vie du couvent

1. Les Visitandines de Condrieu : l’établissement et l’organisation interne du couvent (1630-1792)

1.3. Entre les murs de la Visitation; l’organisation interne, l’entrée en religion et les charges

1.3.3. La charge de Supérieure : l’importance de la charge dans la vie du couvent

L’étude de nos sources a permis de percevoir l'importance du rôle de la supérieure dans la vie du couvent. Toute décision concernant le spirituel et le temporel lui appartient, sous le contrôle de l'évêque, du directeur spirituel et de la règle. Rappelons que quatre conseillères l'assistent dans sa charge, mais elle n'est pas tenue de suivre leurs avis. La religieuse qui est choisie pour occuper la charge doit faire partie du rang des sœurs choristes. En effet, la supérieure doit veiller au bon fonctionnement de tous les éléments du couvent, dont le chœur. Les sœurs associées ne pouvant pas y officier, elles sont donc exclues de la charge. Le concile de Trente exige que les supérieures soient âgées d'au moins quarante ans et aient fait profession depuis plus de huit ans. Dans le cas où il n'est pas possible de respecter ces prescriptions, le Concile mentionne que la supérieure doit alors avoir au moins trente ans et cinq ans de profession263. L'archevêque, qui confirme l'élection, peut aussi donner des dispenses d'âge si la situation l’impose.

260 D. Dinet, Vocation et fidélité..., p. 18. 261 Lettes ou Mémoires nécrologiques...p. 303. 262 Année sainte des religieuses…, tome. VI, p. 265.

L'élection se fait selon une liste dressée à l'avance appelée le catalogue. Le vote se fait par bulletin secret sous le contrôle et la supervision du père spirituel. Le Coutumier précise que « les sœurs escriront tout au long dans des billets, le nom & le surnom de celle qu'elles veulent eslire264». C'est le père spirituel du couvent qui fait le décompte des billets.

[...] les ayant tous reçcus dans la boëte, les retirera et les lira l'un après l'autre : et deux des sœurs, qui auront une liste du nom de toutes les sœurs qui peuvent être élûes […] marqueront d'une traverse la ligne du nom qui se lira. Et enfin on verra laquelle des sœurs aura le plus de voix, et celle-là fera la Superieure, sans qu'il lui soit loisible de refuser, ni de s'excuser, ni de dire des belles paroles, ains s'étant agenoüillée, elle fera la profession de foi. Le Pere spirituel confirmera l'élection au nom de l'Evêque [...]265.

La supérieure est élue pour une période de trois ans, ce triennat pouvant être reconduit une fois. Après cette période, elle doit laisser sa place pour une période minimale de trois ans. Il est fréquent qu'une supérieure qui excelle dans ses fonctions soit réélue. Lorsqu'elle quitte ses fonctions, elle prend le titre de « déposée » et devient la dernière religieuse de la communauté. En ce sens, elle peut exercer toutes les charges que la nouvelle supérieure lui confie, sauf, pendant la première année de sa déposition, le poste d'assistante266. Dans plusieurs couvents de Visitandines, il semble avoir été la norme de revenir, au bout de six années, à l'ancienne supérieure. Étienne Catta avance que « [c]ette disposition a introduit dans les monastères visitandins une forme originale de gouvernement, sorte de consulat alternatif [...]267». Le type d'organisation qui découle de cette succession amène au couvent une certaine stabilité. Celle-ci est importante du fait que la supérieure a de grands pouvoirs temporels sur ce qui se passe à l'intérieur du monastère.

264 Coutumier et directoire pour les sœurs religieuses de la Visitation Sainte-Marie, Annecy, Imprimerie de Aimé Burdet,

1850, p. 120

265 Règle de St Augustin et constitution..., p. 314-319. 266 Règle de St Augustin et constitution..., p. 115. 267 É. Catta, La Visitation Sainte-Marie..., p. 120.

