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Il est rare qu’une étude paratextuelle une quelconque importance donnée aux remerciements, au glossaire ou à l’avertissement. Ce sont pourtant des éléments paratextuels comme le titre, la préface, la couverture, ou encore l’épigraphe et ils sont tout aussi significatifs dans la relation du texte avec son hors-texte.

Dans le cas de notre corpus, ces éléments requièrent aussi une signification dans la mesure où ils permettent d’inscrire le texte dans un champ littéraire et générique particuliers. Avant de poursuivre notre propos, il est nécessaire de préciser que l’avertissement concerne 2084,

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La Fin du Monde ; tandis que le glossaire et les remerciements sont situés dans Le Silence de Mahomet. Quelle est donc leur fonction pour le discours des deux auteurs ?

a- L’avertissement

L’avertissement est une petite note que le lecteur trouvera juste avant le début du texte et généralement après l’épigraphe. La note en question est introduite au préalable du texte pour mettre en garde le lecteur sur un point important. Cette mise en garde qualifiée par Eric Bordas de « pacte énonciatif »109 peut parfois concerner la fiction avérée du texte qui va suivre afin que le lecteur ne fasse pas de raccourcis entre ce dernier et le réel. Elle est surtout introduite pour éviter une quelconque procédure judiciaire pour diffamation ou autre. Un auteur peut parfois l’insérer pour préciser le genre auquel appartient le texte, ou à quel moment il l’a écrit et dans quel contexte. L’avertissement peut aussi émaner de la maison d’édition qui précise par exemple l’objectif de l’édition ou de réédition, si certains passages ont été supprimés ou ajouté, etc.

Dans 2084, c’est Boualem Sansal qui prend la parole pour apporter des précisions sur son œuvre. Voilà ce qu’il précise :

« Le lecteur se gardera de penser que cette histoire est vraie ou qu’elle emprunte à

une quelconque réalité connue. Non, véritablement, tout est inventé, les personnages, les faits et le reste, et la preuve est que le récit se déroule dans un futur lointain dans un univers lointain qui ne ressemble en rien au nôtre. C’est une œuvre de pure invention, le monde de Bigaye que je décris dans ces pages n’existe pas et n’a aucune raison d’exister à l’avenir, tout comme le monde de Big Brother imaginé par maître Orwell, et si merveilleusement conté dans son livre blanc 1984 n’existait pas en son temps, n’existe pas dans le nôtre et n’a réellement aucune raison d’exister dans le futur. Dormez tranquilles, bonnes gens, tout est parfaitement faux et le reste est sous contrôle. » (p. 11)

Dans cet avertissement, l’auteur insiste en premier lieu sur le fait que son roman est le produit de sa propre imagination et que la fiction n’a pas et n’aura aucune raison de se réaliser. Ceci dit, nous sommes en droit de nous interroger sur les raisons d’une telle

109 Bordas Éric. « Stendhal au miroir du roman : stratégies de l'énonciation narrative dans La Chartreuse de

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démarche. En général, un récit futuriste aussi vraisemblable qu’il puisse être a peu de chance d’entrer en collision avec la réalité actuelle. Dans Les Hommes Protégés de Robert Merle, récit futuriste qui raconte un monde sous domination féminine réduisant en esclavage les hommes, l’auteur n’a pas éprouvé le besoin de rassurer ses lecteurs en leur indiquant que son histoire n’est pas réalisable car elle se situe dans un avenir incertain. Il n’a même pas pris la peine de se dédouaner auprès des femmes sur la nature fictive de son récit qui critique les dérives du féminisme bien que Merle n’ait jamais caché son appréhension à ce sujet.

En outre, l’avertissement de Sansal nous semble inutile en tant que tel, mais non moins significatif. Si on s’en tient aux nombreuses interviews données pour expliquer son texte, et aussi du lexique particulier du récit allusif à la religion110, son récit est bien ancré dans la réalité et le sujet dont il est question est bien le sujet de l’actualité numéro un. Doit-on rappeler à ce propos le contexte historique et politique envahi par les questions du terrorisme islamiste et des guerres au nom de la religion musulmane. Doit-on également rappeler que l’œuvre qui a atteint des records de vente en France en 2015 est bien Le Traité sur la

Tolérance de Voltaire.111 Nous noterons aussi que tous les romans de Sansal depuis Le

Serments des Barbares jusqu’à 2084 sont liés à l’actualité. Par conséquent, nous nous

permettons d’avancer que cette mise en garde est à l’opposé de son propos : elle dit le contraire de ce qu’elle énonce explicitement. À travers cet avertissement, l’auteur suggère au lecteur de ne pas prendre son récit comme un divertissement. Le monde de Bigaye est bien le monde qui attend le lecteur s’il ne s’oppose pas aux dérives religieux de son époque.

