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Contexte d’émergence des CEV en RDC et leur Genèse dans le diocèse de

Chapitre 1 Les communautés ecclésiales vivantes en RDC et la difficile intégration

1. Contexte d’émergence des CEV en RDC et leur Genèse dans le diocèse de

Pour mieux percevoir la réalité de ces petites communautés en République démocratique du Congo (RDC), il faut les replacer dans le contexte qui les a vues naître. Selon Bernard Ugeux, l’option « pour des “communautés chrétiennes vivantes” n’est pas totalement indépendante du phénomène international, celle-ci s’enracine cependant dans le contexte

spécifique de l’Église du Zaïre36. » En effet, pour l’Occident, le renouveau communautaire

s’inscrit dans un contexte de crise qui a suivi le Concile Vatican II, crise « caractérisée par la forte baisse des vocations sacerdotales, la diminution nette de la pratique religieuse et la

critique virulente de l’enseignement moral de l’Église37. » Olivier Landron qui s’est

intéressé à ce phénomène en France note que le renouveau communautaire est aussi présent en Espagne, en Pologne, aux États-Unis, en Belgique, au Canada et en Italie. Le même auteur spécifie que le renouveau communautaire poursuit deux objectifs : l’approfondissement des origines juives du christianisme et une meilleure saisie des réalités de l’Église primitive38.

36 Bernard Ugeux, Les petites communautés chrétiennes. Une alternative aux paroisses?, Paris, Cerf, 1988, p.

47.

37 Olivier Landron, Les communautés nouvelles. Nouveaux visages du catholicisme français, Paris, Cerf,

2004, p. 5.

Pour l’Afrique, plus particulièrement pour la RDC, les petites communautés sont nées dans un contexte dont l’arrière-fond mérite d’être clarifié.

1.1 L’arrière-fond de l’option du renouveau communautaire en RDC

Pour la RDC, l’émergence des CEV est spécifiquement liée au contexte de son accession à la souveraineté nationale, le 30 juin 1960. À la veille de l’indépendance du Congo, L’Église devrait affronter une grave crise multisectorielle : socio-politique, institutionnelle et théologique. Alors que le peuple était en attente de sa libération imminente du joug colonial belge, l’Église du Congo dont « les évêques étaient occidentaux à près de quatre- vingt-dix pour cent », comme le note Clément Makiobo, devrait clarifier ses relations avec

l’État, en proposant une nouvelle option pastorale39. Percevoir l’arrière-fond de ce qui est

recherché, c’est porter un regard critique sur le mariage Église-État dans un contexte de colonisation. Julien Efoué Penoukou se montre très critique à l’endroit de cette coopération en affirmant que « depuis que des Blancs ont débarqué chez nous, l’Afrique est devenue une terre de malheurs. C’est vrai que leur présence, leur école, leur religion, leur technologie, leur système de pensée et leur mode de vie, leur civilisation et leur culture

n’ont pas créé chez nous que des espaces de bonheur40. » Pour ce qui concerne

particulièrement la République démocratique du Congo, l’histoire montre clairement que le roi Léopold II à qui la conférence de Berlin céda la souveraineté de l’État indépendant du Congo en 1885 avait besoin des missionnaires catholiques pour stabiliser son œuvre de colonisation. Léopold II « disposait ainsi d’un moyen de valeur qui lui permettrait de réaliser tous ses plans : la découverte et l’ouverture de tout le bassin du Congo, la fondation

de postes, la construction d’un chemin de fer41. » Évidemment, parler de la visée politique

de coopération entre l’Église et l’État, ne doit pas nous empêcher de reconnaître les œuvres réalisées dans ce contexte : les églises, les écoles, les hôpitaux, les presbytères, l’émergence des diocèses, etc.

39 Cf. C. Makiobo, Église catholique et mutations…, p. 210. 40 Julien Éfoué Penoukou, Église d’Afrique…, p. 12.

41 Michael Kratz, La mission des Rédemptoristes belges au Congo. La période des semailles (1889-1920),

L’accession de la RDC à l’indépendance a été le moment déclencheur du renversement des rapports de force et de puissance. Politiquement, le peuple avait besoin de recouvrer sa dignité et la souveraineté de son territoire; religieusement ou ecclésialement, il était temps pour l’Église de redéfinir les paradigmes de l’évangélisation. C’est ainsi que fut convoquée en 1961, deux ans après l’instauration de sa hiérarchie ecclésiastique, la VIe Assemblée plénière de l’épiscopat congolais. Celle-ci se fixa comme objectif l’évaluation de l’évangélisation qui, jusqu’alors, était l’œuvre des missionnaires et reposait, selon les analyses de Fidèle Mabundu, sur « un vaste réseau d’institutions dont les écoles, les formations médicales et les organisations sociales qui, malgré leur utilité et le progrès social qu’elles apportaient, devenaient une charge excessive et risquaient de porter préjudice à la mission spirituelle de l’Église42.

1.2 Création de petites communautés en RDC et leur genèse dans mon diocèse

L’option de création de petites communautés en RDC fut prise lors de cette VIe Assemblée

plénière de l’épiscopat congolais. Il est important de relever, ici, que face à la pénurie de laïcs formés, cette Assemblée opta pour un projet communautaire. Ce dernier, note Clément Makiobo, est une belle appropriation faite par les évêques du « concept de complémentarité entre la dimension de communauté des baptisés et celle d’institution hiérarchique, thème largement développé par le théologien français, Yves Congar dans son ouvrage “Jalons

pour une théologie du laïcat” publié en 195343. » Cette Assemblée marqua donc un tournant

décisif dans l’évangélisation du Congo, après que le Saint-Siège ait donné la charge pastorale de gouverner l’Église aux Évêques autochtones. Jacques-Marie Nzir Nyanga relève que « l’épiscopat congolais […] s’est fixé comme paradigme pastoral un certain nombre d’options fondamentales : inculturation, constitution et animation des communautés ecclésiales vivantes de base, formation d’un laïcat adulte et promotion de l’homme44. »

42 Fidèle Mabundu, Lire la Bible en milieu populaire, Paris, Karthala, 2001, p. 34-35.

43 C. Makiobo, Église catholique…, p. 210. L’auteur fait une lecture attentive des Actes de la VI e Assemblée

plénière de l’Épiscopat du Congo, Léopoldville (20 novembre – 2 décembre 1961), p. 27.

