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5. Résultats – Le congé du travail

5.2. La réaction de l’entreprise au congé de paternité (long)

5.2.2. L’art du compromis

Parmi les pères qui ont pris un congé court, plusieurs avaient mentionné prendre leurs courriels (section 6.1.1), de la même manière qu’ils le font pendant leurs vacances, pour éviter de revenir au travail et d’avoir des centaines, voire des milliers, de messages à lire. Pour les pères qui prennent un congé plus long, ça semble être aussi le cas, à moins que l’employeur ait engagé une personne pour remplacer le père pendant son absence, comme les entreprises le feront généralement pour remplacer une mère qui quitte pour une année. J’ai posé la question du remplacement, mais plusieurs pères n’avaient pas été remplacés, à moins que le congé ait été à son maximum (37-38 semaines). Consulter les courriels ou répondre aux appels de ses collègues semble plutôt être la norme, le compromis de base pour pouvoir obtenir le « droit » de partir si longtemps.

Le travail m’a contacté à quelques reprises pour des informations qu’ils ne trouvaient plus ou des choses comme ça. Ce n’est pas quelque chose qui me dérangeait, ça ne durait pas longtemps. C’était pour assurer la pérennité de mon travail, c’était correct. (Megaman, 2 enfants, 8 et 10 semaines de congé)

Non, mon boss est quand même assez conciliant… Ça n’a pas été un problème pour les deux, mais pour le deuxième, il a fallu… Je me suis mis en disponibilité pendant deux mois parce que ça les stressait un peu le fait que je ne sois pas là de l’été. Fait que qu’ils m’ont donné un cellulaire et j’étais de support. Je les ai accommodés. C’est parce qu’on n’est pas beaucoup, alors il y en a qui sont plus stratégiques comme emploi, dont le mien. Ça les sécurisait de savoir que j’avais un cellulaire. (rires) Moi ça ne me dérange pas pantoute. Moi quand je quitte le bureau, je décroche. Quand je passe les portes, je passe à autre chose. Alors qu’ils m’appellent pour me poser des questions, ça ne gâche pas mes vacances. (Gau, 2 enfants, 12 semaines chacun)

Pour ces pères, il était normal d’offrir ce type de services à leur entreprise, d’être présent, même de loin pour assurer un soutien, répondre aux questions, suivre les dossiers, particulièrement quand ils ont des postes-clés, perçus comme étant essentiels à la bonne marche de la compagnie. Les appels impromptus tombent à toutes sortes de moments-clés : l’accouchement ou l’annonce d’un nouvel

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enfant… Le père en technologies de l’information reste branché, en toutes circonstances, même si les fortes émotions peuvent l’amener à faire des erreurs :

Oui, on gardait contact… Même ma première, quand on était à l’hôpital pour la naissance, je me suis fait téléphoner, devant le docteur en plus! Quand ma blonde m’a annoncé qu’elle était enceinte du deuxième, j’ai eu un appel ce soir-là et j’ai fait une erreur, j’ai fait une erreur de 30 000 piastres ce soir-là. Mais on l’a corrigé, on l’a corrigé! Mais j’étais tellement énervé que j’ai fait une erreur et j’ai été trop vite sur quelque chose et… Vu que je suis dans la compagnie depuis le début, il y a quand même un bon roulement et la plupart des autres, quand il y a quelque chose, ils sont insécures, c’est quand même des gros montants, et je me fais appeler souvent pendant mes vacances. Mais ça ne me dérange pas. Même en voyage en France, ils me téléphonaient là-bas, je prenais mes courriels, toutes mes vacances, je prends quand même mes courriels de toute façon. (Ryu, 2 enfants, 10 et 11 semaines de congé)

L’exemple de Ryu est à l’extrême de ce que peut vouloir dire « resté connecté ». Mais être en lien avec l’entreprise par courriel, par téléphone ou tout simplement en passant à quelques reprises est aussi une façon pour ces pères de déjouer la solitude qu’ils éprouvent pendant le congé, profitant des marches avec bébé pour aller jaser avec leurs collègues :

L’aspect que j’ai vraiment moins aimé, c’était l’isolement. Et je suis souvent allé voir mes collègues au travail avec la poussette! (Pascal, 1 enfant, 22 semaines)

Ce lien entre l’entreprise et la maison est un compromis vu comme minimal, surtout qu’il est déjà pratiqué par plusieurs pendant les vacances annuelles. Cette forme de présence à temps partiel n’est pas rémunérée pour la plupart des pères. D’autres ont dû toutefois aller plus loin dans le lien avec leur travail, en acceptant de continuer à travailler à temps partiel, même pendant le congé, rendant la gestion de leur horaire personnel très complexe.

