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Contestation d’une Église cléricale Autorité et pouvoir dans l’Église

Chapitre 2 Pour une compréhension de l’UCHOJEUCAM

3. Les résultats de l’analyse

3.4 Quelle Église pour les jeunes, par eux et avec eux ?

3.4.1 Contestation d’une Église cléricale Autorité et pouvoir dans l’Église

pouvoir dans l’agir pastoral en est un autre. Un des points chauds, dans le dialogue que j’ai eu avec les jeunes de l’UCHOJEUCAM, reste marqué par la contestation du pouvoir qu’exercent leurs pasteurs. Comment ne pas l’entendre résonner dans leurs propos ? Un choriste de Saint Sacrement dit : « Nous voulons donc que les jeunes que nous sommes, nous puissions mériter la confiance de l’Église dans tous les compartiments qui la composent et que soit bannie une forme de népotisme qui la sévit aujourd’hui, qui ne cesse de décourager certains jeunes talents et les poussent à changer d’église54. » Ce jeune a simplement voulu exprimer son mécontentement de voir comment leurs prêtres font peu d’attention à ce que les jeunes peuvent donner comme contribution et, pour lui, cette manière de faire constitue un véritable frein qui ne leur permet pas de s’épanouir et les pousse à aller ailleurs. Du même groupe, un autre choriste souligne que les jeunes gens « cherchent […] à bannir le système dictatorial qui règne dans certaines de nos paroisses où les chrétiens n’ont rien à reprocher aux prêtres, voire certains d’entre eux se permettent de suspendre ou de punir les jeunes même en pleine activité. Dans tout cela, les jeunes se sentent déconsidérés55. »

Ce dernier choriste parle bien de l’exercice du pouvoir par le prêtre et de son agir autoritariste, en relevant un mode dictatorial de gouvernance. Il s’agit bien des comportements et des attitudes manifestant de la domination sur les personnes et qui n’encouragent pas les jeunes. Que le prêtre n’accepte pas de reproches, cela signifie qu’il se

54 CSSG1, Annexe 5, 5.1, Q 4. 55 CSSG2, Annexe 5, 5.1, Q 4.

croit bien au-dessus de tout ; qu’il ait à punir même en pleine assemblée, cela veut dire qu’il s’octroie pouvoir et ascendance sur les fidèles. Cela est corroboré par cette intervention d’un membre de soutien de saint Joseph qui présente sa vue concernant la conduite pastorale :

La hiérarchie devrait éviter de dicter ses avis pour ne pas brimer, froisser et frustrer les fidèles. En clair, le prêtre ou la hiérarchie devrait cesser de croire que leur parole est une parole d’évangile, ils devraient savoir qu’ils ont bien sûr un rôle important et déterminant dans l’Église, mais qu’ils sont des hommes à part entière et doivent accepter que, de temps en temps, l’on puisse discuter de leurs points de vue. Il n’est pas exclu que des simples fidèles apportent des considérations qui seraient même plus pertinentes que celles émises par le prêtre ou la hiérarchie. Et que donc s’il y a lieu de négocier, il n’est pas mauvais de le faire56.

Toutes ces interventions permettent, d’une part, de comprendre la préoccupation des jeunes de voir autrement la place du prêtre et, d’autre part, d’y voir en même temps une revendication pour les jeunes d’être pris en considération comme coresponsables. Il est évident que pour sortir d’une Église dominée par le cléricalisme, c’est-à-dire enfermée dans la logique de domination et non pas de service réciproque, la synodalité offre une perception de coresponsabilité, une image d’une Église à faire par tous et avec tous. Dans ce sens, disons-le avec Gilles Routhier, gouverner se perçoit autrement : « Gouverner l’Église, c’est agir synodalement57. » Il s’agit de faire route ensemble, en assumant les réalités de la vie du monde et de l’Église. Au niveau paroissial, il revient donc au prêtre de susciter, d’encourager et de soutenir l’esprit synodal qui donne à tous les baptisés de se considérer comme membres à part entière de l’Église. Ainsi, comme nous l’avons dit dans le premier chapitre, Yves Congar, en voulant fonder une théologie du laïcat, entendait bannir toute tendance cléricaliste et reconnaître à tous les membres du Corps du Christ une même dignité reposant sur la grâce baptismale. C’est dans ce même sens que « gouverner une Église, [comme le dit Gilles Routhier], même s’il s’agit d’une fonction spécifique confiée à une personne, n’est jamais une fonction qui saurait être assumée solitairement ou

