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Considérations finales

Dans le document introduction à la psychologie sociale (Page 75-81)

CHANGEMENT D’ATTITUDE ET ROLE PLAYING

1.4. Considérations finales

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Nous venons de présenter au lecteur - à titre d'initiation - quelques recherches, choisies parmi des milliers, qui ont trait au problème fon-damental et infiniment complexe du changement de l'attitude. Ce choix, comme nous l'avons déjà précisé, fut loin d'être représentatif de la méthode ou de la théorie. Le lecteur, resté sur sa faim et désireux de compléter son information personnelle, consultera avec profit la bi-bliographie française établie par Denise Jodelet et ses collaborateurs (1970). Parmi les ouvrages spécialisés ou synoptiques plus récents consacrés au domaine spécifique du changement d'attitude, nous men-tionnons les références suivantes : Abelson e.a. (1968), Feldman (1967), Greenwald e.a. (1968), Insko (1967), Kiesler e.a. (1968), McGuire (1968) et Zajonc (1968).

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En guise de conclusion, nous nous proposons de soulever très briè-vement quelques-unes des questions que le lecteur se sera sans doute posées au cours de la lecture de ce chapitre.

1.4.1. La réponse attitudinale et sa représentativité pour l'attitude

Dans la deuxième partie de notre exposé, nous avons essayé de commenter la distinction conceptuelle entre « attitude » et « compor-tement ». Connaître l'attitude d'un sujet par rapport à un objet de va-leur contestable devra nous aider à mieux prédire et comprendre son comportement vis-à-vis de ce même objet. Pour la plupart des expé-riences décrites ci-dessus, cette connaissance de l'attitude fut basée sur la réponse attitudinale fournie par les sujets à une seule question posée par l'expérimentateur. Il va de soi que cette réponse n'offre qu'une

ba-se très fragile pour une estimation valide de l'attitude en question. Si le but du chercheur était d'étudier p.e. l'attitude vis-à-vis de la réforme universitaire en soi, ou si son intérêt allait en premier lieu à une connaissance approfondie de l'attitude d'un individu bien déterminé, il est évident que la réponse attitudinale donnée à cette question unique ne serait que d'une utilité très relative. Il lui faudrait alors poser toute une série de questions, couvrant tous les aspects importants de l'attitu-de et menant à l'attitu-des réponses attitudinales représentatives l'attitu-de l'ensemble des réponses attitudinales que les sujets examinés pourraient émettre.

On peut ainsi, sur la base de ces réponses et en utilisant des techniques psychométriques très variées, caractériser l'attitude de chaque individu par ce qu'on appelle « un score d'attitude », et comparer les scores d'attitude obtenus pour les individus ou les groupes (v. par exemple Scott, 1968).

On comprendra que tel n'était point l'objectif des recherches expo-sées dans ce chapitre. Ce qui importait avant tout, c'était d'examiner si une réponse attitudinale - choisie plutôt arbitrairement - change en fonction de la présence ou de l'absence de l'un ou l'autre facteur dont on voulait vérifier l'effet prévu par l'une ou l'autre conception théori-que du processus du changement de l'attitude. Pour ce faire, il n'est pas strictement nécessaire de procéder à un mesurage très nuancé de l'attitude.

La validité évidente mais limitée de la réponse attitudinale utilisée mise à part, il importe surtout que telle réponse présente une marge confortable de fidélité, c'est-à-dire que les réponses attitudinales émi-ses par un même sujet à des moments différents - toutes les autres conditions restant égales - soient suffisamment constantes. Des tech-niques statistiques appropriées permettent d'ailleurs au chercheur d'at-tribuer, avec les garanties requises, le changement constaté dans les réponses attitudinales à l'influence du facteur expérimental qu'il a ma-nipulé. Le lecteur qui s'intéresse aux aspects méthodologiques et tech-niques de l'expérimentation en psychologie sociale consultera l'ouvra-ge français récent de G. et J.M. Lemaine (1969).

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1.4.2. Attitude et comportement :

l'engagement volontaire dans un faux plaidoyer devant la Radiodiffusion Télévision Flamande

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Nous avons fait remarquer plus haut que l'attitude n'est qu'un dé-terminant - pré-situationnel - du comportement vis-à-vis d'un objet de valeur contestable. Le but de la psychologie étant de comprendre le comportement concret manifesté dans des situations concrètes, il va de soi que l'étude scientifique des autres déterminants - situationnels - du comportement revêtira une grande importance dans l'ensemble de l'entreprise scientifique envisagée.

