• Aucun résultat trouvé

2.3 Les statuts de documents archivés et d’archives historiques

2.3.3 L’archivage suffit-il à faire l’archive ?

La loi, qui stipule une obligation de conservation très large pour les archives publiques et ne fait que mentionner spasmodiquement des obligations de conservation pour certains types de documents d’un point de vue légal (quelque soit l’origine de l’archive), nous conduit à nous interroger sur ce qui fait véritablement l’archive, la loi ne permettant que très partiellement de savoir comment s’y prendre pour sélectionner les documents à conserver22. Cette question est d’autant plus aiguë dans le domaine privé où une part conséquente est laissée à la libre appréciation des entreprises, en fonction de ses intérêts et au-delà de ce qui est prescrit par la loi, sachant que « tantôt la loi associe explicitement une durée de conservation à des documents nommément cités, tantôt elle énonce simplement un délai de prescription de l’action, laissant à l’appréciation des parties et du juge l’identification des informations qui tracent et documentent ladite action » [12, Chabin (p.37)], sans parler de tout ce dont elle ne parle pas.

Marie-Anne Chabin, dans Le management de l’archive, souligne que le langage courant persiste malgré la définition de la loi à vouloir distinguer les documents des archives, et elle pose la question : si le statut d’archives « n’est pas consubstantiel à la conception, comment s’acquiert-il ? Est-ce à un instant précis que l’on peut calculer ? Est-ce par la suite d’un événement extérieur qui enclenche un changement ? » [14, Chabin]

Nos questions seront donc les suivantes :

 Les documents sont-ils des archives en vertu de leurs qualités intrinsèques, relativement à des critères extérieurs objectifs et/ou plus subjectifs préalablement définis (consignés par l’organisme dans un charte d’archivage ou dans un référentiel de conservation), ou bien le deviennent-ils relativement à un événement déclencheur (décision du producteur du document, signature d’un accord) ou à un contexte singulier (conflit mettant en jeu certains services)?

 Et pour reprendre la question que nous posons dans le titre de ce paragraphe : le statut d’archives, qu’elles soient documents archivés ou archives historiques, authenticité ; mais ce n’est pas l’acception courante, l’application des procédures de records management ne concernant pour beaucoup d’organismes qu’une partie de leur système d’archivage. Là aussi on s’accorde dès maintenant à la politique retenue à PSA dans le cadre de la mise en place de leur Système d’archivage électronique, qui respectera les préconisations du records management.

22 Non seulement il y a rarement une législation concernant la durée par type de documents, mais plusieurs délais peuvent parfois s’appliquer au même document (la durée la plus longue étant dans ce cas retenu).

correspond-t-il à un caractère intrinsèque des archives ou bien ce que l’on désigne sous le vocable d’archives est ce qui est de fait conserver dans un système d’archivage ?

Considérons les réponses à ces questions à travers le cas du document archivé.

La réponse à la première question est que le document a le statut de document archivé pour les deux raisons évoquées à la fois : pour des raisons intrinsèques à ce qu’il est que l’on peut déterminer en amont (tel un cahier des charges qui, en tant que document validé et servant de référence aux parties qu’elles lient, devient un document contractuel que l’entreprise se doit de conserver 10 ans, ou une facture qui tout en n’étant pas signée est de fait sitôt émise un document considéré comme validé et opposable entre un client et son fournisseur). Mais un document peut aussi devenir un document archivé parce qu’un utilisateur décide d’archiver son document, ou bien il peut le devenir après-coup, comme par exemple un mail qui a priori n’a rien de contractuel mais peut devenir la preuve, en cas de conflit, qu’une personne avait bien connaissance de ce qu’elle prétend n’avoir jamais su – on voit depuis deux ou trois ans un intérêt des entreprises de plus en plus accru pour le traitement des mails, cas problématique puisqu’ils ont au regard de la loi le statut de documents privés, même produits au sein de l’entreprise, alors que des échanges informels entre celle-ci et l’extérieur peuvent directement l’engager (un agent signale en passant à un partenaire une anomalie sur un produit fabriqué par l’entreprise, un autre fait une promesse de remise à un client, etc.).

