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6. Résultats Le retour au travail

6.4. Les congés maladie

Généralement, la venue d’un bébé est une nouvelle positive qui réjouit les collègues et le patron. Or tout ne va pas toujours bien pour la conjointe enceinte, à l’accouchement ou par la suite, lorsque l’enfant grandit. À cet égard, l’employeur n’est pas toujours compréhensif :

Un mois avant la naissance, je me suis absenté souvent pour des examens pour le bébé. Mon boss n’était pas content : « Pourquoi tu t’absentes? » « Ben ma blonde est enceinte. » Pis là moi j’étais stressé avec ça, je voulais assister aux examens, je voulais voir, je ne voulais pas que ma femme vive ça toute seule. Parce que là, les médecins… Si les médecins n’avaient pas été si pessimistes, il y aurait sûrement eu moins de stress. [...] On a passé trois semaines à aller passer des examens. Pratiquement tous les jours, je n’étais pas au bureau. (Mario, 1 enfant, 5 semaines de congé)

J’ai abordé la question des congés maladie avec tous les pères rencontrés. Les réponses étaient divisées : soit les employeurs acceptaient que les congés puissent être utilisés pour une maladie dans

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la famille (conjointe, enfant), soit ces congés étaient réservés pour l’employé seulement, ce qui pose problème pour un père qui doit composer avec une conjointe ou un bébé malade. De plus, dans le cas mentionné plus haut par Mario, aucune banque de congés maladie ne suffirait à couvrir autant de jours en dehors du bureau. On tombe alors dans les congés maladie longue durée, un service offert par la plupart des compagnies, mais qui ne couvre que l’employé et qui exige un billet du médecin, en plus d’un suivi régulier d’un spécialiste.

Le télétravail est un aménagement de temps de travail qui est parfois disponible dans les compagnies en informatique et qui semble favoriser la gestion des problèmes de santé lorsqu’il y a un besoin. Il peut se révéler essentiel pour le père qui compte sur cette solution.

Le retour s’est super bien passé, puis je n’ai pas eu trop à m’absenter. […] Je n’ai pas eu trop de problèmes, pour l’instant, le bébé n’est jamais malade. C’est plus quand il va aller à la garderie que ça va commencer, hein? Je vois plein de collègues qui s’absentent, que leur bébé est malade… En informatique, on a l’avantage qu’on est capable de travailler de la maison, ou on est capable de travailler en Skype. (Cid, 1 enfant, 15 semaines de congé)

On a ce qu’on appelle des clés VPN. Si je dois m’absenter pour des raisons X et l’enfant est malade et que je suis en fin de projet, ben, ils peuvent me donner une clé, c’est un code qui change aux trois minutes, je peux me loguer à distance, travailler sur mon poste et je change des affaires, oui. Mais c’est pas… c’est dans des cas… Il y en a qui ont des clés VPN tout le temps, moi c’est sur demande. Je ne fais pas assez une job importante pour… et je ne ressens pas le besoin de me dire : « Eh il faut absolument que ce soit fait! » Ce n’est pas quelque chose qui existe vraiment, il n’y a pas personne qui travaille à distance tout le temps. (Sonic, 3 enfants, 7, 5 et 9 semaines de congé)

Étonnamment, il n’est pas toujours aussi facile à obtenir un accès VPN pour le télétravail, au contraire de ce que l’on pourrait croire dans le domaine de l’informatique.

Je n’ai pas vraiment recours à ça, le télétravail, puis je sais que ce n’est pas vraiment encouragé non plus par l’employeur… (Rockman, 2 enfants, 6 et 5 semaines de congé) On compte encore beaucoup sur la présence physique de l’employé au bureau, comme on le sent dans les commentaires de plusieurs des pères où cette façon de faire est un privilège réservé aux situations d’urgence. C’est peut-être pourquoi, à la section précédente, l’absence des pères pendant

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les heures officieuses du bureau est remarquée et désapprouvée. Pour bénéficier du télétravail, il faut un patron « gentil » et avoir une raison qui justifie cette mesure exceptionnelle.