C’est un congé bizarre, j’avais une entente avec mon employeur que ça allait être à temps partiel un peu, que j’allais travailler de la maison… Parce qu’on avait quand même des projets en cours et c’était difficile de faire une coupure complète pendant ces temps-là, fait que je profitais des siestes de la petite pour répondre à des emails… Rendu à sept mois, elle avait sa routine, elle dormait deux fois par jour, ce n’était pas si pire que ça. Au 2e, ça a été plus compliqué au niveau du travail. Cette fois-là, j’avais demandé un congé à temps plein, parce que je trouvais que j’en avais besoin, j’étais fatigué. Ça m’aurait fait du bien, mais ça été une négociation un peu plus difficile. Finalement, ils ont aimé mieux que je prenne une entente de télétravail. Je pouvais m’occuper de ma fille comme je le voulais, mais ils me faisaient confiance que les dossiers allaient avancer un petit peu

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quand même. Ça j’ai trouvé ça super difficile. Super difficile. […] En plus, le congé, j’ai fait la demande et il n’a jamais été signé. Il n’a jamais été approuvé, je n’ai jamais eu de nouvelles, j’ai fait des rappels, j’ai jamais eu de nouvelles. Je l’ai pris pareil. Je me suis dit « ils me taperont sur les doigts », mais un moment donné... (Vincent, 3 enfants, 24 semaines chacun)

Le témoignage de Vincent expose plusieurs problèmes. D’abord que l’employeur n’était pas intéressé à lui permettre de s’absenter, optant pour divers moyens de pression : la signature d’approbation qui n’arrivera jamais, les réponses aux courriels au premier congé, puis l’entente de télétravail au deuxième, même si le père s’oppose pour des raisons de fatigue, ce qui signifie au bout du compte, de santé. L’employeur en fera fi et exigera le télétravail du père qui n’appréciera pas les conséquences :

Mon lien est avec les clients. Et j’ai eu beaucoup de misère à leur expliquer la situation, de dire : « Ben écoutez, je ne suis pas capable de répondre à vos demandes dans le même temps que d’habitude, mais je ne suis pas en congé de paternité non plus, je suis comme en télétravail! » Fait que les clients, ils avaient de la misère. Ça m’a placé dans une situation que je n’ai pas beaucoup aimée. Je trouvais que c’était ma réputation qui en prenait un coup. (Vincent, 3 enfants, 24 semaines chacun)

Alors qu’il aurait préféré une coupure pendant ses semaines parentales, Vincent a dû gérer sa fatigue et le stress de cette obligation de faire du télétravail, mais également faire face au mécontentement de ses clients qui ne pouvaient comprendre la situation impossible dans laquelle l’employeur l’avait placé. Ce n’est pas la meilleure manière de gérer un congé prolongé, même si ça peut permettre d’économiser pendant la période d’absence :

Chaque projet a des ressources à avoir, donc si une personne quitte, le projet gagne du budget, dans le sens qu’il y a du budget pour avoir quelqu’un d’autre, ils peuvent prendre quelqu’un en remplacement, mais s’ils ne prennent personne, le projet, à la fin, il va avoir coûté moins cher. (Marcus, 2 enfants, 24 et 28 semaines de congé)

C’est pas comme si c’était un poste qui s’était libéré et qu’ils avaient engagé quelqu’un pour me remplacer, c’est juste des gens qui ont eu des tâches supplémentaires dans le fond et ils se divisent le travail que j’avais entre eux. (Gareth, 1 enfant, 38 semaines de congé)

Je suis retourné au bureau pendant mon deux mois et aussitôt que je suis arrivé au bureau, tout le monde venait me voir, ils avaient des questions… J’ai un rôle stratégique dans l’équipe. Ça ne me dérange pas ben ben. Mais tsé, il n’y a pas personne qui n’est

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mort non plus. Au deuxième, ils sont devenus un peu plus autonomes. Ils m’appelaient pareil, mais… J’aurais aimé [être remplacé], mais je n’ai pas eu de remplaçant. On a de la misère à avoir du monde, ma compagnie n’engage plus. (Gau, 2 enfants, 12 semaines chacun)

D’autres employeurs ont préféré remplacer l’employé pour éviter de surcharger les collègues : Quelqu’un m’a remplacé. Je l’ai formé pendant quelques semaines avant le début de mon congé de paternité. C’est vraiment lui qui allait me remplacer dans mon rôle. Je lui montrais tous mes outils que j’utilisais… (Abel, 2 enfants, 37 et 38 semaines de congé) Les remplacements ne permettent pas d’éviter toutes les conséquences négatives au retour du congé, comme il sera exposé plus loin, mais elles permettent au moins des semaines d’absence plus faciles, car le père n’est pas sollicité pendant cette période. Lorsque le père s’absente longtemps, la meilleure solution semble être de s’assurer qu’un autre employé, ou une personne engagée spécifiquement pour cela, prenne le relais pendant son absence, ce qui permet d’éviter les compromis difficiles.