Toutefois dans les deux cas, le statut de document archivé s’acquiert en vertu de ce qui engage l’entreprise ou ce qui lui permet d’assurer la poursuite de ses activités: il l’est donc en considérant non pas une typologie ou des critères formels, mais pour des raisons essentiellement intrinsèques relatives à son contenu. Ce contenu peut être identifié comme relevant du statut de document archivé a priori ou après-coup, mais ce qui importe, c’est que dans les deux cas ce qui fait le statut est essentiellement le regard que l’on porte sur ce document [14, Chabin]. D’où la part de choix laissée aux entreprises dans ce qu’elles considèrent comme présentant un intérêt pour leur activité.

D’où notre seconde question, qui pointe en fait sur la différence entre le records management à l’anglo-saxonne et l’approche française : le premier considère le document archivé en fonction de sa qualité de preuve, de gestion ou de mémoire, c’est-à-dire de ce qu’il représente, là où l’archivistique désigne d’abord comme archives ce qui est pris dans un système de gestion des archives, qu’elles soient courantes, intermédiaires ou historiques.

Non qu’il n’y ait pas d’attention portée à la valeur des archives dans la seconde approche, mais si l’on pousse la logique jusqu’au bout, et si l’on écarte la définition de la loi de 1979

Le rôle du statut du document dans la gestion de l’information – Katell Gueguen – INTD 2008 38 qui dit que tout document est une archive (ce qui revient à rendre impossible toute distinction entre statut de simple document et statut d’archives), on peut dire que pour l’approche archivistique, un document qui n’est pas traité dans un système d’archivage n’est pas une archive, là où le records management souligne que tout document opposable à autrui ou qui engage l’entreprise est un document archivé, indépendamment du système où il se trouve. Pour l’archivistique, le caractère intrinsèque du document, sans être loin de là négligeable, n’est pas ce qui préside à l’archivage (seulement ce qui décide de son maintient dans le système ou de sa destruction ; cette approche des archivistes français est peut-être la conséquence de l’appréhension de l’archivage sous l’angle des archives publiques, où tout document produit dans la cadre de l’activité de service public doit a priori être conservé et subit des procédures de destruction très strictes.)

Dans la démarche anglo-saxonne, c’est une fois les documents identifiés comme ayant le statut de documents à archiver, que l’on se soucie de la sécurité (confidentialité), de la pérennité (authenticité, intégrité, fiabilité) et de l’exploitabilité de ces documents (identifier les documents bien formés et ceux qui doivent subir un traitement pour le devenir).

Cette approche, où l’on considère que l’archivage ne suffit pas à faire l’archive, est précisément ce qui nous permet de poser le document archivé en tant que statut. C’est cette perspective qui permet dans une organisation, face à des documents de provenances et de natures diverses, de mesurer le décalage entre ce qui apparaît, selon les critères arrêtés, comme des documents ayant le statut de documents à archiver (qui engagent l’entreprise, ou sont utiles à son activité), et ce qui est vraiment déclaré et pris en charge comme tels dans les systèmes d’information.

Ces considération reviennent à se poser la question de ce qui est archivé de fait et ce que l’on doit ou devrait archiver de droit.

Nous considérerons donc ici que le statut de document d’archive renvoie au caractère intrinsèque du document (indépendamment du système qui le gère, mais par rapport à son contenu et aux critères objectifs ou subjectifs d’identification), alors que ce que l’on nomme document archivé est le document pris dans un système d’archivage23.

C’est ce décalage entre le statut et ce qui est véritablement pris en charge comme document archivé qui permet de mesurer les risques encourus ; et c’est ce décalage plus globalement entre statut et prise en charge réelle du document qui permet de refléter les choix des entreprises, délibérés ou inconscients, de gérer ou non dans un système dédié les

23 Ce raisonnement, qui distingue d’un côté le statut et de l’autre le document en tant que pris dans un système, est similaire pour les deux autres statuts temporels.

documents archivés ou les documents présentant un intérêt historique (afin de préserver l’histoire de l’entreprise).

Les deux points suivants ont pour but de définir ce que recouvrent les statuts de documents archivés et d’archives historiques. Ces descriptions nous permettrons de dégager des caractéristiques de ces deux types d’archives qu’il s’agira de formaliser dans la partie sur le statut lié à la valeur.