Tableau 3

Triennat des mères supérieures au monastère de la Visitation de Condrieu aux XVIIe et XVIIIe siècles

XVIIe siècle XVIIIe siècle

Nom de la religieuse Triennat Nom de la religieuse Triennat Marie Denise Goubert 1630- jusqu’au 15 août

1631, car elle est rappelée par l’Archevêque de Lyon, à Lyon Marie Catherine de Villars 1700-1703;1703-1706 Catherine Charlotte de Crémeaux 1631-1634; 1634-1637 Madeleine Élisabeth de Perrin 1706-1709;1709-1712 Marie Marthe Martel 1637-1640; 1640-1643 Marie Ange Angélique de

Boussoles 1712-1715;1715-1718 Jeanne Thérèse

Ranchon 1643-1646 Madeleine Élisabeth de Perrin 1718-1721;1721-1724 Françoise Élisabeth

Challanda 1646-1649; 1649-1652 Marie Ange Angélique de Boussoles 1724-1727;1727-1730 Claude Marie de Villars 1652-1655; 1655-1658 Marie Charlotte Duménil 1730-1733;1733-1736 Marie Catherine de

Villars 1658-1661; 1661-1664 Jeanne Séraphine Mauvernay 1736-1739;1739-1742 Catherine Agnès

Baudrand 1664-1667; 1667-1670 Marie Charlotte Duménil 1742-1745;1745-1748 Claude Marie de Villars 1670-1673; 1673-1676 Jeanne Elisabeth Michel 1748-1751;1751-1754 Catherine Agnès

Baudrand 1676-1679; 1679-1682 Anne Marguerite Roland de la Platière 1754-1757;1757-1760 Marie Catherine de

Villars 1688-1691; 1691-1694 Marie Péronne Mathon 1760-1763;1763-1766 Claude Marie de Villars 1694-1697; 1697-1700 Anne Marguerite Roland

de la Platière 1766-1769;1769-1772 Marie Péronne Mathon 1772-1775;1775-1778 Marie Thérèse

Fourchenay 1778-1781

Helene Fortunée Vaneau 1781-1784;1784-1787 Madelaine Elizabeth de Brioude 1787-1790 268 Jeanne Françoise Pérouse de Bagneux 1790-1792

268 Madelaine Elizabeth de Brioude décède en novembre 1790 et ouvre à Condrieu l’ère des troubles religieux. En effet,

l’élection d’une nouvelle supérieure n’est pas prévue dans les décrets révolutionnaires. L’archevêque de Vienne et son grand vicaire viennent faire l’élection la nouvelle supérieure, mais rencontre l’indignation du Conseil Général du Département face à ce qui est considéré comme un abus de pouvoir d’un évêque dont le diocèse est supprimé. C’est le prélude à de violentes querelles religieuses qui vont troubler la conscience des religieux et des fidèles et qui vont accroître les divisions locales. René Alix, Le début de la Révolution à Condrieu…, p. 133.

Les deux principaux éléments que le tableau 3269 met de l'avant sont la brièveté de la première supérieure, Marie Denise Goubert, et que ce n'est qu'à partir de l'élection de Claude Marie de Villars, en 1652, qu'il est possible d'entrevoir une succession régulière entre les mêmes supérieures. Cette alternance instaure une stabilité dans la gouvernance du couvent.

D'abord, la courte durée de Marie Denise Goubert est la cause de ce que Jeanne de Chantal nomme « l'affaire de Condrieu270». Le choix de la supérieure d'une nouvelle fondation est quelque chose de très important. De son vivant, Jeanne de Chantal porte une attention particulière à la sélection de ce qu'elle appelle les filles de fondation. Celles-ci se « doivent être des filles habituées à la douceur et cordialité, et d'exacte observance, car cette vertu étant la principale de l'Institut, elle doit surnager en celles qui doivent être le fondement d'une maison et l'exemple de toutes celles que Dieu y amènera [...] car sitôt que la véritable douceur se perdra, qui ne peut être sans la profonde humilité, l'esprit de la Compagnie n'y sera pas271». C'est pourquoi il est essentiel de bien choisir et d'y « employ[er que les] meilleurs sœurs que l'on ait, et de celles qui sont plus fidèles à l'observance272». La supérieure choisie doit avoir les capacités propres à la conduite des religieuses qu'elle aura à sa charge donc, pour ainsi dire, de bonnes capacités à gouverner. En outre, le choix des filles de fondation se fait en fonction de l'importance des villes dans lesquelles les Visitandines s'installent. Ainsi, dans une lettre de juin 1629, Jeanne de Chantal mentionne à la supérieure de Lyon que « [p]our ma sœur Marie- Denise, vous ferez fort bien de l'y envoyer [à Condrieu]; elle est sage et solide en la vertu, et laquelle a bien des dons de Dieu pour réussir heureusement en la charge de supérieure273». Ceci est important puisqu'elle ajoute que « [l]'on voit toujours plus l'importance qu'il y a de bien servie les monastères de bonnes supérieures274». Marie Denise Goubert sort donc du monastère de Bellecour, à Lyon, en décembre 1629, pour devenir la première supérieure de la Visitation de Condrieu. La supérieure n'est cependant :

269 Les sources dont nous disposons nous ont permis de reconstituer la liste des supérieures, exception faite des triennats

1748-1751, 1751-1754 et 1757-1760.

