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1. Les Visitandines de Condrieu : l’établissement et l’organisation interne du couvent (1630-1792)

1.1.1. Les conflits pré-XVIIe siècle

lequel s'implante le couvent des Visitandines en 1630. Le but de cette section est donc d'inscrire la recherche dans son contexte plus général. Cela permettra, ultérieurement, de comprendre les difficultés du recrutement local que rencontre la Visitation lors de son existence.

1.1.1. Les conflits pré-XVIIe siècle.

En s'installant à Condrieu en 1630, les Visitandines intègrent une ville qui fait partie d'un ensemble administratif qu'elles connaissent déjà. En effet, Condrieu fait partie, depuis l'Édit de Cognac de 1542, de la Généralité de Lyon. Celle-ci réunit les provinces du Forez, du Beaujolais et du Lyonnais et est subdivisée en cinq circonscriptions financières, dont les capitales sont Roanne, Montbrison, Saint-Étienne, Villefranche et Lyon. À la fondation du couvent de Condrieu, les Visitandines ont déjà ouvert deux couvents à Lyon, en 1615 et 1627, et un à Saint-Étienne, en 1622113. Dès la guerre de Cent Ans, Lyon s'impose et prétend représenter l'ensemble de la province114. À cette époque, Condrieu fait déjà partie des seigneuries de l'Église de Lyon depuis 1217115. Dès lors, elle est ceinte de remparts et d'une muraille, en plus d'être munie d'un donjon, afin de la protéger contre des ennemis potentiels.

La proximité géographique avec l'Archevêché de Vienne fait de Condrieu un lieu stratégique à développer pour l'Église de Lyon. Plusieurs exemptions fiscales visent à favoriser la venue de familles notables et d'une immigration désireuse de se débarrasser du fisc royal. Ainsi, par diverses lettres patentes, l'archevêque de Lyon concède :

[l']immunité des tailles et exactions quelconques, sauf les prestations d'usage, dans des cas déterminés; abolition de la leyde, droit de voter l'impôt, d'élire les syndics ou procureurs de la ville; de n'être pas jugés, pour les cas de juridictions ordinaires, hors de la ville, et de ne pouvoir être arrêtés sans un ordre exprès de l'obéancier;

113 Villefranche en 1632 et Montbrison en 1642 auront éventuellement leurs couvents. Pour la liste des fondations jusqu'en

1893 voir . É. Bougaud, St. Chantal and the Foundation..., pp. 447-460.

114 Jean-Pierre Gutton, Villages du Lyonnais sous la monarchie (XVIe-XVIIIe siècles), Lyon, Presses universitaires de Lyon,

1878, p. 17.

exemption du service militaire, hors de la ville et du mandement, à moins qu'il ne fût question de défendre le patrimoine de l'église; liberté de pêcher, de chasser et de vendanger à volonté116.

L'expansion de la ville et de ses quartiers la fait entrer dans de nombreux conflits. Entre 1297 et 1383, une multitude de confrontations armées éclatent entre les églises de Vienne et Lyon117 au sujet de la juridiction entre Saint-Clair et Condrieu. L'intervention du roi Philippe de Valois dans les années 1330 met un terme aux ravages des conflits armés, mais les querelles entre les deux églises subsistent jusqu'en 1383. Les conflits impliquant l'Église de Lyon, que ce soit avec ses bourgeois ou avec l'Église de Vienne, n'ont été apaisés que par l'intervention du pouvoir royal depuis Louis IX118. Dans le système seigneurial de l'époque, les limites de juridiction, tout comme la défense des droits acquis, sont des problèmes majeurs face auxquels les seigneurs ecclésiastiques se sont montrés particulièrement vigilants119. L'intervention royale devient nécessaire à la suite du saccage de Condrieu par une armée viennoise, en 1330120, et l'impossibilité de faire appliquer les traités signés entre les deux églises. Lors de la Guerre de Cent Ans, la ville est victime de plusieurs ravages, notamment ceux faits par Héracle, seigneur de Rochebaron, qui tente de mettre les territoires du Gévaudan, du Velay, du Valentinois et du Lyonnais sous la coupe du duc de Bourgogne, alors allié au roi d'Angleterre121.

La région ravagée se relève lors d'une période de tranquillité qui précède les troubles de religion. Le développement de l'imprimerie à Lyon, dont la vitalité et la production ne sont dépassées que par celles de Venise, Paris, Anvers et Francfort122, diffuse la Réforme protestante au XVIe siècle.

116 Théodore Ogier, La France pas cantons et par communes. Département du Rhône. Arrondissement de Lyon, Lyon,

Imprimerie Bajat, 1856, p. 189.

117 Ces conflits entre églises peuvent surprendre, mais au Moyen Âge, dans le Lyonnais, l'autorité féodale est détenue par

l'Église. Ainsi, Condrieu fait partie du patrimoine foncier de l'Église de Lyon et celle-ci y protège sa juridiction. En 1307, l'Église de Lyon cesse d'être une puissance féodale, mais garde ses droits seigneuriaux dont sa juridication haut, moyenne et basse sur la ville de Lyon et exerce seule le droit de justice dans ses seigneuries, dont fait partie Condrieu. L'archevêque exerce le premier degré de juridiction jusqu'en 1562. dans Annie Charnay, Justices seigneuriales du

Lyonnais, Lyon, Archives départementales du Rhône, 1990, p. 3.

