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DISCUSSION. Cette formulation en termes de théorie des graphes n'est certes pas une formalisation, car nous avons tenu à

Dans le document introduction à la psychologie sociale (Page 166-171)

UN MODÈLE DU SUJET : L’ÉQUILIBRE DE HEIDER

4.1. Le modèle d'équilibre de Heider

4.2.2. Définitions formelles de l'équilibre

4.2.3.4. DISCUSSION. Cette formulation en termes de théorie des graphes n'est certes pas une formalisation, car nous avons tenu à

conserver les ambiguïtés du modèle de Heider.

En supposant résolus les problèmes de formalisation dus à ces am-biguïtés que nous aborderons plus loin, nous aimerions revenir sur la généralisation de l'équilibre à plus de trois éléments présentée comme un résultat intéressant de la formalisation où elle paraît évidente.

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Prenons l'exemple de quatre éléments, en supposant que les rela-tions sont ici symétriques, le graphe complet, ceci pour tout i et tout j de Uj et de Li

Nous pouvons distinguer quatre triangles d'arêtes du graphe, et ainsi nous ramener à trois éléments. En regardant successivement si chacun de ces triangles est équilibré, nous pourrons savoir si ce gra-phe est équilibré. Il pourrait en être de même si ce gragra-phe avait N points (N > 4). Par F-1 ⇔ C-0 et la suite d'équivalences que nous avons signalée, on voit que toutes les définitions de l'équilibre (à l'ex-ception de celle de Davis) se rattachent par là au modèle de Heider (fig. 10).

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Cependant nous pouvons remarquer que l'équilibre se réfère tou-jours directement à p dans le modèle de Heider. C'est-à-dire que les graphes envisagés par ce modèle sont tels que tout point est à une dis-tance 1 de p et que tous les cycles équilibrables passent par consé-quent par p. Ce qui correspond à l'idée d'une organisation cognitive du sujet. Les relations interpersonnelles du sujet doivent être équilibrées.

Il ne s'agit pas d'un équilibre « objectif » de la situation. Aussi, seul l'équilibre des cycles passant par p a un sens pour p, et les cycles d'une longueur trop grande ne peuvent pas être envisagés de la même ma-nière. Tout en restant dans « l'espace vital du sujet », ils n'auraient plus grande influence sur la situation présente.

Dans le graphe ci-dessus, le triangle 4 ne remplit pas la première condition, et peu de graphes de N points rempliraient seulement la se-conde.

Pour généraliser l'équilibre à plus de trois éléments, il faudrait, soit faire abstraction des contraintes ci-dessus, soit considérer l'un après l'autre les différents points du graphe comme analogues à p.

La première solution donne à l'équilibre une extension gênante, en étendant l'ensemble des entités auquel s'applique l'équilibre à toutes les perceptions sociales de p. Ainsi, par exemple, si je viens à appren-dre que la [118] femme de l'ami du fils d'un voisin, que je n'ai jamais

vue, mais que je connais, n'aime pas la robe qu'elle vient d'acheter, cela créera en moi une tension et je chercherai à rétablir l'équilibre !

Ou bien si nous considérons les cycles ne passant pas par p, nous ne considérons plus l'équilibre « du sujet », mais l'équilibre de ces cy-cles extérieurs à p. On peut envisager d'appliquer les règles de l'équi-libre à de tels ensembles de points, mais il ne s'agit plus du même mo-dèle du sujet.

Le modèle suppose que placé, dans une situation déséquilibrée, le sujet agit pour rétablir l'équilibre; mais peut-on dire aussi que l'obser-vation d'une situation déséquilibrée, à laquelle il ne participe pas, en-traînera une action du même type de sa part ? Comment, puisqu'il lui est extérieur ?

On voit clairement qu'une telle action, si elle se produit, ne peut être assimilée à la réduction du déséquilibre telle que l'envisage Hei-der.

La seconde solution nous conduit à une hypothèse aussi hardie, car nous devons supposer que tout élément o du graphe a la même percep-tion subjective des relapercep-tions L et U que p. Ce qui semble abusif, à moins de considérer les perceptions comme objectives. Or il s'agit là d'une modification essentielle du modèle. Il ne s'agit plus alors de l'équilibre des perceptions du sujet, mais de l'équilibre des relations réelles d'une situation. Et non seulement cet équilibre ne concerne plus l'espace vital du sujet, mais de plus, il peut être contradictoire avec l'équilibre de Heider. Il est possible d'envisager des situations

« objectivement » équilibrées qui ne le seraient pas pour tel ou tel su-jet, ou l'inverse. Une personne, a, attirée par une autre personne, b, peut fort bien croire à une attirance réciproque qui n'aura aucune réali-té objective. Les perceptions subjectives de deux personnes peuvent être différentes et « non-objectives ».

Nous n'avons pas précisé si les définitions de l'équilibre s'enten-daient pour des graphes orientés ou non. La relation U comme la rela-tion L est symétrique; il n'y a pas de difficulté, donc, à supprimer l'orientation pour plus de simplicité. Néanmoins, on peut remarquer que les exemples donnés par Heider concernent tous des relations non explicitement symétriques et tiennent compte d'une possible limitation des propriétés de L ou de U, pour certaines significations de ces varia-bles.