270 Jeanne de Chantal, Correspondance, tome IV, Paris, Cerf, 1991, p. 177. 271 J. de Chantal, Correspondance, tome II, p. 441-442.

272 J. de Chantal, Correspondance, tome III, p. 489. 273 Ibid., p. 501.

[...] pas accoutumé [aux nécessités] ayant longtemps gouverné votre maison [en tant qu'économe, à Lyon] [...] qui ne s'en ressentait d'aucune nécessité [...] s'est trouvée en de très grandes disettes, accablée de mauvaises saisons, chargée d'une grande famille en assez pauvre et petit lieu, d'où elle ne pouvait recevoir le secours nécessaire, leur maison mal placée, de peu de récréation et commodités275.

Face à ces difficultés, Marie Denise Goubert outrepasse la hiérarchie en se plaignant directement à l'archevêque de Vienne, dont dépend le monastère de Condrieu au lieu de se référer aux Visitandines de Bellecour, monastère fondateur de Condrieu. « [E]lle devait se servie de votre entremise [celle de Marie-Aimée de Blonay, supérieur de Lyon] pour représenter à Son Eminence les besoins de leur maison et pour en obtenir les assistances nécessaires276». C'est à la maison fondatrice que revient le devoir de s'occuper de ses « filles277». Dans le cas de Condrieu, Jeanne de Chantal précise que Lyon « les devait assister en leurs extrêmes besoins [...], plus largement que l'on a pas fait et les soulager aussi en les déchargeant de quelques filles, surtout des esprits qui leur ont donné beaucoup de peine et d'exercice278». Face à cette crise, Jeanne de Chantal espère tout de même laisser la supérieure en place, puisqu'elle considère toujours que c'est « [u]ne fille capable pour le spirituel et le temporel, qui peut faire beaucoup de service à la religion279». Cependant, la conduite de Marie Denise Goubert dérange, non pas l'archevêque de Vienne, mais celui de Lyon qui demande de la retirer dès le mois d'août 1631 et de la ramener à Bellecour. Jeanne de Chantal écrit donc, le 12 août 1631, à Pierre de Villars, l'archevêque de Vienne et frère de Claude III de Villars, afin de lui demander d'agréer à la demande d'Alphonse-Louis du Plessis de Richelieu, l'archevêque de Lyon280. Dans la même lettre, elle propose de placer Marie-Marguerite de Sainte-Colombe comme remplaçante

275 J. de Chantal, Correspondance, tome IV, p. 175. Nous avons pu voir, dans la partie 1.1.1 que la maison cédée par

Claude III de Villars n'est pas conçue pour être un couvent. Dans le chapitre 2, sur le recrutement, il est possible de constater que la Visitation de Condrieu connaît un grand succès et reçoit un grand nombre de profession dès les débuts. Nous n'avons pu trouver trace des disettes et des mauvaises saisons dont parle Jeanne de Chantal. Rien dans nos sources laissent entrevoir des difficultés à ce niveau. Dans la même lettre, adressée à la supérieure de Lyon, Marie- Aimée de Blonay, elle ajoute que la fondation de Condrieu ne s'est pas faite sans avoir pris les précautions nécessaires au bien-être des religieuses.

276 J. de Chantal, Correspondance, tome IV, p. 175.

277 C'est le terme généralement donné aux fondations d'un couvent fondateur de l'Ordre de la Visitation. Ainsi, la fondation

de Vienne est fille de Condrieu, alors que celle de Condrieu est fille de Lyon I.