Le deuxième point que nous soulevons lors de cette note, c’est que Sansal assume la relation « filiale » qui existe entre son roman et celui de George Orwell 1984 ; relation que le titre suggère déjà. Dans le titre, nous l’avons abordée en l’inscrivant dans une perspective hypertextuelle que Maingueneau désigne par la captation. En proclamant dans l’avertissement son hommage à « Maitre Orwell » et à son roman 1984 « si merveilleusement conté », Sansal entend conditionner la réception que fera le lecteur de son roman. Cela lui permet aussi de l’inscrire sous les traits d’une dystopie112. Par conséquent, comme le communisme en 1948 menaçait le monde selon Orwell ; l’humanité aujourd’hui fait face à une autre forme de totalitarisme, en l’occurrence religieux selon Sansal.

110 Compte tenu de l’importance du lexique et de la réception médiatique pour le discours du roman, nous les aborderons respectivement dans la deuxième partie et dans la troisième.

111 Voir à ce propos l’article paru dans le Nouvelobs et Rue 89 le 13 Janvier 2015, soit à peine une semaine après les attentas de Charlie-Hebdo et dont le titre est : « Les ventes du Traité sur la Tolérance explosent ».

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b- Le glossaire et les remerciements

Le glossaire est une liste de mots qui représente un lexique spécifique à un ouvrage ou à une langue. On le retrouve soit au début ou bien à la fin d’une œuvre. Le glossaire est une aide proposée au lecteur afin qu’il puisse comprendre le propos de l’auteur lorsqu’il rencontrera l’un des mots de la liste lors de sa lecture. Cet élément paratextuel peut être voulu par l’auteur lui-même ou bien par la maison d’édition.

Quant aux remerciements, c’est un paragraphe en général court, introduit à la fin de l’œuvre à travers lequel l’auteur adresse sa gratitude à des personnes, des associations, des autorités qui lui ont permis ou l’ont aidé pour réaliser son œuvre.

Dans Le Silence de Mahomet, Bachi dresse au début de son roman une liste de trente et un mots de la langue arabe, retranscrits en français et classés par ordre alphabétique. La liste contient une partie des mots arabes que l’auteur utilise dans son texte113. La majorité de ces mots sont des noms propres qui renvoient à des prophètes tels que nommés en arabe comme

Issa qui veut dire Jésus. Ou alors des régions et des villes de l’Arabie comme le Cham pour la

région Syrienne et libanaise, le Hedjaz pour désigner le centre de la péninsule arabique, ou encore Mekka pour la Mecque. Il y a aussi des noms communs comme Qurra qui veut dire lecteurs du Coran ou alors Hilf pour parler d’une fédération ou d’une coalition. Le glossaire est aussi accompagné d’une carte géographique qui montre l’Arabie au temps du prophète de l’Islam.

Dans les remerciements, Bachi mentionne tous les auteurs dont les œuvres traitent de l’Islam et de son prophète. Il remercie entre autre Mahmoud Hossein pour son ouvrage

Al-Sirà, Le prophète de l’Islam raconté par ses compagnons et rend hommage à Assia Djebar

pour avoir écrit son roman Loin de Médine dans lequel elle dévoile une des « facettes les plus

intéressantes de la vie de Mahomet, sa relation avec les femmes » (p.395). L’auteur

mentionne aussi toutes les œuvres qui l’ont aidé à élaborer son récit comme Les Chroniques de Tabari, la biographie du prophète d’Ibn Hicham et aussi la traduction du coran par Denise Masson. A quoi servent alors ces deux éléments paratextuels dans le roman ?

Le Glossaire et les remerciements dans Le Silence de Mahomet servent à ancrer le récit dans un cadre ou un espace historique et biographique. L’indication des mots arabes utilisés,

113 Il existe dans le récit d’autres mots que le glossaire ne contient pas. Nous étudierons ce point dans la deuxième partie.

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la carte géographique insérée ainsi que les remerciements que nous pouvons reconnaitre comme une sorte de bibliographie font oublier le récit fictionnel que propose l’auteur en le faisant apparaitre comme un ouvrage historique ou une biographie certifiée. Sachant que Bachi prend des libertés avec le discours coranique, le modifiant sans cesse et le rationalisant outre mesure, ces deux éléments paratextuels instaurent une sorte de légitimité autour du récit et font presque oublier au lecteur la mention roman sur la couverture. Ils permettent de donner plus de poids aux nouvelles informations que Bachi entend délivrer, voire même corriger par rapport aux interprétations musulmanes autour de la vie du prophète.

-Que ce soit pour l’avertissement le glossaire ou les remerciements, il nous parait évident que tous ces éléments contribuent au discours tenu par les deux auteurs à propos de la question religieuse. Sansal à travers son avertissement et son affiliation à George Orwell revendique sa dénonciation de l’Islamisme en le mettant sur le même pied d’égalité avec les mouvements totalitaires du siècle précédent. Tandis que Bachi par le biais du glossaire et des remerciements marque son œuvre par le sceau de la vérité historique et légitime sa contradiction au discours religieux.