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L'attitude sociale et le problème de son changement

Dans le document introduction à la psychologie sociale (Page 30-35)

CHANGEMENT D’ATTITUDE ET ROLE PLAYING

1.2. L'attitude sociale et le problème de son changement

1.2.1. Délimitation du concept

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Nous venons de constater que les réponses données aux questions

« vous pour ou contre l'ancien système d'examen ? » et « Êtes-vous pour ou contre la cigarette ? » subissent une modification très significative à la suite d'un processus déclenché par les traitements expérimentaux décrits ci-dessus. Quel est à présent le statut concep-tuel de ces réponses ?

Il est évident que les données de base des recherches relatées sont des réactions comportementales. C'est le comportement « réponse à une question posée par l'expérimentateur » qui est changé. Notons que le changement de ce comportement ne peut être attribué à un change-ment du stimulus ou de la situation comportechange-mentale. En effet, les questions et la situation concrète dans laquelle la réponse est provo-quée sont parfaitement identiques pour les groupes expérimentaux et les groupes témoins. Aussi les variables de personnalité et d'expérien-ces individuelles antérieures ne peuvent-elles influer d'une façon sys-tématique sur les différences entre les réponses qui ont été fournies.

La seule catégorie de facteurs qui puisse être invoquée est la mani-pulation [20] expérimentale de ce qu'on pourrait appeler le traitement pré-situationnel, « pré- » signifiant antérieur par rapport à la situation concrète dans laquelle la réponse est provoquée. Pour les recherches en question, ces facteurs expérimentaux pré-situationnels sont contrô-lés par le chercheur, et c'est précisément leur effet résiduel qui a dé-terminé les réponses, données de base de notre analyse.

Soulignons ici que la validité de ce raisonnement dépend de la neu-tralité des facteurs situationnels, c'est-à-dire que les caractéristiques évaluatives (qui indiquent la valeur que l'objet a pour la personne) de la réponse doivent être déterminées au strict minimum par ces facteurs

situationnels. Ils peuvent bien sûr déterminer les caractéristiques non-évaluatives, par exemple la langue dans laquelle la réponse est don-née, ou les composantes motrices de la réponse (écrite, orale, au moyen d'un bouton, etc.). Il importe cependant que l'expérimentateur et tous les autres facteurs de la situation (externe ou interne) détermi-nent aussi peu que possible - et idéalement en aucune mesure - le de-gré de « pour » ou de « contre », c'est-à-dire les caractéristiques éva-luatives de la réponse fournie par le sujet.

Si ces conditions sont réalisées, nous avons affaire à une catégorie de réactions comportementales d'une utilité particulière pour la psy-chologie sociale. Il s'agit en effet d'un comportement qui, dans ses ca-ractéristiques évaluatives, est déterminé au minimum par la situation concrète dans laquelle il est provoqué et au maximum par des facteurs que nous avons appelés pré-situationnels. Ce comportement sera donc particulièrement révélateur d'un état, d'une disposition du sujet par rapport à l'objet de la question.

Remarquons que la question posée doit être du type évaluatif et au-ra donc tau-rait à ce qu'on pense de, ce qu'on sent pour ou ce qu'on désire faire par rapport à un objet (personne, chose, idée, etc.) de valeur contestable.

Nous appelons la réponse que donne le sujet dans ces conditions de détermination évaluative maximale par des éléments pré-situationnels, une réponse, une réaction ou un comportement « attitudinal ».

L'attitude sociale sera dès lors cette variable psychologique induite d'une ou d'une série de réactions attitudinales ou, pour préciser davan-tage, d'une ou d'une série de réactions évaluatives a-situationnelles.

Le terme « a-situationnel » pourrait se traduire en anglais par « situa-tion free », ce qui ne signifie pas que la réacsitua-tion a lieu dans le vide, mais plutôt « in vitro », c'est-à-dire dans une situation créée par le chercheur de telle façon qu'elle ne comporte qu'un minimum de dé-termination évaluative. Le terme « situation free » est utilisé par ana-logie avec « culture free test », test qui permet de mesurer la variable d'intelligence au moyen d'un instrument qui ne présente qu'un mini-mum de facteurs culturels.

Illustrons la distinction que nous venons d'établir par un exemple concret : lorsqu'un directeur demande à sa secrétaire si elle aime son travail, la réponse de la secrétaire, si nuancée soit-elle, n'est pas un

comportement attitudinal, tout comme la participation à une manifes-tation [21] ou à la célébration d'un service religieux ne constituent pas pour autant des comportements attitudinaux. Ce sont là des réactions comportementales situationnelles, dont l'interprétation évaluative ris-que d'être déterminée par des facteurs situationnels proprement dits.

La réponse positive de la secrétaire peut être attribuée au désir de plai-re à son patron. Le comportement du contestataiplai-re et du dévot est peut-être motivé par une pression sociale quelconque. Si les réponses attitudinales, dans les trois cas précités, étaient émises dans une situa-tion où le désir de plaire et les autres pressions sociales auraient été soigneusement écartés, elles pourraient révéler une attitude bien diffé-rente de celle qu'on serait tenté d'inférer des réactions comportementa-les observées.

