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L’enseignement et apprentissage d’une langue étrangère en contexte plurilingue

Partie IV : Interprétations, discussion des résultats et perspectives

1. L’enseignement et apprentissage d’une langue étrangère en contexte plurilingue

Le Mozambique ainsi qu’une grande partie des pays en Afrique est marqué par la présence de plusieurs langues, ce qui donne à ce pays un statut plurilingue par excellence. Comme nous pouvons voir dans la carte linguistique de Patel et Cavalcanti (2013, p.279), nous avons dans ce pays 20 langues africaines qui sont partagés par 23 millions d’habitants. A part ces langues, nous avons comme langue de communication officielle et de scolarisation, la langue portugaise. Cette langue est apprise dès le début de scolarisation des élèves en contexte d’enseignement bilingue. Ensuite, les élèves passent de l’enseignement bilingue vers un enseignement plurilingue en entrant tout d’abord en contact avec l’anglais et plus tard avec le la langue française. Alors ce mélange de langues depuis l’acquisition des langues mozambicaines jusqu’à l’apprentissage du portugais et d’autres langues étrangères a certainement des conséquences implicites ou explicites sur le regard que les apprenants ont

vis- à- vis de leur apprentissage en situation d’enseignement. La figure 73 montre la répartition des langues bantu au Mozambique

Figure 73. Carte linguistique des langues bantus au Mozambique

1.1. La présence des langues dans la vie des futurs enseignants de

Français Langue Étrangère.

La première situation que nous avons pu constater quand nous regardons les réponses concernant le niveau de connaissance des langues et leur fréquence d’usage, c’est qu’à part les langues européennes tels que le portugais, le français et l’anglais, nous ne trouvons aucune langue qui soit plus dominante par rapport aux autres. La distribution de l’effectif en langues mozambicaines est très équilibrée. En Regardant les langues dominantes dans chaque ville : L’Emakhuwa est la langue la plus dominante de Nampula et nous avons seulement 18,5 % de l’effectif total ayant affirmé qu’ils ne parlent pas ni comprennent cette langue. Pour l’Echuwabo à Quelimane le pourcentage est de 14,3 %. C’est-à-dire que 85% des étudiants suivant la formation dans cette ville ont des notions ou parlent couramment cette langue. Les pourcentages sont un peu élevés à Beira (37,1% pour le Cisena) et Maputo (32,4% pour le

Xichangana) des effectifs qui ne parlent pas la langue locale. La cause de l’existence des non-locuteurs peut s’expliquer par le fait d’avoir la responsabilité de former des enseignants non seulement pour la ville concernée mais aussi pour la région où ils se retrouvent. Le tableau 79 montre la distribution de l’effectif par ville. Il nous indique le taux des apprenants qui ne maîtrisent pas les langues locales dans ces villes.

Tableau 79. Connaissance des langues dans les villes enquêtées.

La figure 74 indique que la présence des langues chez nos futurs enseignants de FLE est dominée par la langue portugaise, ce qui est normal dans un pays lusophone. Elle montre aussi que la maîtrise de la langue française qui est la langue de l’apprentissage ne s’eloigne pas beaucoup de l’anglais. Nous avons déjà evoqué les raisons de la forte présence de l’anglais au Mozambique. Ce pays partage ses frontières avec des pays anglophones. Il faut bien comprendre que ces futurs enseignants sont dans des situations d’apprentissage où ils ont leurs langues maternelles africaines, maitrisent le portugais et apprennent la langue française. Alors, cet apprentissage en langue étrangère est marquée par la présence des langues mozambicaines et de l’anglais. Il est clair que la présence de toutes ces langues va provoquer des réactions parmi les apprenants et les formateurs.

Emakhuwa Echuwabo Cisena Xichangana

% en ligne % en colonne 128 110 53 97 89,5 76,9 37,1 67,8 45,7 40,3 19,1 37,0 98 91 99 34 93,3 86,7 94,3 32,4 35,0 33,3 35,7 13,0 15 61 69 70 18,5 75,3 85,2 86,4 5,4 22,3 24,9 26,7 39 11 56 61 51,3 14,3 73,7 79,2 13,9 4,0 20,2 23,3 280 273 277 262 69,1 67,2 68,4 64,5 100,0 100,0 100,0 100,0 0_Não falo nem compreendo 0_Não falo nem compreendo 0_Não falo nem compreendo 0_Não falo nem compreendo Beira Maputo Nampula Quelimane Ensemble Effectif/poi ds

Figure 74. Récapitulatif du niveau de connaissance des langues.