À la naissance du premier, à ce moment-là, je m’arrangeais pour ne pas faire trop d’heures supplémentaires et ne pas arriver trop tard le soir, genre 7h. Je m’arrangeais pour ne pas faire plus d’une heure par jour [d’overtime] parce que j’arrivais tôt le matin de toute façon. Mais après trois mois, quand mon plus jeune a eu trois mois, il y a une journée je suis arrivé à la maison et ma conjointe pleurait. Elle n’était plus capable. Le petit était dans une phase où il pleurait tout le temps, en tout cas, post-partum probablement au travers. J’ai utilisé mes contacts à mon travail, heureusement, ça faisait longtemps que j’étais dans cette compagnie-là, fait que j’ai dit : « J’ai besoin d’un accès à distance pour faire mon overtime de la maison. » Fait que ça n’a même pas pris 24 heures, j’avais mon accès à distance. Je faisais mes heures au bureau et mes heures supplémentaires de la maison. Fait qu’au moins, si ma conjointe avait besoin d’un break, ou juste donner le bain au petit, ou s’en occuper quand il pleure, je pouvais laisser ça de côté, prendre une pause d’une demi-heure et quand il était calmé, retourner travailler. Mais ce fut une période difficile, il y a eu beaucoup d’heures supplémentaires et après sept mois, j’ai fait : « Changez-moi de mandat, ça n’a pas de bon sens. » (Joël, 3 enfants, 10, 8 et 8 semaines chacun)

Dans le cas de Joël, on comprend que le télétravail ne fut pas suffisant pour que la famille passe au travers de la période difficile. En effet, la mère peut non seulement vivre une dépression post-partum, parfois non diagnostiquée officiellement, mais le bébé peut aussi être malade. Dans plusieurs compagnies, les congés maladie sont ouverts, c’est-à-dire qu’il n’est pas obligatoire que l’employé les prenne pour sa propre santé, mais ils peuvent être utilisés pour les maladies des autres membres de la famille. Certains ont des congés maladie transférables en « responsabilité parentale ». Pour d’autres, il est possible de prendre des congés maladie « sans limites ». La limite existe, mais elle est floue et variable. C’est une mesure dont les employés touchés sont très fiers et qu’un des pères a qualifiée de « bar ouvert pour les garderites »!

Mon employeur s’est rendu compte qu’il y a des employés avec des enfants de plus en plus, pis les vacances à travers ça, ça part en fumée, surtout les premières années en garderie, c’est spectaculaire là, le nombre de « garderites » qu’ils vont pogner. Ça n’arrête pas, pis on ne sait même plus ce que c’est! Fait qu’on ne se pose même plus de questions, il y a le nez qui coule tout le temps, pis un moment donné : « Ah! Une gastro, c’est le fun! » On est tout le temps à la maison, tsé. (Prolog, 1 enfant, 5 semaines de congé)

Avant, nous on avait trois journées mobiles, pis les gens se plaignaient beaucoup. Maintenant, on a une politique plus souple. S’il faut que je me rende à l’hôpital ou mon

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enfant est malade, il faut que j’aille le chercher à la garderie, pis je suis quand même payé à ce moment-là. Fait que c’est comme un congé maladie, mais on n’a pas de limite de huit journées ou tant d’heures… C’est sûr que l’employeur fait confiance à ses employés là-dessus, sauf que, on s’entend, quand ça fait 10 fois que tu t’absentes parce que ton enfant est malade, c’est sûr que l’employeur va commencer à se méfier. Mais à date, c’est une nouvelle politique de peut-être trois ans, et à date, j’ai pas entendu que ça avait été abusé, mais tsé, personne ne se vante d’abuser des bonnes choses… (Rockman, 2 enfants, 6 et 5 semaines de congé)

Moi je suis couvert si jamais ma fille est malade et je ne rentre pas travailler, je suis payé, 100% de mon salaire. Ma blonde, elle va être payée, mais elle devra récupérer, tandis que moi non. Si j’appelle le matin mon boss et je dis : « Mon bébé a 40 de fièvre, je ne rentre pas » « Ok! » Il n’y a pas de « Ouais, je veux une preuve…» C’est sûr qu’on a une feuille qui stipule qu’après trois-quatre jours, on doit avoir des preuves, mais avant d’embarquer sur quelconque assurance, ils nous laissent un lousse de 2-3 jours. Comme là, l’année passée ou l’automne d’avant, mon bébé a fait une roséole. Fait que tsé, je n’ai pas eu de preuve à donner, mais après quatre jours, ils ont fait : « Ok, mais là… » Mais j’avais un billet du médecin, alors j’ai faxé ça et ça a été correct… Pour s’assurer que ce n’était pas un fake. (Sonic, 3 enfants, 7, 5 et 9 semaines chacun)

