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Chapitre 1 Les communautés ecclésiales vivantes en RDC et la difficile intégration

6. L’UCHOJEUCAM Un cas vers des nouvelles sociabilités

6.2 L’évolution de l’UCHOJEUCAM

6.2.2 L’assistance sociale

Le contexte socio-culturel et religieux dans lequel évolue la jeunesse a été déterminant pour les responsables qui ont conçu le projet d’unir les trois chorales des jeunes, car il s’agit d’une prise de conscience pour revaloriser les valeurs culturelles et religieuses : le sens communautaire, l’esprit évangélique, etc. L’objectif qu’ils poursuivent est de renforcer l’auto-organisation, l’unité et de cultiver les valeurs évangéliques. C’est en même temps un lieu d’apostolat. Apostolat entendu ici comme une manière d’être au service du règne de Dieu, d’œuvrer pour la gloire de Dieu et le salut du monde.

Dans les pages précédentes, nous avons fait allusion à la situation socio-économique qui fait le souci de la vie quotidienne en Afrique. Face à un monde précaire, plein d’incertitude, les jeunes sont appelés à s’assurer une sécurité en adhérant à des valeurs de solidarité et d’altruisme. Le catéchisme de l’Église catholique reconnaît le caractère communautaire de la vocation humaine, en alléguant que « la personne humaine a besoin de la vie sociale […] Par l’échange avec autrui, la réciprocité des services et le dialogue avec ses frères, l’homme développe ses virtualités, il répond à sa vocation145. » Le même catéchisme reconnaît la famille et la cité comme étant des lieux naturels correspondant immédiatement à la nature de l’homme, tout en encourageant « la création d’associations […] à but économiques, culturels, sociaux, sportifs, récréatifs, professionnels, politiques […] Cette socialisation […] développe les qualités de la personne, en particulier, son sens de l’initiative et de la responsabilité. Elle aide à garantir ses droits146. »

144 Paul VI, Exhortation apostolique Evangelii Nuntiandi, Rome 8 décembre 1975, n° 41. 145 CEC, n° 1879.

Aujourd’hui, se référant à l’esprit de leurs statuts, les jeunes de l’UCHOJEUCAM fondent leurs pratiques en s’appuyant sur une parole évangélique et en faisant de l’assistance

sociale un paramètre important revêtant, à la fois, une dimension sociale et diaconale147. Par

l’assistante sociale, l’Union offre une aide et un soutien aux membres qui rencontrent des difficultés dans la vie. Les membres sont tenus de se donner des nouvelles régulièrement et communiquer aux responsables des cas nécessitant une assistance ou un soutien de l’Union. Le principal objectif ici c’est la mobilisation des membres pour être proches les uns des autres, à des moments de joie et de tristesse, partageant les peines et les joies, les uns des autres. Parmi les cas nécessitant l’assistance sociale aux membres, on note : le décès d’un membre régulier, de son conjoint légitime; le décès d’un enfant d’un membre ; le décès

d’un parent; le mariage d’un membre régulier; le voyage d’une chorale148.

Les jeunes de l’UCHOJEUCAM mettent leur charisme commun, celui de chanter pour la gloire de Dieu, au service du prochain. Leur charisme est devenu un vécu dans une vie fraternelle, de solidarité et de partage. C’est un devoir pour tout baptisé d’inscrire au cœur de sa foi le service de la charité et d’œuvrer à la fraternisation du genre humain, sans exclure personne. La diaconie est une dimension essentielle de la vie du disciple. Par notre baptême, nous sommes tous diacres à la suite et à l’image du Christ qui a donné sa vie pour tous et qui « est venu, non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie comme la rançon de plusieurs » (Mat 28,20). Le dynamisme de la jeunesse s’y traduit dans le souci d’un engagement réel d’être actrice d’un avenir qui lui appartient.

Ce qui est dit des jeunes de l’UCHOJEUCAM peut rejoindre aussi l’expérience de beaucoup d’autres jeunes. Il y en a qui considèrent très négativement la vie des jeunes, à entendre gloser sur eux qu’ils ont perdu le sens des autres et de l’engagement. Il y en a d’autres qui soutiennent, comme Nadia Bellaoui, que « la question de l’engagement des jeunes mérite pourtant une pleine attention, pour l’enjeu de fond qu’elle représente, mais

aussi pour bien comprendre la réalité de notre société, au-delà de ces images d’Épinal149. »

Parlant de la jeunesse française, ce qui peut valoir aussi pour les jeunes d’autres horizons,

147 Voir Les Statuts de l’Union des chorales des jeunes catholiques de Matadi, p. 5. 148 Idem, p. 5.

149 Nadia Bellaoui, « L’engagement bénévole des jeunes et des étudiants », dans Valérie Becquest et Chantal

Nadia Bellaoui conseille d’aller au-delà des préjugés pour aborder la réalité sociale. Elle reconnaît bien la distance que prend la jeunesse vis-à-vis des institutions, son agacement des mœurs politiques mis en scène par les médias, mais elle relève toutefois que « la participation civique et solidaire des jeunes, leur adhésion à des valeurs de solidarité et d’altruisme sont très fortes, quoiqu’imperceptibles à ceux qui ne savent pas observer la

jeunesse d’aujourd’hui150. » Il faut donc prendre le temps d’aller à leur rencontre.