Le retour à notre questionnement initiale nous conduit à l’une des questions que nous nous sommes posées : Sous quelles formes et de quelle façon, les contextes plurilingues dans

lesquels sont immergés les futurs enseignants de FLE, influence-t-ils le processus d’enseignement et apprentissage ? En regardant la figure 75 sur la similarité des langues dans

le parcours de formation des enseignants de Français Langue Étrangère, nous pouvons remarquer que ceux qui parlent couramment la langue portugaise sont plutôt les même qui utilisent fréquemment cette langue. L’arbre montre aussi qui les mêmes apprenants assument avoir des connaissances en anglais. Par rapport à l’utilisation du portugais en classe (português na sala) notre arbre nous montre que cette utilisation est associée à l’utilisation des langues nationales en classe. Alors comme nous pouvons le constater, la formation en FLE se passe dans des situations où le portugais et les langues nationales du Mozambique sont bien présentes.

Le niveau de langue française est lui aussi associé à la fréquence d’usage de cette langue par les étudiants. En regardant l’arbre de similarité nous notons que l’usage du FLE en salle de classe est directement associé à la fréquence d’usage du Echuwabo dans un premier temps et des langues Emakhuwa et Cisena qui complètent le degré de proximité d’utilisation du FLE en classe. Ceci nous montre clairement que notre hypothèse selon laquelle, sachant

contact sans même que les formateurs ne s’en aperçoivent, nous affirmons que le plurilinguisme influence l’apprentissage des futurs enseignants de FLE. est ici validé.

Figure 75. Arbre de similarités CHIC

Si notre futur enseignant suit ce parcours pour devenir enseignant, il est censé parler cette langue durant les activités de classe que ce soit sous la surveillance du formateur soit quand il est autonome. Ainsi, quand il deviendra enseignant dans des écoles secondaires mozambicaines gardera à la limite ce niveau d’exigence auprès de ses élèves. Cependant, la

figure 76 montre que si la présence du portugais, des langues nationales (et autres langues)

devrait être presque nulle, elle n’est pas différente de l’usage de la langue française, ce qui valide notre hypothèse initiale selon laquelle si les apprenants sont plurilingues, ils font cet

apprentissage par transfert vers le FLE des connaissances liées à la langue portugaise et aux langues bantu. Alors nous pouvons conclure que la formation de nos enseignants de FLE se

déroule dans une ambiance explicitement plurilingue. Candelier (2014, p. 389) affirme que la compétence plurilingue et multiculturelle est caractérisée dans le cadre commun de référence en langues par le fait qu’elle ne consiste pas en « une collection de compétences à communiquer distinctes et séparées suivant les langues » mais bien en une compétence plurilingue et pluriculturelle qui englobe l’ensemble du répertoire langagier à disposition. Alors il s’agit dans la réalité actuelle de ne pas voir l’enseignement et l’apprentissage des langues d’une manière isolée, mais plutôt, avoir la conscience de la pluralité des apprenants et de l’importance capitale de son plurilinguisme et multiculturalisme.

Figure 76. Contexte et utilisation des langues

1.2. Regard sur le plurilinguisme

Puren (2014 p 21-38) considère que les classes de langue sont elles-mêmes des microsociétés plurilingues et multiculturelles où les apprenants doivent vivre et travailler ensemble, et la meilleure manière de les former à toutes ces différentes composantes d’une compétence culturelle complexe est assurément d’y organiser les cours de manière à ce que ces classes ne soient pas seulement un milieu de préparation à la société extérieure, mais un milieu d’entraînement immédiat à des composantes qui sont identiques dans les deux sociétés, parce que les enjeux y sont les mêmes. Il est plus que temps désormais, en didactique des langues-cultures, de ramener la composante interculturelle à sa juste place parmi l’ensemble des composantes de la compétence culturelle, de manière à permettre aux enseignants de gérer la problématique culturelle dans toute sa complexité, de manière plus efficace parce que mieux adaptée à la diversité des publics, des objectifs et des environnements d’apprentissage.

Sur la question [V5] nous avons demandé si les caractéristiques de la langue maternelle des apprenants facilitaient ou non l’apprentissage du Français Langue Étrangère. Près de 35% des individus ont dit que leur langue maternelle ne facilitait pas l’apprentissage du FLE et le reste pense qu’elle peut avoir une influence dans l’apprentissage des deux langues. La question [V5] est complétée par celle qui concerne le plurilinguisme [V7], où nous avons cherché à savoir si parler plus d’une langue facilitait l’acquisition du FLE. Le résultat nous montre qu’il y a environ 38% des étudiants qui ont affirmé que leur bilinguisme ou plurilinguisme n’influence pas leur formation. Alors si nous regardons les deux questions ensembles dans le croisement fait sur le tableau 80, nous avons entre 75 à 78 % de notre

effectif total qui lie l’apprentissage du FLE aux savoirs acquis dans d’autres langues. La situation présente ici est une preuve de la conscience des étudiants par rapport aux influences des langues locales dans l’apprentissage. Le bilinguisme ou plurilinguisme auquel ces étudiants sont soumis ne peut pas être écarté de leur parcours de formation. C’est exactement ce parcours qui va dans leur vie professionnelle comme enseignant leur permettre d’identifier, d’analyser et juger les difficultés d’apprentissage de leurs élèves.