56 SSJ2, Annexe 5, 5.3, Q 4.

57 Gilles Routhier, « Gouverner en Église : entre gestion pastorale et gouvernement spirituel », dans Gilles

de manière isolée […], celui à qui est confié le gouvernement d’une Église est avant tout

une personne qui sait créer des liens, mettre en relation, construire la communion58. »

Autrefois, si le prêtre avait la prétention d’être à la fois le saint et le savant de la communauté, nous devons reconnaître qu’aujourd’hui la situation a beaucoup changé et les jeunes en sont bien conscients. Qu’ils contestent la manière d’agir de leur pasteur, cela ne signifie pas contestation de la place du prêtre ou qu’ils refusent d’être guidés par ce dernier. Il s’agit d’une remise en cause du type de présence du prêtre qui se dit représentant du Christ dans la communauté ou dans l’assemblée liturgique. Pour les jeunes de l’UCHOJEUCAM, contester l’exercice du pouvoir au sein de l’agir pastoral renvoie à une vérité fondamentale de ce que doit être la vie en Église pour eux. Répondant à la question de savoir ce qu’ils pensent de ce que doit être la vie en Église, un choriste de saint Joseph dit ceci : « Nous pensons que la vie en Église pour les jeunes d’aujourd’hui doit être

conforme aux exigences du Christ59. » Un autre de la même chorale relève plutôt un

impératif pour les jeunes : « Les jeunes d’aujourd’hui doivent d’abord mettre Jésus-Christ au centre de leur vie ; avoir une vie de prière, devenir serviteur de Dieu ou messager de la bonne nouvelle, être le sel de la terre et la lumière du monde60. » Les deux choristes se complètent dans leur compréhension de ce que doit être la vie en Église pour les jeunes. L’un et l’autre renvoient au Christ lui-même ; le premier en parlant d’une vie conforme aux exigences du Christ et le second en exigeant d’accorder la place centrale au Christ. Mettre le Christ au centre de la vie de l’Église, c’est comprendre que c’est par lui, avec lui et en lui que nous pourrons être sel de la terre et lumière du monde. Du coup, être vrai témoin n’est possible qu’en vivant avec lui, sinon sans lui tout devient possible pour être cause de scandale. Ainsi, pour les jeunes, tous doivent obéissance au Christ, à sa seule autorité qui doit régenter la vie de l’Église.

La sensibilité des jeunes ne s’arrête pas à considérer les abus liés au pouvoir au sein de l’agir pastoral, mais elle touche aussi les abus liés aux mœurs de leurs pasteurs,

58 G. Routhier, « Gouverner en Église… », p. 917. 59 CSJ2, Annexe 5, 5.3, Q 4.

particulièrement des jeunes prêtres. Répondant à la quatrième question, une des filles de Saint Sacrement ne mâche pas ses mots en disant :

Pour moi, je pense que les jeunes prêtres doivent reprendre l’ancien système de s’habiller en soutane pour marquer la différence avec les laïcs ; ils doivent assumer la responsabilité spirituelle parce que les jeunes d’aujourd’hui ne les respectent plus tellement à cause de leur négligence. Ils se livrent à la chair, à l’argent, aux femmes, à la boisson et moins à la spiritualité. C’est pour cela que les autres églises volent notre place, car la spiritualité commence à faire défaut61.