Cette distinction entre réaction attitudinale et réaction comporte-mentale par rapport à un même objet de valeur contestable n'est pas sans importance pour la psychologie sociale. Il ne nous appartient pas d'esquisser ici l'historique du concept d'attitude qui remonte aux origi-nes mêmes de la psychologie expérimentale (voir entre autres Mosco-vici (1962). Si la psychologie sociale attache tant d'importance au concept d'attitude sociale (voir entre autres Moscovici (1963), McGui-re (1966 et 1969 », c'est précisément parce que les socio-psychologues s'intéressent avant tout à l'étude scientifique du comportement social (le comportement pour autant qu'il est déterminé par le comportement des autres), et parce que ce comportement est conçu comme résultant d'une détermination extrêmement complexe dont un des facteurs prin-cipaux est le résidu évaluatif de comportements antérieurs.

Il est en effet très frappant de constater chez un même individu combien les multiples comportements qu'il émet par rapport à un mê-me objet ou catégorie d'objets sont caractérisés par une constance éva-luative qui contraste avec la variété considérable des stimuli concrets que présente la situation comportementale. Nous constatons en même temps une grande diversité inter-individuelle dans le comportement malgré l'identité évidente des situations comportementales envisagées.

Prenons l'exemple du comportement à l'égard des cigarettes : certains individus n'accepteront jamais de cigarette, quelle que soit la situation, tandis que d'autres profiteront de chaque occasion pour fumer. L'ex-plication de cette constance intra-individuelle et de la grande variabili-té interindividuelle ne profitera certes pas beaucoup d'une analyse

fouillée des facteurs situationnels tels le comportement d'autres per-sonnes présentes, les cigarettes à portée de la main, etc.

Ces phénomènes de constance et de variabilité trouveront plutôt leur éclaircissement dans les comportements antérieurs ou ce que l'on pourrait appeler l'histoire comportementale des individus examinés vis-à-vis de l'objet « cigarette ». Plusieurs processus psychologiques, tels l'apprentissage d'habitudes, la création et la satisfaction de be-soins, les informations acquises sur l'objet, etc., jouent ici un rôle dé-cisif. Et c'est dans un essai d'économie scientifique que l'on croit utile d'intégrer les effets résiduels évaluatifs de ces expériences antérieures dans le concept d'attitude vis-à-vis de l'objet en question. L'étude des attitudes sociales [22] par l'intermédiaire des réactions attitudinales provoquées par le chercheur devrait donc permettre une meilleure compréhension du comportement social qui paraît lui-même détermi-né en grande partie par cette disposition évaluative pré-situationnelle.

1.2.2. Le problème du changement d'attitude

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Le lecteur se rendra compte de l'ambition démesurée dont le cher-cheur fait preuve en utilisant le concept d'attitude sociale dans sa ten-tative d'expliquer et de prédire le comportement. Il ne faut pas être spécialiste en la matière pour saisir les difficultés énormes qui se po-sent au chercheur. Une attitude, si stable soit-elle, est par définition une variable dynamique, dont le développement est conditionné par toute expérience se rapportant à l'objet de l'attitude. Tout comme une attitude naît et se développe, à la suite d'interactions cognitives, affec-tives et comportementales avec un nouvel objet, l'attitude stabilisée demeure exposée à un apport nouveau d'informations, d'expériences émotionnelles et comportementales relatives au même objet ou à la même catégorie d'objets (personne, valeur, etc.). En réalité, une attitu-de ne peut se former, se développer et changer qu'en fonction d'inte-ractions comportementales directes ou indirectes avec son objet, d'où la difficulté inhérente à la différenciation du changement du compor-tement et du changement de l'attitude.

Ce problème n'est-il pas un faux problème créé par une distinction artificielle entre attitude et comportement ? Ce point de vue est défen-dable. Toutefois, on peut également préciser la problématique en ana-lysant ce que nous avons appelé le comportement attitudinal qui est un phénomène comportemental en soi et dont on peut supposer que son explication psychologique se fonde précisément sur ce résidu éva-luatif organisé et structuré des comportements antérieurs. Ainsi, l'ana-lyse de cette disposition stabilisée, structurée et organisée nous amè-nera à la découverte des lois qui régissent le changement des réactions attitudinales. Dès que la psychologie sociale aura acquis une connais-sance suffisante de la façon dont les différents aspects cognitifs et af-fectifs de ce système s'agencent, nous pourrons franchir une étape dans l'étude du changement du comportement attitudinal et, partant, dans l'étude du changement du comportement tout court. Ceci suppose évidemment que nous soyons à même de dévoiler les relations entre ce comportement et l'attitude préexistante ou encore entre le compor-tement situationnel et le comporcompor-tement évaluatif a-situationnel.

L'approche scientifique du problème du changement de l'attitude se fonde donc sur la conviction que l'homme change à travers ses actes et que les conséquences ou les résidus évaluatifs de ses comportements successifs s'organisent dans un système stable et dynamique, qui à son tour détermine en partie les comportements évaluatifs ultérieurs. Dé-couvrir les lois générales de l'organisation et du changement de ce système (abstraction faite du contenu concret de l'objet de l'attitude) constitue une des préoccupations centrales de la psychologie sociale.

[23]

Concrètement, on peut entamer cette entreprise en essayant d'iden-tifier soigneusement les facteurs qui déterminent les changements dans de multiples catégories de réactions attitudinales. La troisième partie de notre chapitre sera consacrée à l'exposition de deux exemples d'une telle approche, à savoir une première analyse, très rudimentaire, de facteurs affectifs-émotionnels, et une seconde analyse, plus pous-sée, de facteurs cognitifs.

1.3. Vers une interprétation scientifique

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