Tableau 80. Croisement des questions [V5] et [V7]

Bourguignon et Candelier (2014, p. 89) proposent une réflexion sur le plurilinguisme. S’il est vrai qu’apprendre, c’est partir du connu pour y intégrer le nouveau, pourquoi ne s’interroge-t-on pas, le plus souvent, sur les liens que l’élève va inévitablement établir entre la description grammaticale qu’on lui fournit de la langue étrangère et la connaissance implicite et explicite qu’il a de sa langue maternelle ? Et pourquoi n’utilise-t-on pas, lorsque cela est possible, cette connaissance de la langue maternelle pour faire construire les notions grammaticales dont l’élève aura besoin pour comprendre le fonctionnement de la langue étrangère ? Nous ne pouvons pas nous satisfaire d’une situation dans laquelle l’élève se trouve confronté à des descriptions grammaticales dont les principes et les terminologies divergent sans raison d’une langue à l’autre. En fait, dans cette situation, on s’en remet implicitement à l’élève pour qu’il effectue de lui-même le travail de comparaison et de synthèse que ses maîtres se refusent à entreprendre.

« Apprendre, c’est faire des hypothèses à partir à la fois du connu et de ce que l’on perçoit du nouveau, afin, soit d’intégrer ce nouveau dans le connu, soit d’aménager le connu pour qu’il puisse intégrer le nouveau » (Bourguignon et Candelier, 2014, p. 92) Effectif/poids % en ligne % en colonne 23 35 35 55 148 15,5 23,6 23,6 37,2 100,0 62,2 50,7 33,3 27,0 35,7 7 27 53 87 174 4,0 15,5 30,5 50,0 100,0 18,9 39,1 50,5 42,6 41,9 3 6 12 26 47 6,4 12,8 25,5 55,3 100,0 8,1 8,7 11,4 12,7 11,3 4 1 5 36 46 8,7 2,2 10,9 78,3 100,0 10,8 1,4 4,8 17,6 11,1 37 69 105 204 415 8,9 16,6 25,3 49,2 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0

1_De forma nenhuma

2_ algumas vezes 3_muitas vezes 4_sempre Ensemble 1_Não concordo de forma nenhuma 2_Não concordo muito 3_estou um pouco de acordo 4_estou de acordo Ensemble

Pour Bourguignon et Candelier, il convient de considérer la reconnaissance de l’importance du déjà-connu qui forme un système dans lequel le nouveau doit s’intégrer, pour que se constitue un nouveau système, à la conception selon laquelle l’apprentissage est un phénomène actif, au cours duquel l’apprenant procède par conjectures. C’est la conception constructiviste selon Jean Piaget, dans laquelle l’enfant est le bâtisseur actif de ses propres structures intellectuelles. Alors en ayant conscience de cette situation, les interférences de la langue maternelle dans l’apprentissage de la langue étrangère même si elles sont considérées par les behavioristes comme résultat de mauvaises habitudes contractées qui troublent l’élaboration des bonnes habitudes en langue étrangère, cette conception est aujourd’hui fortement mise en cause étant donné que les observations menées sur des bilingues parfaits ou presque et sur l’acquisition précoce de deux langues en milieu naturel ce qui arrive souvent au Mozambique montrent il y a là aussi des interférences. Il n’y a pas de cloison étanche entre les deux langues. Les interférences sont donc inévitables. En d’autres termes nous pouvons affirmer que les interférences sont résultat d’une activité d’apprentissage. Il faut être conscient que ces interférences ne doivent pas avoir lieu sans un processus de supervision et guidage du côté de l’enseignant. Il faut que les langues maternelles soient vues comme un apport à l’apprentissage et non plus comme un problème à éviter. Dans une réalité comme celle du Mozambique où l’enseignant, les apprenants, les concepteurs des programmes et tous les intervenants des processus d’enseignement et apprentissage sont bilingues il convient que l’attention aux différences originaires et linguistiques soit l’objet d’analyses récurrentes. Dans l’enseignement des langues, il faut cesser de considérer les apprenants comme des incompétents. Ils disposent d’une expérience très riche, celle de leur vécu de locuteur-auditeur de leurs langues maternelles. Un exemple de l’intégration de la langue maternelle dans l’enseignement de l’allemand a été évoqué en France comme le signalent Bourguignon et Candelier :