Nous aimerions illustrer ce problème en répondant à une autre question que le lecteur se sera certainement posée, à savoir quel est le nombre de nos étudiants qui ont refusé de tenir un faux plaidoyer de-vant la Radiodiffusion Télévision Flamande.

La réponse à cette question présente avant tout une importance mé-thodologique. Si les sujets les plus favorables à la réforme avaient re-fusé leur collaboration, il serait assez normal de constater une diffé-rence entre ce groupe d'étudiants et le groupe témoin qui n'était pas invité à élaborer un plaidoyer contre-attitudinal. La composition d'un des groupes de la comparaison ne serait alors plus fortuite, mais sys-tématiquement sélective d'après la variable attitude vis-à-vis de la ré-forme universitaire.

Rassurons le lecteur et invitons-le de suite à bien se réaliser les im-plications sociales considérables de nos données à ce sujet. Pour les huit conditions à plaidoyer public que nous avons rapportées plus haut, six étudiants seulement ont refusé leur collaboration, et devaient être remplacés par des sujets de réserve. Cela signifie que, sur un total de 94 étudiants invités à tenir un plaidoyer public, six refus seulement ont été enregistrés.

Ce qui importe, c'est que ces refus étaient répartis sur quatre condi-tions différentes : 1 pour la condition T.V.; 1 pour la condition Radio

pro-attitudinale à 20 FB; 2 pour la condition Radio contre-attitudinale à 20 FB et 2 pour la même condition à 200 FB. De plus, le motif in-voqué par deux de ces sujets n'était pas en relation avec l'attitude : un sujet se considérait inapte à parler devant la Radio, un autre était d'avis que, pour pareille collaboration, la B.R.T. devait s'adresser à des étudiants de la Faculté de Droit ou des Sciences Sociales.

Le lecteur s'étonnera avec nous que le nombre de refus pour la condition T.V. à plaidoyer contre-attitudinal ne fût pas plus élevé que pour la condition Radio à plaidoyer pro-attitudinal. Si nous nous limi-tons aux cinq conditions à plaidoyer public contre-attitudinal, nous constatons que 55 sujets sur 60, soit 92%, ont prêté librement leur concours et même à ce point qu'ils ont attesté de bon gré, par écrit, qu'ils n'ont pas été soumis à une contrainte.

Confrontons ce fait avec une autre série de données recueillies chez les étudiants de deux autres conditions expérimentales, sélec-tionnées bien sûr au hasard parmi la même population statistique (étu-diants masculins de la deuxième candidature en Sciences), auxquels l'expérimentatrice [55] avait demandé de tenir un plaidoyer pro-attitudinal ou libre dans une situation privée (c'est-à-dire destinée à aucun public).

Après l'expérience proprement dite, l'expérimentatrice invita ces sujets à bien se représenter le traitement subi par nos étudiants des conditions publiques contre-attitudinales, dont elle décrivit les instruc-tions dans le moindre détail. Elle posa ensuite les quesinstruc-tions suivantes :

« Quel serait, selon vous, le pourcentage d'étudiants masculins de la deuxième candidature en Sciences qui accepteraient de tenir un plai-doyer pareil devant la T.V. ... devant la Radio ... sans rémunération ...

avec rémunération de par exemple 100 FB ». Les réponses à ces ques-tions, données par les vingt-deux sujets examinés, fournissent les mé-dianes approximatives suivantes : devant la T.V. sans rémunération, 4% ; avec rémunération, 7% ; devant la Radio sans rémunération, 8% ; avec rémunération, 10%. Opposons ces chiffres aux 92% des sujets qui, effectivement et sans contrainte, ont tenu ce faux plaidoyer publie... Et, qui plus est, les vingt-deux sujets, tous sans exception, affirmaient formellement qu'ils n'accepteraient certainement pas de tenir eux-mêmes pareil plaidoyer. « Il y a toujours des individus sans principes qui se laissent influencer, mais certainement pas moi... ».

