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La gestion des congés de paternité et de maternité

1. Problématique

4.1. La gestion des congés de paternité et de maternité

Lors de l’implantation de son Régime québécois d’assurance parentale, l’État québécois a dû faire des compromis entre les congés fixes, soit les quotas réservés à l’un ou l’autre des parents, et les congés basés sur « les choix des parents ». Si on prend l’exemple du régime de base (utilisé par 75 % des parents), on a donc fixé les quotas à 18 semaines pour la mère et à 5 semaines pour le père. La structure de ces congés est également différente de l’un à l’autre : la mère est autorisée à débuter le congé de maternité avant l’accouchement, alors que le père doit attendre le jour de la naissance pour débuter ses semaines de congé. Par ailleurs, en cas de fausse couche tardive, la mère a droit aux 18 semaines, mais le congé de paternité disparaît pour son conjoint. Deux pères (non retenus dans le cadre de cette thèse) m’ont d’ailleurs contacté pour dénoncer cette situation qui leur avait semblé

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injuste : devoir poursuivre leur emploi sans interruption, parce que leur corps n’avait pas à se remettre de la perte de l’enfant, au contraire de la mère, niait la souffrance psychologique qu’un tel décès pouvait apporter. S’être vu refuser le congé de paternité était, pour eux, une forme de négation de leur statut de père potentiel. De plus, cela ne favorise pas le deuil conjoint que doit vivre le couple devant une telle perte. Bref, je trouvais important de mentionner ce décalage dans la structure des congés « genrés ».

Une autre différence s’ajoute entre les congés de la mère et du père : l’homme est autorisé, pendant ses cinq semaines paternelles, à recevoir un revenu d’emploi équivalent à 25 % du montant de sa prestation hebdomadaire brute, alors que la mère est obligée d’interrompre toutes ses activités rémunérées : « Lorsque vous touchez des prestations de maternité, chaque dollar gagné ou reçu est déduit du montant de vos prestations » (RQAP, 2015). Cela peut devenir problématique puisque ce n’est pas le moment où l’activité a été accomplie qui compte, mais la date inscrite sur le chèque. Ainsi, une infirmière en congé de maternité à la fin décembre et qui reçoit le remboursement des journées de maladie non utilisées au cours de l’année devra rembourser intégralement ce revenu en janvier, à même ses prestations de maternité. Une écrivaine qui reçoit des droits d’auteur et des droits de prêt public chaque mois de février et d’avril pour des livres publiés trois ou dix ans auparavant devra également rembourser la totalité des montants reçus. Le seul moyen de prévenir cette coupe est d’interrompre les semaines de maternité lorsqu’il y aura un chèque émis, ce qui ne peut pas être fait rétroactivement. Un père infirmier ou écrivain n’aura aucun problème à recevoir ces mêmes montants, à moins dépasser le 25 % autorisé. Un travailleur autonome qui doit finir un contrat de design de site web peut le faire, mais une travailleuse autonome doit quant à elle remettre 18 semaines plus tard le suivi de ses dossiers. Pourquoi ce traitement différentiel entre les mères et les pères? Le message envoyé par cette décision semble contradictoire: qu’est-ce qui justifie qu’on oblige la mère à interrompre complètement son travail pendant 18 semaines, mais que le père y soit autorisé? L’activité économique des pères est-elle donc si importante qu’un arrêt total pendant cinq semaines ne soit pas acceptable? La santé des mères et des poupons est-elle menacée par une femme qui s’assoit quelques heures devant son ordinateur pour faire le suivi de ses courriels et préparer une ou deux factures pour ses clients?

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Du point de vue des semaines parentales toutefois, il n’y a plus de différences. La mère ou le père sont admissibles aux 32 semaines du régime de base. Ils peuvent le prendre en totalité ou le diviser entre eux, jusqu'à 52 semaines après la naissance du bébé. Le choix est libre. Ce n’est plus l’État qui influence la décision, mais la société qui prend le relais. Le poids des traditions se cache sous l’illusion de choix conscients. Sinon, comment expliquer que les hommes utilisent si peu les semaines parentales? En effet, si 76,5 % des pères ont utilisé le congé de paternité qui leur est réservé, ils n’ont été que de 34 % à utiliser une partie du congé parental en 2013, pour une moyenne de deux semaines, alors que 98 % des mères utilisent des semaines parentales (Conseil de gestion de l’assurance parentale, 2015 :33).

Il n’y a pratiquement pas de discussion entre les conjoints par rapport au congé de paternité. C’est justement l’un des avantages d’un quota réservé à l’un ou l’autre des parents : il permet d’éviter les négociations entre les conjoints. Ce n’est que dans l’organisation des semaines et le bon moment pour les prendre que les parents doivent s’organiser et éventuellement négocier. Mais les entrevues montrent que ce n’est pas une discussion marquée par les tensions, plutôt une planification influencée par différents facteurs, comme l’expérience :

Au moment de la naissance, je prenais tout pour en profiter le plus possible et la supporter. En rétrospective, on ne fera pas la même chose pour la deuxième. Parce qu’après quelques mois, elle trouvait ça plus dur d’être toute seule à la maison, de s’habituer et tout cela. (Java, 2 enfants, 6 et 5 semaines de congé)

Je m’étais rendu compte qu’au premier, après trois semaines, je servais à rien à la maison. Ma conjointe allaitait, fait que c’est elle qui se levait la nuit, elle gérait à peu près tout. Honnêtement, ces cinq semaines-là, j’ai jamais joué autant aux jeux vidéo de ma vie! Fait qu’au deuxième, on s’est dit que cinq semaines, c’était trop, regarde, je vais prendre trois semaines à la place. J’ai gardé mes semaines de paternité pour l’été. (Joël, 3 enfants, 10, 8 et 8 semaines)

La deuxième fois, j’ai pris cinq semaines! Parce qu’on a compris aussi! (rires) On a compris que trois semaines, ce n’était pas assez. (Altaïr, 2 enfants, 3 et 5 semaines)

Une autre raison qui joue dans la planification du moment où sera utilisé le congé de paternité est la saison. Certains pères utilisent alors le congé à des fins de rénovation pour la nouvelle chambre, de déménagement dans une maison plus grande ou tout simplement pour aller visiter la famille avec le nouveau bébé :

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Je pense que c’est aussi contextuel, en lien avec le moment de naissance. J’aurais pas voulu par exemple six semaines de vacances en janvier-février. Je pense qu’il y a un paramètre de facteur climatique qui a influencé, malheureusement. J’aime bien l’été… J’aime toutes les saisons, mais, par exemple, juste pour rénover, l’hiver, ouvrir les fenêtres… À la naissance, début mars, j’ai également pris trois semaines et le reste, je l’ai pris à l’été qui a suivi : j’ai pris six semaines. J’ai profité de l’été pour travailler, passer du temps avec la famille et la maison pour faire des travaux. (Nathan, 2 enfants, 9 semaines les deux fois)

Ainsi, la façon dont le couple influence la division des semaines du congé de paternité vient surtout de l’expérience avec les bébés précédents et aussi, parfois, la saison où le père préfère être présent à la maison. Il n’y a pas tellement de discussion sur la durée du congé (cela viendra davantage du travail), les cinq semaines étant majoritairement utilisées. Toutefois, les choses ne sont pas aussi simples lorsqu’il faut discuter de la division des semaines parentales.