278 J. de Chantal, Correspondance, tome IV, p.175-176. 279 Ibid., p. 176.

à Condrieu. Toutefois, c'est Catherine-Charlotte Crémeaux, qui vient de terminer un triennat à Bellecour, qui est élue supérieure de Condrieu. Le 15 août, Marie Denise Goubert retourne à Lyon avec quatre religieuses. Dès lors, Jeanne de Chantal ne cesse de vouloir étouffer l'affaire. Ainsi, « [i]l nous [Jeanne de Chantal et Marie-Aimée de Bloney, la nouvelle supérieure de Bellecour] faut promptement prier ma sœur la supérieure de Condrieu de ne pas rechercher que fort secrètement la connaissance de cette affaire [...]281». De plus, « [q]uant à la pauvre Sr. M.D. [Marie-Denise Goubert], il faut en toute façon étouffer son affaire quand l'on devrait tout perdre. Car sa faute se répandrait sur la Congrégation si elle était sue et il faut avoir jalousie de sa bonne odeur en tant que l'on le peut selon Dieu282». À son retour à Lyon, Marie Denise Goubert ne montre pas de remords envers les remous qu'elle a causés, ce qui fait dire à Jeanne de Chantal que « c'est un esprit souple en la main de sa vanité et propre recherche » qui se trouve dans «la dépendance d'elle-même au lieu de celle de Dieu283». La fondatrice de l'Ordre met en garde que bien qu'elle « l'aime pourtant certes bien, car elle a le coeur et le fond bons; mais si cet esprit si subtil, si souple et ardent, n'est tué, brisé et mis en pièces, il y aura toujours je ne sais quoi à craindre284». Jeanne de Chantal a échangé des lettres avec Marie Denise Goubert, mais celles-ci ne nous sont pas parvenues. Malgré tout, l'affaire de Condrieu occupe la cofondatrice de l'Ordre de la Visitation jusqu'au mois de décembre 1631. À notre connaissance, il n'y a pas de trace que l'affaire ait été connue publiquement ou par les autres couvents et ait pu entacher l'Ordre.

Outre cette affaire, qui dénote en plusieurs points de débuts troublés au niveau du personnel, le tableau 3 révèle que le gouvernement alternatif observé dans plusieurs couvents visitandins n'apparaît, à Condrieu, qu'en 1652. Avant cette date, les supérieures font habituellement deux triennats, mais ne reviennent pas par la suite. Catherine-Charlotte de Crémeau arrive à Condrieu, en 1631, avec la mission de redresser le couvent, de calmer la tourmente de l'affaire de Condrieu et de dissiper les difficultés qui se sont opposées au développement du monastère. Elle effectue deux triennats au terme desquels elle retourne brièvement à Lyon avant de partir à Bordeaux, où elle devient la première supérieure de la Visitation de cette ville285. L'élection de sa successeur, Marie Marthe de Martel, replonge cependant le couvent dans une crise interne. En effet, lorsqu'elle est élue en 1637, elle n'est

281 Ibid., p. 193. 282 Ibid., p. 205.

283 Ibid., p. 218-219 et 238-239. 284 Ibid., p. 240.

285 Christian Taillard, « Le monastère de la Visitaion de Bordeaux de 1640 à 1792 », Revue historique de Bordeaux et du

âgée que de vingt-deux ans. L'archevêque de Vienne, auprès duquel elle tente de faire annuler l'élection étant donné qu'elle ne respecte ni les prescriptions conciliaires ni celles de la Visitation, la maintient dans sa charge286. Mise au fait de l'élection, Jeanne de Chantal mentionne, dans une lettre à Marie Marthe de Martel, « [qu'il] faut avouer qu'il y a eu une très mauvaise conduite en cette élection », mais qu'étant donné qu'elle n'a « nullement coopéré à cela », elle se doit de gouverner avec humilité287. Dans une autre lettre, qu'elle envoie à Catherine-Charlotte de Crémeaux de la Grange, les dessous de l'histoire sont révélés. Elle y critique vivement l'archevêque de Vienne d'avoir approuvé l'élection malgré le jeune âge de la candidate, ainsi que la destinataire de la lettre de n'avoir pas bien instruit les religieuses des exigences à respecter lors des élections et, de «la persuasion que vous [Catherine- Charlotte de Crémeaux de la Grange] fîtes à vos sœurs d'élire celle que Monseigneur voulait288». Il semble donc qu'il y ait eu une intervention extérieure à l'élection du couvent de la Visitation en 1637. C'est du moins ce que semble confirmer une lettre du 21 juin 1637 à la supérieure de la Visitation de Paris, Hélène-Angélique Lhuillier, dans laquelle elle dit :

[...] je n'oserais dire le nom d'un archevêque qui a violenté nos sœurs d'élire une fille de vingt-trois ans contre leur gré et celui de la pauvre jeune fille [...], jamais ce prélat ne leur a voulu permettre de mettre sur leur catalogue une fort vertueuse sœur qui est leur assistante de leur maison, qui les années de religion et d'âge, qui est celle sur laquelle toute la communauté jetait les yeux, ni n'a non plus voulu permettre qu'elles en aient choisi un des autres monastères et les a forcées d'en prendre dans le leur trois ou quatre qui N'ont ni l'âge ni les qualités requises, et les a-t-on tant persuadées de prendre celle qu'il voulait qu'elles l'ont élue289.