44 Jacques-Marie Nzir Nyanga, « Catéchèse et mission au Congo. Impasse pour l’évangélisation hier et

La caractéristique particulière de ce moment ecclésiologique, d’après Monseigneur Bakole, cité par Jean-Marc Éla et René Luneau, « c’est la prise de conscience que l’Église naît de la

base, d’“un mouvement populaire”45. » La création de petites communautés et leur

animation confiée aux laïcs, voilà une grande nouveauté et une des résolutions de cette Assemblée épiscopale, dont la mise en œuvre comporte, selon Fidèle Mabundu, deux moments principaux. Un premier moment, en 1967, connut la création d’une Commission chargée du laïcat, afin d’ouvrir aux laïcs les structures ecclésiales autrefois réservées aux ministres ordonnés. Un deuxième moment fut consacré à la formation d’un laïcat responsable, capable d’assumer divers services pour la vie des communautés ecclésiales. Ainsi, note le même auteur, déjà en 1963, Kinshasa avait créé l’Institut Supérieur des

Sciences Religieuses pour former les animateurs de ces communautés ecclésiales46.

Il faut signaler que la mise en œuvre de ce projet communautaire rencontra des obstacles liés au climat socio-politique des années qui ont suivi l’indépendance du Congo. D’après les observations de Bernard Ugeux, « à la suite du climat d’insécurité qui règne durant cette période et la désorganisation temporaire des structures nationales et régionales, les évêques,

lors de l’Assemblée plénière de 1967, décident de surseoir au projet pastoral de 196147. »

En 1969, les membres de la Commission pour l’Apostolat des Laïcs suggèrent que le projet

de 1961 soit généralisé. Ce qui fut pris en compte lors de la XIe Assemblée plénière des

évêques, réunie du 25 février au 5 mars 1972. Les évêques, tout en soulignant le rôle du laïcat organisé et l’importance de sa formation, rappellent comme objectif pastoral prioritaire la nécessité de créer de petites communautés d’où émergeraient les conseils à tous les niveaux48.

Alors que l’option pastorale de créer des CEV datait de 1961, c’est autour des années 1970 que l’on pouvait évaluer sa mise en œuvre à une grande échelle. Si dès l’année 1972 l’archidiocèse de Kinshasa se réjouissait, sous l’impulsion du Cardinal Malula, d’avoir

45 Jean-Marc Ela et René Luneau, Voici le temps des héritiers. Églises d’Afrique et voies nouvelles, Paris,

Karthala, 1982, p. 167. (Citation du Document préparatoire pour la session des coordinations de J.E.C.- Africaine, Dar-es-Salam, septembre 1980, p. 7).

46 Cf. F. Mabundu, Lire la Bible…, p. 35. 47 B. Ugeux, Les petites communautés..., p. 48. 48 Cf. Idem, p. 48-52.

expérimenté la pastorale des communautés ecclésiales vivantes dans l’ensemble de ses paroisses avec des animateurs bien formés, c’est entre les années 1976 et 1978 que l’on pouvait observer les premières tentatives d’une telle pastorale dans le diocèse de Matadi. La ville de Matadi a eu le privilège d’en être le premier lieu d’expérimentation grâce au dynamisme pastoral dont avait fait preuve l’abbé Gabriel Kusengana qui avait reçu de Monseigneur Raphaël Lubaki, la mission de commencer la pastorale des CEV dans la paroisse saint Joseph-Nzanza. L’abbé Gabriel Kusengana procéda d’abord à l’organisation d’une session de formation, de quelques laïcs, dite « Session Église-Monde ». Celle-ci présente la vision actuelle du Concile sur la mission de l’Église dans le monde de notre temps et la place du laïcat dans l’évangélisation. La première tâche consistait à former quelques laïcs qui devaient prendre la responsabilité d’animer les CEV. L’année 1979 fut décisive pour la pastorale d’ensemble du diocèse. Comme le note Fidèle Mabundu, c’est à ce moment que Monseigneur Raphaël Lubaki donna des directives allant dans le sens d’une pastorale diocésaine concertée :

Il nous faut donc choisir des points communs de références, sur lesquels nous baserons notre action apostolique. Ce sera : 1° le groupe restreint de villages, dibundu, pour les paroisses rurales ; 2° le quartier, pour les paroisses urbaines et centres extra-coutumiers. Chaque paroisse s’efforcera de créer ce chaînon s’il n’existe pas ou encore le rendre vivant si elle l’a déjà. C’est cette étape que, pour le moment, dans le diocèse de Matadi, nous considérons comme

communauté ecclésiale de base49.

À travers cette structure, les hommes et les femmes d’un même quartier ou d’un même village, à dix ou plus, se réunissent autour d’un animateur pour l’écoute de la parole de Dieu, la prière communautaire, en partageant les joies et les peines, les uns des autres. Leur unité s’offre comme lieu pour vivre en Église. C’est en même temps le point de départ et le point d’arrivée de la vitalité paroissiale, le lieu de formation à la prise en charge de l’Église par les fidèles.