Conclusion : Quel avenir pour les CEV ? La crédibilité et les limites d’une figure d’Église face à un monde changeant

Ce premier chapitre nous a permis d’appréhender le contexte d’émergence des petites communautés en RDC et leur genèse dans le diocèse de Matadi. Ce contexte reste marqué par la fin du clericalisme et une vision de l’Église reconnaissant à tous les baptisés de participer à l’édification du Corps du Christ. Ce qui permit de passer d’une Église pyramidale à l’Église-communion ayant donné au laïcat de participer à l’évangélisation. La valorisation du sacerdoce baptismal, vu dans ses trois dimensions : sacerdotale, prophétique et royale, fut déterminante dans la pastorale des communautés ecclésiales vivantes. Aujourd’hui, les évêques d’Afrique sont tous unanimes avec l’option des petites communautés comme lieu d’une nouvelle évangélisation et d’une vraie communion ecclésiale dans la perspective de l’Église-famille de Dieu.

Dans ce même chapitre, nous avons relevé la difficile tâche d’intégration des jeunes dans les CEV. Leur absence dans les CEV, loin d’être l’expression du rejet de la foi, traduit au contraire le souci d’assumer autrement leur engagement baptismal. Sans doute que ces jeunes se donnent d’autres cadres leur offrant de participer à l’édification du Corps du Christ. C’est le cas de l’UCHOJEUCAM qui fait l’objet de notre étude et pour laquelle nous avons organisé une enquête de terrain. Le second chapitre rendra compte de cette enquête et de l’analyse des données reccueillies. Avant d’en arriver-là, nous voulons faire une brève réfléxion conclusive de ce premier chapitre en examinant l’avenir des CEV.

En visant la rencontre et l’entraide entre les générations, les CEV s’inscrivent dans un souci pastoral de prise en charge de l’Église par les fidèles. Cependant, l’expérience montre que les CEV peinent à intégrer les jeunes. En évoquant cette difficulté, il n’est pas seulement question de présenter cette option pastorale comme étant stérile, en ne considérant que ses limites, mais il est aussi question de voir comment ces limites rendent possibles d’autres paradigmes ecclésiaux. Toute vraie analyse de la vie d’une organisation, doit permettre le développement « des intuitions créatrices qui déboucheront sur de nouvelles possibilités d’action ou offriront une nouvelle prise sur des problèmes difficiles […] Les bonnes analyses sont génératives […] Elles provoquent de nouvelles possibilités d’action et font une différence151. »

Parlant de l’option pastorale ayant fait des CEV lieu de nouvelle évangélisation et de communion ecclésiale, il paraît aberrant de considérer qu’un tel modèle communautaire réponde et apporte une satisfaction aux attentes de tous. Il faut plutôt considérer que la paroisse, en offrant la CEV comme « communauté de référence pour tous les chrétiens, jeunes et adultes, d’un même quartier ou village », n’a pas à réduire la communion ecclésiale à cette seule figure. Ce qui serait un appauvrissement face à la richesse que peuvent représenter les autres mouvements au sein d’une même paroisse. Bernard Ugeux perçoit aussi les choses de cette manière en évoquant le risque de nivellement ou de marginalisation des mouvements, particulièrement ceux des jeunes. Selon lui, la question est cruciale pour l’avenir des CEV et pour la pastorale des jeunes. « Concrètement, [dit-il], elle ressort de la problématique plus large des rapports entre les mouvements et les petites communautés chrétiennes dans le cadre d’une pastorale d’ensemble centrée sur ces dernières152. » Il faut repenser une telle pastorale. En reconnaissant la richesse qu’apporte la diversité, pour éviter le nivellement et la marginalisation, il faut considérer que les petites communautés ecclésiales vivantes comme les autres mouvements au sein d’une paroisse témoignent de la richesse même de l’Esprit qui distribue ses charismes en vue du bien de tous. Lors de son audience du 1er octobre 2014, consacrée aux charismes de l’Église, le pape François a relevé que

151 Gareth Morgan, Images de l’organisation, Les Presses de l’université Laval, 1999, p. 363. 152 B. Ugeux, Les petites communautés..., p. 157.

tous les charismes sont des dons de l’Esprit, et leur diversité ne doit pas être une cause de division, mais d’émerveillement; ils doivent pouvoir grandir ensemble harmonieusement dans la foi et l’amour, car nous avons tous besoin les uns des autres […] Comme le rappelle l’apôtre Paul dans sa première lettre aux Corinthiens, (chapitre 12), tous les dons sont importants aux yeux de Dieu

et, dans le même temps, personne n’est irremplaçable153.