D'autre part, les ambiguïtés du modèle disparaissent. La relation L est désormais toujours réflexive, ce qui élimine la possibilité d'avoir un sujet en désaccord avec lui-même.

Elle est aussi toujours transitive et le célèbre triangle amoureux n'y trouve plus place. Les relations U et L sont en fait confondues du point de vue de leurs règles, car on peut toujours, avec les définitions qui ont été données, décrire une situation en utilisant les deux types de relations. Mais les différences de force entre U et L n'y trouvent plus de place.

On ne distingue plus entre les multiples significations de U et de L.

La plaisanterie de Festinger 9

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« j'aime les poulets et les poulets aiment le grain, donc je dois aimer le grain » ne s'appliquait pas au modèle de Heider, mais peut parfaitement être faite pour l'équilibre formalisé.

Par suite le modèle n'est plus applicable à toutes les situations pré-vues. Ceci a deux conséquences.

D'une part la formalisation donne au modèle une précision qu'il n'avait pas mais restreint son champ d'application.

D'autre part, il va falloir trouver un critère pour éliminer toutes ces situations qui ne sont pas conformes au modèle. Tous ces cas qui par des limitations apportées aux règles de l'équilibre trouvaient place dans le modèle en sont maintenant exclus. Or il s'agit de situations réelles, courantes : comment ce modèle du comportement pourra-t-il ne pas rendre compte de certains comportements dont c'est là la seule caractéristique ? Ce sont bien des comportements, ils ne paraissent ni

« anormaux », ni désagréables, mais ils sont déséquilibrés, et donc devraient être désagréables.

Bref, à exclure de son interprétation certains comportements du su-jet, ce modèle s'interdit d'être un modèle du sujet. Modèle local, il ne peut garder ensemble cette interdiction et le souci d'atteindre le sujet

9 Cité par ZAJONC, 1960.

lui-même, contraint de n'être que la description d'un comportement modèle.

Cartwright et Harary parlent d'équilibre « structural » et non plus d'équilibre, à juste titre nous semble-t-il. On pourrait dire que « l'équi-libre structural », formalisation de l'équilibre de Heider, en est la structure abstraite et parfaite.

Les expériences que nous allons citer se réfèrent toutes à l'équilibre formalisé; mais, pour simplifier, nous parlerons encore d'équilibre puisqu'il n'y aura pas d'ambiguïté. Néanmoins il faudra se souvenir que désormais, lorsque nous parlerons d'équilibre sans plus de préci-sion, il s'agira de l'équilibre structural.

4.3. Expérimentation

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Plutôt qu'une présentation exhaustive des expériences sur l'équili-bre, à laquelle nous ne saurions prétendre, nous avons préféré décrire les différentes méthodes utilisées dans ces expériences.

On peut en envisager quatre, dont trois sur des groupes fictifs, et une sur les groupes réels : expression d'une préférence, « complé-tion », apprentissage et groupes réels.

Nous avons essayé d'ordonner ces méthodes selon l'importance de l'information qu'elles peuvent apporter. Cet ordre correspond d'ailleurs à une difficulté croissante de mise en œuvre.

Demander aux sujets d'exprimer leurs préférences peut facilement se faire en collectif, avec un questionnaire standardisé, de même, nous le verrons pour la méthode de complétion, pour la méthode d'appren-tissage, la passation est individuelle et suppose un matériel un peu plus élaboré, pour l'observation des groupes réels, enfin, il faut mettre au point des instruments d'observation et le dépouillement est beau-coup plus complexe.

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L'information apportée par ces expériences est aussi variable.

Heider n'a pas proposé le modèle de l'équilibre au hasard, ses hy-pothèses proviennent d'une observation de la réalité. On peut en effet regrouper sous l'équilibre un grand nombre de jugements et de com-portements de la vie courante (avec quelques limitations). Aussi, lors-qu'on prouve expérimentalement que les sujets préfèrent les états équilibrés, on apprend seulement que les sujets expriment plus sou-vent leur préférence pour les jugements qui dans la vie courante sont les plus fréquents. Avec la méthode de complétion, on apprend de plus que les sujets peuvent organiser un ensemble d'éléments selon les règles de l'équilibre, autrement dit, qu'ils connaissent, consciemment ou non, les lois de ces jugements fréquents et sont capables de les ap-pliquer. Avec la méthode d'apprentissage, les sujets n'ont, a priori, aucune raison d'organiser les éléments proposés comme les jugements de la vie courante, et s'ils le font, on peut penser que cette organisation correspond à une structure plus fondamentale, à une « bonne for-me »perceptive du sujet et non plus seulefor-ment à la manière habituelle d'organiser ce type de relations, bien que l'on puisse objecter que, s'ils ne savaient pas comment organiser ces relations, les sujets utilise-raient vraisemblablement l'organisation la plus courante pour appren-dre. Dans l'observation des groupes réels, enfin, on peut essayer de vérifier si le comportement réel des groupes correspond aux règles de l'équilibre ou non.

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