Le flou permet d’instaurer une flexibilité appréciée, surtout que, pour plusieurs, la mère n’avait aucune ou peu de possibilités d’avoir des congés. Mais cette souplesse a également comme conséquence de mettre constamment la parole de l’employé en doute. Y a-t-il des abus? Impossible de le dire dans un contexte où les congés maladie peuvent être utilisés librement, sans justification avant quelques jours répétés d’absence. Non seulement les patrons ont ces doutes (et préfèrent avoir un billet du médecin, comme Sonic l’a partagé), mais même les autres employés ne sont pas sûrs de l’honnêteté d’un collègue qui ferait usage de tels congés. Cela exerce certainement une pression sociale à ne pas en abuser pour garder la confiance de ses collègues et des autres employés. Ce qui veut dire des parents malades au travail (car les « garderites » sont facilement transmissibles) et des enfants malades en garderie.

Ils se font garder en milieu familial et notre gardienne elle est vraiment super, elle n’a jamais renvoyé un de nos enfants pour quoi que ce soit. Même quand ils sont malades, elle les garde. C’est plus nous autres qui se sentent mal un peu, qu’on ne veut pas que nos enfants contaminent les autres… (Link, 2 enfants, 6 semaines de congé chacun) Le problème avec les garderies c’est ça : les enfants vont à la garderie même s’ils sont malades, fait qu’ils contaminent ton enfant. Ce n’est pas le fun, mais c’est la vie. (Mario, 1 enfant, 5 semaines de congé)

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Les congés maladie et la façon dont ils sont souvent définis pour les rendre souples selon les besoins des employés augmentent les diverses façons de gérer la situation familiale qui se présente. Mais étant donné leur flou, l’acceptation dépend beaucoup de la confiance du supérieur envers l’employé. De la même manière que les heures supplémentaires sont plus ou moins comptées selon le patron en place, la tolérance aux congés maladie semble variable en fonction de la personnalité du supérieur.

Mon enfant, il est TED. Depuis les deux dernières années, j’ai eu à prendre plusieurs fois des congés. Mon boss d’avant était très compréhensif, je lui avais tout confié cela. Ils me protégeaient si on veut, avec mes congés, avec mes heures. Mais ce boss-là, je ne l’ai plus. J’ai quelqu’un d’autre qui ne me connaissait pas et qui fait : « Oups! Qu’est-ce que tu fais là! T’es en congé tout le temps! C’est mauvais… » Euh… Ben là tu dis : « Il y a une politique, quand t’es malade »… Il y a vraiment une politique que si tu es malade, tu prends autant de congés personnels que tu veux. Et moi j’estime que mon enfant qui a un TED, c’est une maladie. Mais une maladie pour eux, c’est un rhume, une grippe. Fait que ça cause BEAUCOUP de problèmes. Fait que mes journées que je flaggais comme étant « malade », je les flagge plus maintenant. Je mens maintenant. Je vais dire que j’étais au travail alors que je ne l’étais pas. Fait que c’est vraiment problématique. (Marcus, 2 enfants, 24 et 28 semaines de congé)

Étant donné la manière dont son supérieur a perçu ses absences multiples en regardant le profil du nouvel employé sous sa gouverne, Marcus a senti qu’une explication exigeant une mise à nu de son intimité, c’est-à-dire la maladie de son fils, serait suffisante pour justifier les besoins qu’il a en congés maladie. Devant la condamnation qu’il craignait, ce n’est plus seulement du stress à l’idée de demander une absence qu’il doit maintenant gérer, ce sont les mensonges à son supérieur. Une maladie peut exiger plus de soins et de suivis que les quelques jours de rétablissement d’un rhume. Comme je l’exposerai dans la prochaine section, cette situation est un exemple de tensions extrêmes générées par le manque d’ouverture à la conciliation travail-famille et à toutes ses facettes.

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