Comment ne pas y entendre le cri des jeunes qui réclament de leurs pasteurs des comportements dignes de la charge qu’ils ont à conduire le troupeau du Seigneur ? La jeune choriste voudrait que les jeunes prêtres se différencient des laïcs, non seulement par leur habillement, mais aussi elle exige qu’ils s’abstiennent des plaisirs mondains pour ne pas causer le scandale et la fuite des jeunes vers d’autres sectes. Le constat de la fille du Saint Sacrement n’est pas un fait isolé, un autre choriste du même groupe abonde dans le même sens en faisant remarquer comment leur liberté est déconsidérée :

En plus de ce qui précède, nous voulons ajouter que les jeunes ne sont pas libres dans leurs pensées, car quelques fois ils sont victimes des comportements et des querelles intestines perpétrées par les consacrés qui par ironie découragent certaines vocations. Ce qui entraîne qu’il n’y ait pas assez de consacrés. D’une part, l’esprit matérialiste, financier et de prestige de chefs religieux, et d’autre part, les comportements de nos consacrés ne mènent pas au maintien des fidèles, ni à l’encouragement des jeunes, mais plutôt à leur découragement62.

Les deux se rejoignent pour dénoncer des comportements qui ne sont pas de nature à encourager les jeunes et constituent un frein à leur épanouissement spirituel et moral. C’est pourquoi un membre de soutien du groupe de saint Joseph conclut, en répondant à la même préoccupation, que « la vie en Église doit prêcher par l’exemple afin que le Christ puisse réellement vaincre Satan et le Malin. Je terminerai par dire que l’Église devrait s’efforcer d’être de plus en plus dynamique et non statique. Dynamique parce qu’on doit toujours

viser l’excellence, plus haut parce que le Christ est une sommité, le sommet de la gloire63. »

61 CSSF1, Annexe 5, 5.3, Q 4. 62 CSSG1, Annexe 5, 5.1, Q 4. 63 SSJ2, Annexe 5, 5.3, Q 4.

En définitive, ce qui est dit au sujet de l’exercice du pouvoir dans l’agir pastoral et des mœurs des jeunes prêtres concerne la vie qu’assume tout baptisé, une vie à l’imitation du Christ. Il n’y a pas que le ministre ordonné qui a l’obligation d’être signe ou de faire signe du Christ, qui a donné sa vie pour les siens. Tous les baptisés, étant à la suite du Christ, doivent conformer leur style de vie à celui de leur maître. C’est toute une dynamique de vie engageant les uns et les autres et sollicitant le soutien les uns des autres, dans une aventure commune du Royaume. Mais, dans la communion les uns avec les autres, ceux qui sont constitués ministres ordonnés ont en plus l’exigence, à être les modèles du troupeau. Du côté des jeunes, au lieu d’être simplement contestateurs, ils apprendront à leur tour à construire dès maintenant des communautés de vie qui reflètent la vision qu’ils se font de l’Église, où tout est orienté vers la recherche « ferme et persévérante de travailler pour le bien commun ; c’est-à-dire pour le bien de tous et de chacun, parce que tous, nous sommes

vraiment responsables de tous64. » Voilà une vision d’une Église dynamique et servante, à

la manière du Christ.

Cependant, dans nos milieux africains, demeure un vrai problème : celui d’habiter la Bible pour découvrir le vrai visage du Christ et en être témoins. Cela s’entend dans l’intervention d’un choriste de Saint Joseph qui trouve que notre jeunesse « manque de maitrise de la Bible [...] Or la jeunesse catholique doit savoir défendre son Église partout et il lui faut une bonne formation par nos responsables et aumôniers pour donner la chance à la jeunesse d’être responsable de son avenir, car elle est l’espoir de l’Église65. » Voilà ce qui a fait dire à un membre de soutien que « les jeunes ont droit à un encadrement spirituel solide, sinon l’Église se meurt en ce qu’ils sont l’avenir de cette Église. »66

Ce qui est dit de l’exercice du pouvoir au sein de l’agir pastoral montre bien quel rôle l’Église peut manquer de jouer dans la vie sociale, mais elle n’y est pas la seule actrice. Il y a aussi d’autres instances qui sont censées rendre possible l’épanouissement des jeunes. L’Église a son rôle à jouer, bien sûr, mais elle ne peut prétendre faire tout toute seule, la société a aussi sa part de responsabilité comme chaque jeune doit également porter le même souci.

64 Jean-Paul II, Lettre encyclique Sollicitudo rei socialis, 30 décembre 1987, nº 38. 65 CSJ2, Annexe 5, 5.3, Q 4.