L'intervention déroge à bien des règles à la fois du concile de Trente, mais aussi des Visitandines. Jeanne de Chantal reconnaît toutefois les vertus de Marie-Marthe de Martel et décide de ne pas user de son autorité pour la déposer. Elle convient toutefois que la conduite de l'archevêque de Vienne est illégitime et qu'il est nécessaire de le lui faire remarquer, puisque si l'histoire vient aux oreilles des autres prélats, les élections de chaque couvent sont à risque de manipulation extérieure290.

286 Année sainte des religieuses…, tome III, p. 234-235.

287 Jeanne de Chantal, Correspondance, tome V, Paris, Cerf, 1993, p. 331-332. 288 Ibid., p. 334.

289 Ibid., p. 353-354. 290 Ibid., p. 333, 353-354.

Malgré ces débuts chaotiques, Marie-Marthe de Martel est réélue pour un second triennat en 1640. Elle devient, par la suite, la première supérieure de la Visitation de Vienne, en 1644, où elle alterne les triennats avec une professe sortie de Condrieu au même moment, Marie-Alexis de Trivio, jusqu'en 1679.

Les cas de Marie Denis Goubert et Marie-Marthe de Martel montrent que les élections n'amènent pas toujours la stabilité attendue d’elles. Des expériences malheureuses et des querelles se produisent dans de nombreux couvents. Ainsi, à Lyon en 1637, au monastère de Bellecour, la supérieure Marie-Marguerite de Sainte-Colombe prend en aversion la précédente, Marie-Aimée de Blonay et craint que la popularité de cette dernière mine son autorité. Elle tente par tous les moyens de l'éloigner du couvent, ce qui divise la communauté. Alors que Jeanne de Chantal tente d'apaiser les religieuses lyonnaises, la querelle se rend jusqu'à l'archevêque de Lyon, qui envoie la sœur de Blonay au second monastère lyonnais, celui de l'Antiquaille, et dépose Marie-Marguerite de Sainte- Colombe en 1638291. En 1639, l'archevêque d'Avignon permet qu'Anne Louise de Marine de St-Michel soit mise sur la liste éligible à l'élection du troisième couvent lyonnais, celui de Sainte-Marie-des- Chaînes. Après son élection, il refuse de la laisser quitter son diocèse et le couvent lyonnais doit refaire des élections au bout de six mois292.

Il peut arriver qu'une supérieure ne désire pas être reconduite dans la fonction après un triennat. C'est le cas, à Condrieu, en 1646, de Jeanne Thérèse Ranchon qui, épuisée, demande de ne pas être réélue et de retourner à des tâches subalternes, et de ne plus la considérer pour la charge de supérieure293. Des raisons de santé peuvent être évoquées pour se soustraire d'une réélection. Sortie du couvent de Condrieu pour participer à la fondation de celui de Vienne, Marie-Elisabeth de Trosezard est élue supérieure en 1650, mais est frappée de surdité vers la fin de son triennat et ne veut pas être reconduite en tant que supérieure294. Toutefois, en raison du caractère d'humilité qu'impose la charge de supérieure, les raisons de santé pour ne pas être élue sont acceptées avec la plus grande réticence.

291 Ibid., p. 497-499.

292 A.D.R., 34H166 – Registres de professions, de confirmations de vœux et de sépultures, 1641-1769. 293 Année Sainte des religieuses..., tome VI, p. 545.

La supérieure détient un rôle essentiel dans la communauté, puisqu'elle est garante du bon fonctionnement du monastère. En effet, c'est elle qui veille à ce que tout fonctionne et qui prend les décisions liées au temporel et au spirituel. L'élection de la supérieure est un moment important dans la vie du couvent. Cependant, elles sont loin d'être des formalités qui se déroulent dans la quiétude. À Condrieu, sur les trois premières élections, deux impliquent l'archevêque de Vienne et incitent Jeanne de Chantal à user de tous les moyens pour étouffer les affaires, afin d'en minimiser les répercussions sur les autres couvents.

Comme nous l'avons vu dans ce premier chapitre, l'installation de l'Ordre de la Visitation à Condrieu réjouit les deux parties en présence. D'un côté, le fondateur séculier, Claude III de Villars,