Dans cette perspective, les petites communautés, tout en restant lieu de référence, ne peuvent prendre la place des autres mouvements. De même, les autres mouvements, loin de prétendre satisfaire à tous les besoins des chrétiens dans leur diversité, ne doivent pas considérer que les petites communautés les étouffent. Au contraire, « si les petites communautés deviennent effectivement des communautés de vie, agissant sur leur milieu et formant leurs membres, elles pourront représenter un lieu privilégié de concertation et de partage pour tous les chrétiens du quartier ou du village, engagés ou non dans un groupe

spécifique, en réponse à leur vocation propre154. » Quant à l’avenir des CEV, il faut sans

doute considérer que l’absence des jeunes fait appel à une pratique de conversion, aussi bien de la part des adultes que des jeunes eux-mêmes, pour un avenir inédit.

Réfléchissant dans le cadre d’un autre contexte, face au défi que posent les communautés nouvelles, Rick Van Lier pense qu’il faut faire dialoguer les communautés locales, les communautés anciennes et les communautés nouvelles. Considérant les nouveaux besoins dans l’aujourd’hui du monde, selon lui, « à besoins nouveaux, communautés nouvelles! Non pas que les communautés nouvelles se substituent aux communautés anciennes (VC 62), mais comme il en est dans l’histoire de l’Église, l’Esprit fait surgir une variété de charismes en fonction des “besoins nouveaux que rencontre aujourd’hui l’Église pour

accomplir sa mission dans le monde”155. »

Avec cet éclairage, pour revenir à la question de l’avenir des CEV face au désengagement des jeunes, la conversion dont j’ai évoqué l’importance, exige un esprit de dialogue qui est un engagement à marcher ensemble et à vivre unis dans la diversité. « À besoins nouveaux

153 François, « L'unité de l’Église et la diversité des charismes » [http://www.afriquespoir.org/?q=node/882]

(consulté le 20-07-2016).

154 B. Ugeux, Les petites communautés..., p. 157.

155 Rick Van Lier, « Églises locales, communautés anciennes et communautés nouvelles. Jalons pour un

communautés nouvelles », cette assertion soutient le fait que face aux nouveaux besoins, l’homme est capable d’autres choses pouvant remettre en cause ce qu’il considérait hier comme acquis et correspondant à ses attentes, mais rendu aujourd’hui caduc par le nouveau contexte. Si nous admettons que les CEV n’ont pas d’avenir sans l’implication des jeunes, le plus important n’est sans doute pas la structure en soi, mais plutôt ce à quoi elle renvoie : la communion ecclésiale. Celle-ci est toujours à inventer de façon qu’elle réponde aux attentes des hommes et des femmes appelés à travailler ensemble à l’œuvre de Dieu. Dans ce sens, portant le souci de l’avenir des CEV, l’Église n’a pas à s’interroger sur le comment impliquer les jeunes dans les CEV, elle a plutôt à cerner, à partir de leurs pratiques, comment eux pensent vivre en Église leur apport pour l’édification du Corps du Christ, répondant à leurs aspirations, capables de rendre, de façon inédite, les CEV plus efficaces et plus crédibles.

Ainsi, comme dit plus haut, les limites des CEV peuvent être exploitées pour la fécondité de la pastorale des jeunes et d’autres pratiques, notamment en ce qui concerne l’exercice du pouvoir; les rapports entre jeunes et adultes ; la répartition des tâches dans la proclamation, la célébration, l’édification et la diaconie. De cette manière, faire de la jeunesse une priorité pastorale est une chose, mais une autre chose est de savoir s’il faut une pastorale de l’Église pour les jeunes ou une pastorale des jeunes par les jeunes pour l’Église. Julien Efoué Pénoukou dit bien qu’« il n’y a pas d’avenir pour nos Églises, qui ne soit lié à celui de la jeunesse chrétienne d’aujourd’hui. C’est là une loi de la nature, plus précisément une loi des contraintes du temps et de l’espace, où s’insère notre histoire du salut156. »

La jeunesse étant l’avenir et surtout le présent de l’Église et de la société, la pastorale des jeunes a toujours été une des priorités majeures pour les pasteurs de l’Église. Les pères du dernier Concile, en réservant expressément leur dernier message aux jeunes, leur ont clairement exprimé leur sollicitude pour leur dire le souci de l’Église, afin que la société qu’ils vont « constituer respecte la dignité, la liberté, le droit des personnes […] Elle est soucieuse surtout que cette société laisse s’épanouir son trésor toujours ancien et toujours nouveau : la foi157. » Lors de son pontificat, le pape Jean-Paul II, assumant la même

156 J.E. Penoukou, Église d’Afrique…, p. 127.

sollicitude pastorale, est parvenu à inventer les JMJ, « une expérience pastorale unique », nous dit Monseigneur Benoît Rivière. Ce qui lui a valu le titre du « pape des jeunes ». « Jusqu’à son dernier souffle, ce pape leur aura courageusement annoncé le Christ ; il leur aura offert de goûter la joie singulière de l’Église rassemblée et leur aura toujours fait

confiance pour qu’ils deviennent les apôtres et les saints dont le monde a besoin158.

158 François Vayne et Ariane Rollier, Jean-Paul II. Les jeunes et les JMJ. Entretiens avec Mgr Renato

Boccardo, Suisse, Parole et Silence, 2005, p. 5-6. Cette citation est un extrait de la préface de ce livre, faite par Mgr Benoît Rivière.