« Les instructions de 1981 pour l’enseignement de l’allemand dans le second cycle en France prévoient que dans la mesure où le transfert aura été réussi, les considérations théoriques sur la langue allemande pourrons être élargies à une comparaison avec la langue maternelle. Elles prévoient que ces études comparatives, qu’elles portent sur la grammaire ou le lexique, n’auront cependant jamais pour but d’introduire ou d’expliquer des faits de langue rencontrés pour la première fois. » (Bourguignon et Candelier, 2014, p. 104)

Pour analyser les réponses à la question [V6] où nous voulons savoir si les étudiants établissent un lien entre leurs langues maternelles et la culture mozambicaine, nous nous appuyons sur le Guide pour l’élaboration des politiques linguistiques éducatives en Europe

cité par Candelier et Pietro (2014, p. 183). Ce guide propose que les politiques éducatives doivent prendre en charge à la fois :

- Une formation plurilingue qui consiste à valoriser et à développer les répertoires linguistiques des locuteurs, dès les premiers apprentissages et tout au long de la vie. Ces répertoires incluent dans le parcours de formation de l’individu les langues nationales, celles de l’unification des peuples à des différentes origines (comme le portugais au Mozambique) et étrangères.

- L’éducation au plurilinguisme comme éducation à la tolérance linguistique, qui constitue une des conditions du maintien de la diversité linguistique. Il s’agit dans ce cas à la sensibilisation de l’apprenant à la tolérance de celui ou celle qui parle une langue qui est différente de la sienne.

Alors pour ce qui concerne nos répondants, nous avons 80 % de l’effectif total qui met en évidence la relation entre leurs langues maternelles et la langue cible. Ce phénomène se rapproche des approches plurielles dans l’enseignement des langues qui sont définies par Candelier et Pietro (2014, p. 388) comme toute approche mettant en œuvre à la dois plusieurs variétés linguistiques et culturelles. En tant que telle, une approche plurielle se distingue d’une approche singulière, dans laquelle le seul objet d’attention est une langue ou une culture particulière, prise isolement.

Ainsi, pour une question d’actualité, nous avons déjà signalé le passage de la recherche en didactique des langues vers une recherche en didactique des langues-cultures. Cette conscience d’attache des langues aux cultures devrait faciliter les questions interculturelles des étudiants. Ils doivent alors comprendre leur propre contexte de formation où ils ne partagent pas forcément les mêmes langues et les mêmes habitudes culturelles et la question de l’intervention de la culture cible dans l’apprentissage de la langue française. C’est l’idée à laquelle ils doivent se confronter pour comprendre les difficultés de leurs futurs élèves et les situations spécifiques d’apprentissage qui peuvent créer des chocs culturels.

1.3. Vers un monolinguisme, une nouvelle réalité au Mozambique ?

A ce que touche notre propre parcours personnel, quand nous avons fait notre école primaire, le défis que nos enseignants avaient, était de nous faire parler portugais. Il n’y avait dans notre groupe de formation primaire, aucun collègue qui n’était pas capable de se communiquer dans la langue Xichangana.

Une situation qui nous était inattendue quand nous avons décidé de réaliser ce travail de recherche, est la présence, dans notre échantillon, d’étudiants qui ne parlent au départ avant

d’entrer dans les cours des langues étrangères que la langue portugais. Le gouvernement Mozambicain a introduit, il y a une dizaine d’années, l’enseignement bilingue et l’une des raisons fondamentales en est que « les élèves ont du mal à comprendre les contenus en langue portugaise ». Notre expérience quand nous avons suivi l’enseignement primaire, nous ne parlions portugais que dans la salle de classe et quand l’enseignant se rapprochait. Les explications en mathématiques ou même des cours de portugais étaient faites en Xichangana dans nos groupes de travail. Ce n’est que plus tard que nous avons développé de réelles compétences communicatives en langue portugaise. La figure 77 montre une tendance de l’apparition d’une jeunesse mozambicaine qui n’est capable de communiquer qu’en portugais. La question que nous nous posons à l’heure actuelle de l’avenir pour les langues mozambicaines.

Figure 77. Le monolinguisme des formants

Le tableau 81 montre que la question des langues mozambicaines devrait dans un avenir proche être objet de recherches des sciences du langage. Nous identifions, dans la ville de Beira, 17% des hommes et 36% des femmes qui ne parlent aucune langue mozambicaine. Situation pareille retrouvée avec 32% d’hommes et 35% des femmes dans la ville capitale du Mozambique, Maputo. Cette situation est moins notable dans les villes de Nampula où 9% des hommes et 16% des femmes ne parlent pas non plus des langues mozambicaines et Quelimane avec10% des hommes et 16% des femmes qui ne sont pas capables de communiquer en langues du Mozambique.

Tableau 81. Le monolinguisme des formants

ville Homme total % Femme total %

Beira 19 111 17% 13 36 36%

Maputo 16 50 32% 20 57 35%

Nampula 5 53 9% 5 31 16%