Nous voici confrontés avec un exemple très frappant, et combien riche d'implications, illustrant l'abîme qui sépare parfois les compo-santes conatives de l'attitude et le comportement situationnel propre-ment dit. Aucun étudiant ne se déclarait disposé à tenir un plaidoyer contre-attitudinal publie - réponse a-situationnelle par rapport à l'atti-tude de tenir volontairement un faux plaidoyer public ; quatre-vingt-douze pour cent du groupe expérimental composé d'étudiants du mê-me type se sont engagés. « libremê-ment » dans ce mêmê-me plaidoyer public contre-attitudinal - réponse situationnelle, où d'autres facteurs appar-tenant à la situation comportementale propre ont clairement déterminé ce comportement. Quels que soient ces facteurs concrets qui ont ame-né nos sujets à s'engager dans leur plaidoyer contre-attitudinal, - in-fluence subtile exercée par l'expérimentatrice, incapacité de résister à l'attrait de l'antenne, etc. - il est un fait qu'aucun de ces étudiants n'a déclaré avoir été forcé de prêter son concours.

N'est-ce pas là un résultat qui incite à la réflexion ? Pour ces étu-diants, qui, tous sans exception, ont affirmé avec indignation et de bonne foi qu'ils ne tiendraient jamais un plaidoyer public contre la réforme universitaire, nous avons démontré qu'il existait 9 chances sur 10 qu'ils aillent à l'encontre de leur prise de position s'ils étaient pris par la situation comportementale de leurs condisciples des autres conditions expérimentales. La fragilité des intentions humaines - les composantes conatives des attitudes = est en effet connue depuis tou-jours.

1.4.3. Implications sociales et morales

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Nous ferons encore une dernière observation dont les nombreuses implications sociales et morales débordent aussi le cadre de ce chapi-tre. Le [56] lecteur se rappellera que nos étudiants croyaient réelle-ment collaborer à une émission de la Radiodiffusion Flamande. En dépit de leurs hésitations et de la tension qu'ils subissaient avant de s'engager dans le faux plaidoyer, aucun d'entre eux n'a jamais deman-dé s'il pourrait contrôler l'usage qui serait fait de sa collaboration, dont il avait signé qu'elle était volontaire. Quelle aurait été la défense de nos étudiants si la chaîne nationale avait effectivement programmé

une émission où neuf étudiants sur dix tenaient un fervent plaidoyer contre la réforme de l'ancien système des examens ? La condition hu-maine est en effet une condition profondément sociale dont l'étude scientifique devrait davantage sensibiliser l'homme à sa propre fragili-té.

1.4.4. L'étude scientifique des attitudes sociales : recherche fondamentale au service de l'humanité

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Depuis une vingtaine d'années seulement quelques centaines de chercheurs psychologues se sont consacrés à l'étude fondamentale et expérimentale des attitudes sociales et de leur changement. Comme nous venons de le démontrer, l'attitude ne constitue pas toujours le seul déterminant du comportement. Il n'empêche que dans la plupart des situations elle en sera un déterminant très important et souvent primordial. Dans cette perspective, il convient de bien se réaliser que les lois psychologiques qui régissent la formation, le développement et le changement des attitudes, sont universelles et aveugles par rap-port à l'objet concret de ces attitudes. L'objet d'une attitude est, par définition, un objet de valeur contestable : la cigarette, la réforme uni-versitaire, une idéologie politique, une personne, un système écono-mique, une conviction religieuse, toutes les valeurs auxquelles un in-dividu, des groupes d'individus ou l'humanité entière attachent un cer-tain prix.

Rares sont les hommes qui ne seraient pas disposés à sauver la vie d'un enfant de deux ans. Leur attitude vis-à-vis de cette valeur univer-selle est très positive. Et pourtant, cette attitude positive peut changer de manière combien dramatique vis-à-vis des adultes, qui, tous, ont été des enfants de deux ans. Comment expliquer ce changement sans recourir à une connaissance scientifique de ces processus psychologi-ques universels qui se déroulent au niveau de l'organisation et de l'in-tégration cognitive, du conditionnement émotionnel et de la dynami-que motivationnelle par rapport à l'objet de l'attitude en dynami-question ?

Dès lors, ne peut-on espérer que l'Auto-libération de l'Homme pro-fitera considérablement des efforts décuplés des chercheurs qui

contribuent à révéler l'homme à lui-même en dévoilant les mécanis-mes infiniment complexes du changement de l'attitude ?

Nous ne voyons aucune raison pour que le lecteur de ce chapitre se sente plus accablé que ne l'était le physicien du Moyen Age rêvant de vols interplanétaires. En effet « point n'est besoin de réussir pour per-sévérer ».

JOZEF M. NUTTIN Jr.

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