118 Ennemond Fayard, Essai sur l'établissement de la justice royale à Lyon, Lyon, Glairon-Mondet, 1866, p. 75. 119 Annie Charnay, Justices seigneuriales…, p. 3.

120 N.-F. Cochard, Condrieu : notice historique..., p. 49.

121 Philippe Maurice, La famille en Gévaudan au XVe siècle (1380-1483), Paris, Publications de la Sorbonne, 1998p. 58.,

N.-F. Cochard, Condrieu : notice historique..., p. 49.

122 Elsa Kammerer, « La lettre biblique et l'esprit lyonnais. Humanisme et pensée religieuse à Lyon 1510-1560 », Yves

Krumenacker (dir.), Lyon 1562, capitale protestante : une histoire religieuse de Lyon, Lyon, éditions Olivétan, 2009, p. 60.

Les idées pénètrent les différents milieux de la société et la province du Lyonnais est sous tension. Les répressions constantes des catholiques, afin d'endiguer la progression des idées réformées, débouchent sur des violences. Condrieu est prise par les Réformés en janvier 1562, quelques mois avant que Lyon ne tombe elle aussi123. La capitale du Lyonnais s'érige, par la suite, en bastion de catholicité, en multipliant les couvents et en augmentant l'encadrement clérical de la société. D'ailleurs, la place prépondérante que prend l'Église dans le Lyonnais est caractéristique de cette province124. La Réforme catholique y trouve un terrain fertile, qui se propage partout dans la province. Des gens nobles de Condrieu, qui retombent aux mains des protestants qui saccagent la ville en 1567, veulent faire de la ville un centre religieux dans la lutte que mène Lyon contre Genève, la Rome protestante. La fin des guerres de Religion amène à Condrieu le duc de Nemours, qui tente de créer un état indépendant avec Lyon comme capitale. Face à l'échec de son projet, il saccage le Lyonnais avant l'intervention d'Henri IV, en 1594125. La fin de la Ligue met un terme, pour Condrieu, à de nombreuses années de conflits armés qui ont détruit la ville à de nombreuses reprises. À partir du XVIIe siècle, et jusqu'à la période pré-révolutionnaire, le Lyonnais n'est plus affecté par les conflits armés qui subsistent ailleurs. Cette tranquillité permet à Condrieu de se développer pour devenir, à la veille de la Révolution, la ville la plus peuplée du Lyonnais, après Lyon126. Après les troubles de religions, le Lyonnais n'est plus affecté par les conflits armés qui subsistent ailleurs.

Enfin, les violences reviennent frapper la petite ville à la fin de l'Ancien Régime. La montée de l'anxiété mène à des mini-paniques dans de nombreuses localités de France, au printemps 1789. Des révoltes face à une crise de subsistance et la crainte des vagabonds catalysent les vagues sentiments d'incertitude, de doute, et de terreur provenant des réformes issues des états généraux, et d'un possible effondrement de toutes les forces de l'ordre public127. La crise de mi-juillet transforme ces doutes en certitude devant l'effondrement de l'autorité, qui se produit à la fois dans la capitale et en

123 F. Bayard, Vivre à Lyon..., p. 126, Adolphe Joanne et J. Ferrand, De Lyon à la Méditerranée, Paris, Hachette, 1862, p.

32.

124 Michel Ollion, « Épisodes de justice à Condrieu au XVIIIe siècle », Condrieu et sa région : actes des journées d'étude,

11 et 12 octobre 1997, Condrieu, Union des Sociétés Historiques du Rhône, 1998, p. 36.

125 N.-F. Cochard, Condrieu : notice historique..., p. 64

126 Thierry Giraud, « Le cahier des plaintes et doléances du tiers état de la ville de Condrieu », Condrieu et sa région :

actes des journées d'étude, 11 et 12 octobre 1997, Condrieu, Union des Sociétés Historiques du Rhône, 1998, p. 84,

J.-P. Gutton, Villages du Lyonnais…, p. 12.

province. De fait, « [l’] apparent relâchement des forces de l'ordre, conjugué au sort incertain du monarque, [...]sembl[ent] livrer les campagnes aux attaques si redoutées des «brigands»128». L'événement, appelé la Grande Peur, touche Condrieu en juillet 1789. Le refus des innovations et la crainte des méthodes modernes, largement détaillées dans les cahiers de doléances129, mènent à la destruction de plusieurs installations, qui innovent en intégrant des technologies qui économisent sur la main d'œuvre ou le temps de fabrication130. Le 28 juillet 1789, surnommé « le jour des brigands », une troupe de quatre mille brigands entre dans Condrieu, ravage la ville, brûle des gerbiers et empoisonne des puits, avant d'occuper le bourg de Chavaney131.